Mercosur, quelle cohérence?

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Mercosur, quelle cohérence?

L’accord de libre échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (zone d’un accord économique de libre échange conclu entre le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie) a été finalisé (et non pas signé) en ce début décembre 2024 par la Présidente de la Commission européenne, malgré l’opposition de la classe politique française et les protestations des agriculteurs. L’étape signifie la fin des négociations (sur lesquelles la Commission a compétence exclusive) et le début de la procédure de signature : la politique commerciale étant une compétence de l’Union, c’est le Conseil de l’Union européenne qui doit adopter l’accord, avec une minorité de blocage (4 pays, 35 % de la population européenne) qui peut (ou pas) être trouvée, avant que ne soit requis l’aval du Parlement.

Les débats en cours sur la perspective d’entrée en vigueur de ce traité de libre-échange, en discussion depuis plus de 20 ans, mettent mal à l’aise.

Le traité prévoit la baisse ou la suppression des droits de douane sur les échanges.  L’Europe espère ainsi exporter davantage de voitures, de vin et de chocolat, produits où les droits de douane du Mercosur étaient très élevés, avoisinant ou dépassant 30 %. L’Europe accepterait en contrepartie d’importer avec des droits de douane réduits des quotas de viandes (bœuf, porcs, volailles…), de riz et de miel.

Les arguments avancés en faveur de l’accord consistent d’abord à dire que dans toute transaction, certaines clauses sont plus favorables que d’autres et qu’en l’occurrence l’ouverture d’un grand marché jusqu’alors fermé aux importations européennes de vin, de spiritueux, de fromages, de produits pharmaceutiques ou de santé ou de produits industriels, profitera à l’Europe, dans un contexte où le marché des États-Unis risque de se protéger davantage et où, si l’Europe ne signe pas, la Chine prendra sa place. C’est probablement vrai.

L’accord profitera à certaines productions agricoles (vin, fromages) et reconnaît les indications géographiques protégées, ce qui permettra de les vendre plus cher. Par ailleurs, il devrait sécuriser l’approvisionnement en certains métaux rares nécessaires à la transition énergétique.

Quant aux importations de viande ou de poulets, elles seraient soumises à des quotas qui représentent un faible pourcentage, entre 0,5 et 2 %, selon les viandes animales concernées, de la production européenne. Au demeurant, le Mercosur est déjà exportateur de viande en Europe, comme au demeurant bien d’autres pays, souvent accusés par les agriculteurs français de représenter une concurrence déloyale, nouvelle Zélande ou Ukraine. Les avis sont partagés sur l’impact de ces nouveaux droits à importation : si certains économistes (V. Chatellier de l’INRAE) considèrent que les quotas sont trop faibles pour déstabiliser les producteurs français, d’autres soulignent la grande fragilité du marché de la viande bovine.

Les arguments qui sont opposés à l’accord tiennent essentiellement à la différence de pratiques agricoles : les pays du Mercosur utilisent bien davantage de produits phytosanitaires et, parmi eux, de nombreux produits interdits en France. Il n’existe pas de règles sur le bien-être animal et certaines pratiques, notamment injections de produits accélérateurs de croissance, sont permises, alors qu’elles sont interdites en Europe : certes, les règles européennes ne seront pas assouplies mais seule une intensification des contrôles permettrait de détecter des viandes qui ne répondraient pas aux normes européennes et des viandes passeront sans être détectées. L’accord (on ne connaît pas avec exactitude sa teneur précise) ne semble pas avoir imposé aux importateurs d’exigences environnementales particulières. L’on comprend en ce sens le sentiment d’injustice des agriculteurs français face aux pratiques sud-américaines.

S’agissant des écologistes, l’opposition au Mercosur ne s’en tient pas là : il faut selon eux limiter tous les accords de libre-échange qui tendent à développer des productions, qu’elles soient agricoles ou industrielles, néfastes pour l’environnement (c’est le cas des ventes de voiture) et qui tirent toujours les prix vers le bas, en exacerbant la concurrence. La position, qui semble bien idéaliste dans un monde encore très ouvert, a pour autant le mérite de la cohérence.

Quant aux autres opposants à l’accord Mercosur, l’on ne peut gommer un certain malaise : les premiers à réclamer, en France et en Europe, l’assouplissement des règles sur les pesticides, sur le bien-être animal et sur la protection de l’environnement sont les organisations agricoles françaises qui protestent contre l’accord Mercosur.  Ce sont elles qui jugent déjà que la concurrence entre les pays européens joue en la défaveur de la France et que, les pratiques agricoles admises étant plus souples ailleurs, il faut assouplir les règles partout. La pollution en France du sol et de l’eau ne soulève pas de protestations de principe, pas plus que la limitation des aides à l’agriculture biologique. Mais quand des concurrents adoptent des pratiques il est vrai encore plus néfastes, cela soulève l’indignation.

Il est malaisé de tenir d’une part un discours vertueux sur les normes et la protection de la santé des populations en exigeant une réciprocité des pays du Mercosur tout en détricotant, d’autre part, le Green deal ou la loi sur la restauration de la nature.

C’est encore plus choquant de voir les partis de droite qui s’opposent au libre-échange avec le Mercosur freiner parallèlement la mise en œuvre de la loi européenne contre la déforestation, qui porte aussi sur la lutte contre la déforestation importée. Ce règlement européen, adopté en 2023 et qui devait entrer en vigueur fin 2024, permet, en exigeant une traçabilité, d’interdire l’importation de produits agricoles, y compris de viande bovine, venant de zones déboisées après 2020, ce qui pourrait représenter un garde-fou aux accords de libre-échange. Sous la pression du Brésil, des États-Unis, de l’Allemagne (qui demande à en être exemptée) mais aussi de la filière bois et des industries agro-alimentaires, la Commission européenne vient de proposer de retarder l’entrée en vigueur de ce règlement, de fin 2024 à fin 2025. Le Parlement, sous la pression des partis de droite et d’extrême droite, a adopté le report, avant, peut-être d’envisager de rediscuter le texte.

Qu’est-ce que la droite déteste le plus : l’accord du Mercosur qui va soumettre les agriculteurs à une concurrence déloyale, ou les normes environnementales, qui s’appliqueraient à tous équitablement ? Eh bien, les normes.