La Fondation Jean Jaurès a fait paraître le 10 mars 2025 une note qui s’interroge sur l’échec de la LOLF, loi organique aux lois de finances, à permettre le rétablissement des finances publiques, d’autant qu’elle a été modifiée par une autre loi du 28 décembre 2021 dans le but exprès d’y parvenir. La thèse de la note est que cet échec s’explique par une information insuffisante du Parlement, qu’il faut, en prenant exemple sur le Congrès américain, doter d’outils de contre-expertise dans le domaine financier, pour encourager à ce niveau une évaluation des politiques publiques. Notons qu’un tel projet avait été caressé en 2017 par les parlementaires nouvellement élus avant que le Président de l’Assemblée nationale d’alors, Richard Ferrand, décide d’y renoncer.
La note de la fondation trace d’abord une histoire rapide de la LOLF, loi organique votée en 2001 et mise en place en 2006, qui définit le cadre dans lequel fonctionnent les lois de finances de l’État : jusqu’à l’échec de 2021, la note y voit « une formidable réussite administrative ». Il faut rectifier cette analyse : si les objectifs de la LOLF étaient séduisants, si la LOLF a eu des vertus, elle a échoué sur ses ambitions les plus fortes, qui n’étaient nullement administratives mais tout à fait politiques.
La LOLF a été adoptée sous l’influence du NMP, nouveau management public, mouvement d’idées venu des pays anglo-saxons, selon lequel le fonctionnement de l’État gagnerait à utiliser les méthodes des entreprises privées pour améliorer son efficience. L’État, considéré comme lourd, lent, difficile à déchiffrer, devait accepter une meilleure discipline budgétaire et, avant de reconduire plus ou moins mécaniquement les crédits accordés l’année précédente, devait évaluer son action grâce à des indicateurs de résultats.
La volonté de donner plus de poids et de qualité au vote parlementaire s’est alors traduite par trois mesures.
Tout d’abord, les crédits de la loi de finances de l’État n’ont plus été présentés et votés seulement par nature (crédits de personnel ou d’investissements) mais aussi par « mission » et « programmes », la mission correspondant à un grand pan de l’action publique (ainsi la mission « Sécurité ») et le programme à une politique plus circonscrite (ainsi le programme « Police nationale »). Amélioration incontestable, le vote portait non plus sur des crédits présentés par nature comptable mais par politiques publiques. Les crédits devaient être justifiés « au premier euro », pour éviter la reconduction, année après année, d’actions éventuellement devenues inutiles.
Deuxième grande modification, pour chaque programme, de grands objectifs ont été définis, assortis d’indicateurs de résultat pluriannuels. C’est au vu de tels indicateurs, portés à la connaissance du Parlement, que les choix budgétaires devaient être effectués, l’objectif étant d’améliorer les performances de l’État.
Enfin, cette fois-ci au niveau administratif, un « responsable national de programme » gérait celui-ci, répartissant entre les responsables de terrain les « plafonds de dépenses » correspondant à telle ou telle action et veillant à leur respect, tout en leur donnant (c’était du moins l’intention d’origine) une certaine liberté d’affectation des crédits aux gestionnaires locaux pour les responsabiliser.
Le bilan de la LOLF, très décevant, est assez peu discuté, même dans les rapports de la Cour des comptes (2011 et 2018) qui était, au départ, enthousiaste.
La LOLF a eu des effets positifs : la lisibilité du budget de l’État a été très nettement améliorée. La loi a de plus permis une gestion plus rigoureuse des crédits et des emplois publics. En revanche, dans la pratique, les gestionnaires locaux n’ont eu aucune marge de manœuvre supplémentaire : la LOLF est même devenue synonyme d’extrême contrainte, dans une période (après 2007 et 2008, sachant que la LOLF a été mise en place en 2006) où les moyens de l’administration ont été revus à la baisse. Quant à la démarche d’évaluation, elle a échoué : les indicateurs de résultats ne sont pas toujours inintéressants rencontrent d’évidentes limites. Nombre de politiques (diplomatie, qualité de la justice, protection de la population…) ne sont pas évaluables par quelques chiffres et mieux vaudrait ne pas utiliser d’indicateurs en ces domaines pour éviter le ridicule. D’une manière générale, l’évaluation des politiques publiques est complexe, liée à des facteurs multiples et les indicateurs doivent être choisis avec soin (les indicateurs de pure gestion, comme le nombre de contrôles effectués ou le coût de traitement d’un dossier, ont souvent peu de sens) puis être éclairés, discutés, remis en perspective. De ce fait, les indicateurs de la LOLF, souvent très pauvres, ont été très peu regardés et très peu utilisés, par les parlementaires, par les experts, par l’opinion, qui préfèrent (ils ont raison) les rapports d’experts. La LOLF, étroitement « budgétaire », n’a d’ailleurs pas entraîné une meilleure performance de l’État ni empêché la formidable dégradation des services publics depuis les années 2000 : l’on peut même la suspecter de l’avoir encouragée. Si l’on veut rationaliser l’action publique, mieux vaut réfléchir que de regarder des indicateurs à courte vue avec comme l’obsession de couper dans les dépenses.
Parler d’une « formidable réussite administrative de la LOLF » est donc surprenant. Proposer, comme le fait la note, d’étendre un dispositif proche aux collectivités territoriales en prévoyant une « loi de financement » récapitulant leurs recettes et dépenses n’a guère de sens : la Constitution interdirait qu’une telle loi soit coercitive et à quoi servirait d’élaborer un cadre purement indicatif d’objectifs de dépenses ?
La note de l’Institut Jean Jaurès est toutefois centrée sur l’échec de la loi organique de 2021 qui a modifié la LOLF pour parvenir, réduire le déficit et réduire la dette. De fait, cette loi, comme le montre l’évolution des finances publiques, n’a eu aucun effet. Son contenu est, il est vrai, très pauvre et l’on doute à la lire qu’elle ait pu redresser quoi que ce soit.
Pour l’essentiel, la loi rappelle aux parlementaires étourdis ou inattentifs que, lorsqu’ils votent une loi de finances annuelle, il leur faut penser à la loi de programmation pluriannuelle des dépenses publiques qu’ils ont votée au préalable et qui est censée guider leurs choix budgétaires sur 5 ans pour parvenir, miracle de la programmation, à une amélioration du déficit et de la dette.
La loi de 2021 est censée faciliter ce rapprochement : les lois de programmation des finances publiques chiffrent désormais en Mds les objectifs pluriannuels de dépenses publiques au lieu de les exprimer en points de PIB (c’est plus parlant). Les lois de finances annuelles comme les lois annuelles de financement de la sécurité sociale rappellent désormais dans un article liminaire l’ensemble des objectifs de finances publiques et des objectifs contenus dans la loi de programmation en vigueur (solde public effectif et structurel, dépenses publiques totales et dépenses publiques d’investissement, prélèvements obligatoires, endettement) : on n’a pas besoin de chercher dans ses papiers ce que disait la loi de programmation. Les objectifs rappelés sont mis en regard des résultats obtenus l’année précédente, des prévisions pour l’année en cours et la suivante. Enfin, s’agissant des dépenses, un « compteur des écarts » avec la loi de programmation est prévu qui figure, pour l’État, dans le rapport économique, social et financé annexé à la loi de finances.
Comme l’indique l’avis du Conseil d’État sur le projet de la loi organique de 2021, de telles dispositions « ne bouleversent pas le cadre de gouvernance de nos finances publiques ». L’échec était donc prévisible : la loi n’a servi à rien.
Que penser alors des propositions de la note de la fondation Jean Jaurès qui, pour rétablir les finances publiques, proposent d’améliorer l’information et la capacité d’évaluation du Parlement en le dotant, sur le modèle des États-Unis, d’une sorte de Congressionnal budget office ?
L’on peut difficilement refuser un projet qui augmenterait le temps que les parlementaires consacrent à l’évaluation des politiques publiques, même s’ils ont déjà à leur disposition une profusion de rapports souvent très clairs et très pertinents. De même, il est légitime d’insister sur l’impératif d’une bonne information du Parlement, dans un contexte où le ministre des Finances a présenté fin 2023, un projet de loi de finances 2024 qu’il savait inexécutable compte tenu des informations dont il disposait sur l’exercice 2023.
Pour autant, ne négligeons pas l’évidence : jusqu’à la dissolution de 2024, le bloc majoritaire a voté sans discuter ce que le pouvoir exécutif lui demandait de voter, y compris des aberrations comme la poursuite de la baisse des impôts dans une période d’explosion des dépenses COVID ou deux lois de programmation des finances publiques (2018-2022 et 2023-2027) que le Haut Conseil des finances publiques comme la Cour des comptes jugeaient non crédibles car assises sur des hypothèses invraisemblables. Le Parlement n’a pas manqué d’information, mais d’indépendance : le jeu institutionnel l’asservissait alors à l’exécutif qui disposait au Parlement d’une majorité soumise. Depuis la dissolution, le Parlement, en roue libre, divisé, sans boussole, n’a pas gagné en esprit de responsabilité : la discussion du PLF 2025 a été d’une indigence rare, d’une démagogie constante et d’un désordre pénible. Ces constats renvoient à la question de fond, celle d’un équilibre des pouvoirs qui n’est aujourd’hui pas le bon : avant de renforcer l’information et les moyens du Parlement, mieux vaudrait modifier cette réalité. Pour être efficace, un Parlement doit d’abord avoir du poids et ne pas être sous tutelle.
Sur le fond du débat, le manque d’information et d’expertise n’est pas la cause de l’incapacité du Parlement à maîtriser l’évolution des finances publiques.
Il n’existe en fait que deux moyens de parvenir à rétablir les finances publiques.
Le premier, c’est la contrainte : la décision de F. Hollande, en 2012, de ne pas inscrire dans la Constitution la supériorité des lois de programmation des finances publiques sur les lois de finances annuelles a été déterminante dans l’abandon de l’ambition de redressement. Un tel choix présenterait toutefois un inconvénient majeur : celui d’une excessive rigidité (les Allemands en font aujourd’hui l’expérience, qui veulent de l’air pour prendre des décisions politiques courageuses). C’est pourquoi aucun responsable public ne veut de cette réforme, trop contraignante. La réforme imposerait également que les lois de programmation, au lieu d’être, comme aujourd’hui, des lois de pur affichage construites à la va-vite pour garantir à la Commission européenne, en toute insincérité, que le déficit public sera très vite réduit, soient des lois réfléchies, étayées, construites sur des hypothèses macroéconomiques vraisemblables. De telles lois devraient sans doute être rectifiables de manière glissante, tant des prévisions macroéconomiques à 5 ans manquent de portée.
La seconde méthode passe par l’application d’un rapport de la Cour des comptes de juin 2021, Une stratégie de sortie de crise pour les finances publiques. La Cour propose de piloter les dépenses publiques en organisant des « revues de dépenses », avec la volonté de s’interroger sur leur nécessité, leur effet sur la croissance, leur équité, leur qualité et leur cohérence. La décision serait, in fine, de les maintenir, de les réduire ou d’y renoncer. La Cour demande à ce que le pilotage soit prudent mais déterminé, mené sur le long terme, avec des arbitrages de nature politique, pour que les citoyens et leurs représentants soient informés des choix étudiés voire les infléchissent.
Une note du Conseil d’analyse économique (Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? CAE, juillet 2017) avait déjà recommandé, pour travailler au rétablissement des finances publiques, d’utiliser les « revues de dépenses ». Elle préconisait d’agir plutôt en période de croissance, de coupler ces revues avec des programmes d’investissement public et de préserver les mécanismes de redistribution. De même, elle recommandait de préserver certains domaines (justice, police) de toute coupe arbitraire et de favoriser les domaines à fort impact sur la modernisation du pays.
Au final, la France devrait engager des efforts de redressement mais en choisissant son moment et en veillant à ce que les choix présentés soient plaidés, dénués d’effets pervers pour la croissance et, le plus possible, acceptés. La perspective est belle : mais elle demande de l’intelligence, du temps, de la persévérance et de la continuité ainsi que la capacité à parler à l’opinion publique. Quel régime démocratique a aujourd’hui ces qualités ? Jusqu’alors, pas le nôtre.
Reconnaissons qu’aucun moyen technique ne permet d’atteindre un objectif politique aussi difficile que le rétablissement progressif d’équilibres financiers acceptables : seule joue la volonté. Nos responsables publics ont démontré, exécutif et parlementaires confondus, jusqu’ici, ils ne l’avaient pas.