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Revenu des plus riches, ampleur des inégalités, quand le fisc nous informe…

La Direction générale des Finances publiques a publié en janvier 2025 une note très intéressante sur Les revenus et le patrimoine des plus aisés en France (DGFIP-analyses, n°8).

 Si l’on isole des autres foyers fiscaux non pas les 10 %, non pas les 1% mais les 0,1 % les plus riches, soit en revenus, soit en patrimoine, l’on peut mesurer la concentration de la richesse et comparer sur longue période l’évolution des revenus et des patrimoines (et donc l’évolution des inégalités) entre la frange supérieure des plus aisés et les autres ménages : or, les premiers ont connu depuis 20 ans des progressions nettement meilleures. La note permet de mesurer les causes de cette évolution et, notamment, l’impact des évolutions législatives sur l’augmentation de la richesse des plus aisés.

Qui sont les plus riches ? Les 0,1 % les plus aisés en termes de revenus (40 700 foyers fiscaux) perçoivent en moyenne plus d’un million de revenu par an (1 030 000 euros, soit en tout 3,1 % de l’ensemble des revenus), contre un revenu moyen de 31 000 euros pour l’ensemble des autres foyers.

Quant aux 0,1 % des foyers les plus aisés en termes de patrimoine (ce ne sont largement pas les mêmes que les précédents, le recouvrement se limitant à 9 % du total), en 2016, dernière année où le fisc connaît leur patrimoine à la fois mobilier et immobilier grâce à l’assiette de l’impôt sur la fortune, leur patrimoine moyen dépassait 10 millions (soit 3,5 % du patrimoine total), avec une répartition de 79 % pour le patrimoine mobilier (7,8 millions d’euros en moyenne) et de 21 % pour l’immobilier (2,1 millions en moyenne). Aujourd’hui, le patrimoine immobilier moyen du 0,1 % de ménages qui, sur ce critère, dominent les autres (seul patrimoine connu depuis l’institution de l’IFI, qui ne frappe plus que la fortune immobilière) atteint 4,6 millions, contre 250 000 euros pour celui des autres foyers fiscaux.

Ces données sont des données avant impôts et redistribution sociales. Elles ne tiennent pas compte des revenus ou patrimoines non soumis soit à l’impôt sur le revenu, soit à l’impôt sur la fortune, sur la fortune immobilière ou à la taxe foncière, pas plus que des plus-values latentes des patrimoines mobiliers.

Au total, compte tenu des foyers qui relèvent à la fois du 0,1 % des plus aisés en termes de revenu et de patrimoine, on décompte 74 500 foyers qui peuvent être classés dans cette « petite tranche » des plus riches, sur les 40 700 000 foyers fiscaux que compte la France.

Quelle a été l’évolution de la richesse des « très riches » depuis 20 ans ?

Depuis 2003, dans les 0,1 % de foyers les plus riches en termes de revenus, le revenu moyen a augmenté beaucoup plus que celui des autres foyers, + 119 % contre + 46 % sur la période, soit, en valeur réelle de progression hors inflation, + 3 % par an contre + 0,5 % par an.

Quant à la valeur du patrimoine moyen des 0,1 % de foyers les plus riches sur ce plan, elle a doublé de 2003 à 2016, tandis que le patrimoine des autres foyers n’augmentait que de 59 %. Aujourd’hui, comme mentionné supra, le patrimoine des ménages les plus aisés en terme immobilier (le seul connu) s’établit à 4,6 millions alors que dans le panel des 0,1 % de 2016, il était de 2,1 millions.

Les évolutions constatées bénéficient spécifiquement aux plus riches : les personnes à revenu très élevé mais situées juste en dessous du 0,1 % étudié ont certes bénéficié d’une augmentation de leurs revenus plus importante que les foyers fiscaux situés encore en-dessous (depuis 2003, + 79 % pour le centile le plus riche et + 61 % pour les 9 centiles situées juste en dessous) mais qui n’atteint pas l’augmentation de 119 % des revenus constatée pour les 0,1 %. Les inégalités se creusent entre les très riches et les autres mais aussi entre les riches…

L’évolution d’ensemble très favorable des revenus des plus riches depuis 2003 n’a pas été linéaire.

Ainsi, pour ce qui concerne le patrimoine, la composante mobilière a fléchi en 2008 et 2011, sans beaucoup altérer cependant la tendance haussière du patrimoine d’ensemble, immobilier et mobilier.

Pour ce qui concerne les revenus du 0,1 % des plus riches sur ce critère, l’évolution est corrélée aux crises mais aussi aux mesures fiscales. Les revenus des plus riches ont baissé lors de la crise de 2008-2009-2012, baissé aussi lors de la décision en 2013 de soumettre les revenus mobiliers au barème de l’impôt sur le revenu. Mais ils ont considérablement augmenté (+28 % en un an) lors du remplacement de cette modalité d’imposition par une « flat-tax » en 2018, ainsi qu’en 2021, au sortir de la crise sanitaire. Au demeurant, pour les 0,1 % les plus riches en revenus, le taux moyen d’imposition à l’impôt sur le revenu a baissé sur la période 2003-2022, alors qu’il augmentait globalement, ce qui interpelle…

Qui sont les très riches ?

Les caractéristiques des très riches (que ce soit sur le critère du revenu ou du patrimoine) sont marquées : 50 % habitent en Ile-de-France ; ils sont plus âgés que la moyenne (53 % ont plus de 60 ans) et vivent en couple à 75 % (davantage que les autres). Leurs revenus sont plus diversifiés, compte tenu de la place prise par les revenus de capitaux mobiliers (43 %) alors que les revenus d’activité et pensions en représentent 38,5 %, le solde étant formé de bénéfices commerciaux, non commerciaux ou fonciers. Les indépendants actifs qui figurent parmi les très riches sont médecins, dentistes, sportifs ou exercent des activités juridiques ou financières.

Cette étude permet-elle de mesurer les inégalités ?

La note rappelle que le seul focus mis sur l’évolution du revenu des plus riches (surtout quand la tranche étudiée est celle des 0,1 % des foyers fiscaux) ne permet pas de comprendre pleinement l’évolution des inégalités : ainsi, sur la période étudiée (2003-2022), les très hauts revenus ne portent pas seuls l’explication du creusement des inégalités.  L’analyse fine des évolutions de l’indice de Gini (qui mesure la répartition des revenus dans l’ensemble de la population) est plus riche, à condition de l’étudier par groupes de revenu : en l’occurrence, sur la période 2003-2022, l’indice de Gini des revenus bruts a augmenté globalement de 0,45 à 0,47. De manière plus détaillée, l’augmentation des inégalités s’explique, pour l’essentiel, par une baisse du pourcentage de revenus du premier quartile (passé de 5,5 % de la masse d’ensemble des revenus à 4,6 %) et par une augmentation, à l’autre extrême, du 9e décile, dont la part dans la masse des revenus est passée de 32,4 % à 34,1 %. Dans ce dernier décile, si l’on sépare les 0,1 % des autres, les premiers passent de 2,1 à 3,1 % des revenus et les autres de 30,3 à 31 %.

Par ailleurs, il est vrai que, si l’on tient compte de la redistribution en intégrant l’impact des impôts et des transferts sociaux, la courbe de Gini a une allure différente : elle a certes augmenté entre 2003 et 2022 de 0,280 à 0,294, avec un pic dépassant 0,3 en 2011, témoignant ainsi d’une augmentation des inégalités. Mais l’indice a baissé depuis lors et se situe aujourd’hui au même niveau qu’en 2012. Selon cet indice, la France est un pays où les inégalités sont relativement faibles : ainsi, selon l’OCDE, la France est, pour l’ampleur des inégalités après redistribution, 16e sur 38 en 2021, pas loin du Canada et de la Suède. La redistribution atténue donc nettement les inégalités mais, en termes de politiques publiques, le système est très différent : il se présente comme curatif et généreux alors que la justice sociale pourrait conduire à agir davantage sur les revenus bruts.

L’évolution de l’indice de Gini est donc intéressante mais la mesure de l’écart entre les plus modestes et les plus riches est beaucoup plus parlante pour la population : ainsi, quand l’Insee montre (Revenus et patrimoine des ménages, Insee-références, 2024) que la masse des revenus individuels avant redistribution détenue par les  20 % les plus modestes est passée, entre 2007 et 2021, de 6,2 % à 5,3 % de la masse totale tandis que la part perçue par les 1 % des personnes les plus aisées est passée de 6,3 % à 7,7 %, le lecteur comprend à la fois l’évolution d’une politique et celle de la société. Quand la note de la DGFIP montre une baisse du pourcentage des revenus perçus entre 2003 et 2022 dans le premier quartile, dans le second, dans le troisième et même dans le quatrième jusqu’au 9e décile, seul celui-ci voyant sa part augmenter, on mesure que l’examen comparatif entre tranches de revenus est bien plus révélateur de la situation que l’évolution d’un indice global.

L’on dira que s’intéresser aux 0,1 % des plus aisés (ceux qui perçoivent en moyenne plus d’un million par an) relève du voyeurisme ou de la jalousie. Mais non : la disproportion par rapport aux besoins devient incompréhensible, voire scandaleuse. L’exigence d’équité perd tout sens quand on compare cette catégorie aux mères de famille monoparentales qui survivent avec 1000 euros par mois. Surtout, les 1 % les plus riches (a fortiori les 0,1 %) représentent une catégorie qui pèse sur les décisions politiques, plaidant qu’ils créent des richesses ou les font « ruisseler ». Ils font ainsi perdurer un système qui altère le consensus social, l’aspiration à l’équité et la valeur du travail.