Affaire Pénélope : réussir à moraliser la vie publique ?

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Affaire Pénélope : réussir à moraliser la vie publique ?

François Fillon est accusé d’avoir rémunéré son épouse en tant qu’assistante parlementaire, emploi qui aurait été fictif. Il l’aurait fait quand il était député de la Sarthe, puis, en 2012, député de Paris, mais seulement 6 mois : coïncidence ou effet de la loi de 2013 sur la publicité des déclarations d’intérêts et les revenus des conjoints, il n’a pas renouvelé le contrat en 2013. Son suppléant aurait fait de même de 2002 à 2007. Si cette accusation se vérifie, il s’agit, pour une personne en charge d’une mission publique, d’un détournement de fonds publics, sanctionné par l’article 432-15 du Code pénal (10 ans de prison et une amende de 1 million).

Faut-il durcir la réglementation sur les déclarations d’intérêts et de patrimoine ?

Si l’on met sous le terme de « moralisation de la vie publique » les efforts engagés depuis 2013 de surveillance des interférences entre l’intérêt public et un ou des intérêts privés et de contrôle de l’évolution du patrimoine pendant les mandats politiques, nous n’y sommes pas : « l’affaire Pénélope » ne révèle ni conflits d’intérêts ni corruption par un tiers. Elle ne serait qu’une malhonnêteté, destinée à améliorer les revenus du ménage. Il ne serait donc pas nécessaire de renforcer les textes qui, depuis les lois du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, réglementent les déclarations d’intérêts et de patrimoine des parlementaires, membres du gouvernement, élus locaux et hauts fonctionnaires.

Pour autant, il devient urgent d’appliquer aux parlementaires, qui rémunèrent leurs assistants avec de l’argent public, une règle simple, explicable par les caractéristiques particulières d’un tel emploi : pas de contrat de travail avec un membre de sa famille ; surtout, le contrat doit être signé par l’assemblée en cause, avec délégation au parlementaire de l’autorité de l’employeur, sans passer par une enveloppe mise à disposition du parlementaire et dont il risque de faire mauvais usage.

Renforcer le régime des incompatibilités pour les parlementaires

« L’affaire Pénélope » en cache une autre, plus grave, celle de la société de conseil que F. Fillon a créée en 2012, dont il a tiré 70 000 euros de revenus en 2012 (sur 6 mois) et 142 500 en 2013 (1). Cette activité est légale : les textes n’interdisent pas, en effet, à un parlementaire de mener une activité de conseil (qui est en général un conseil en affaires, auprès des entreprises) s’il l’exerçait avant d’être élu. Or, F. Fillon a fondé sa société quelques jours avant d’être élu député de Paris en juin 2012 : il peut donc en être le gérant et cumuler cette activité avec celle de représentant de la Nation. En 2013, la loi relative à la transparence de la vie publique, cherchant à encadrer ce type d’activités, avait prévu d’interdire aux parlementaires toute activité de conseil dès lors qu’ils ne l’avaient pas exercée sous le statut d’avocat avant le début de leur mandat. Cette timide disposition a été invalidée par le Conseil constitutionnel qui a jugé qu’elle «excédait manifestement ce qui est nécessaire pour protéger […] l’indépendance de l’élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d’intérêts » (2). Le Conseil constitutionnel est au demeurant systématiquement réticent devant la transparence : il a retiré de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique les dispositions obligeant les grosses multinationales à publier le montant des impôts dont elles s’acquittent dans les différents pays parce qu’elles porteraient « une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre » (3).

Il est pourtant peu compréhensible que les parlementaires exercent des activités annexes lucratives, encore plus lorsque celles-ci, par nature, les exposent à conseiller des entreprises, des lobbies, voire des organismes étrangers dont les intérêts peuvent s’opposer à l’intérêt public. En 2015, l’association Transparency, qui a exploité les déclarations officielles des parlementaires, conclut qu’un tiers n’a aucun revenu annexe, un tiers ayant des revenus annexes de moins de 25 000 euros/an et un tiers des revenus importants, de 150 000 à plusieurs millions. Qui vérifiera toutes ces activités ? Comment résister alors au soupçon de trafic d’influence ?

Aggraver les peines encourues

Les peines infligées aux élus qui ont détourné de l’argent public, longtemps symboliques, deviennent plus sévères : récemment, Paul Giaccobi a été condamné à 3 ans de prison ferme et Claude Guéant à 2 ans, dont un an ferme. Au-delà, le rapport Nadal de 2015 sur l’exemplarité des responsables publics propose de rendre automatique une peine d’inéligibilité longue pour les élus ayant manqué au devoir de probité. La population devrait comprendre cette rigueur qui, dans une récente étude (4), plaçait l’honnêteté en tête de toutes les valeurs, avant la liberté, la famille, le travail, la justice ou l’ordre. A défaut que les élus comprennent spontanément la nécessité de la vertu, la menace d’une sanction de ce type pourrait les faire réfléchir.

Intégrer la déontologie dans la pratique quotidienne des gouvernants et des éducateurs

La répression ne suffit pas : dans une France où les lois n’ont évolué que depuis peu, la morale professionnelle n’est pas intégrée dans les comportements. La déontologie (et les questions compliquées qu’elle pose) doit être beaucoup plus présente, dans l’éducation, dans l’entreprise, dans le service public. Il faut ainsi réfléchir aux conclusions de la récente enquête de l’association Formindep publiées ce mois de janvier 2017 : alors que, depuis des années, le débat public tourne autour des conséquences nocives des liens entre experts médicaux, médecins prescripteurs et industries pharmaceutiques, dans 28 facultés sur 37, aucun enseignement n’est en place sur les conflits d’intérêts. Les doyens ne comprennent parfois même pas la question posée. Le ministère de la santé lui-même a manqué à des obligations déontologiques de base en 2016 en faisant travailler des experts non indépendants sur l’étiquetage alimentaire. La déontologie et la transparence ne sont que des références obligées dans les discours. Elles n’ont pas pénétré les esprits. C’est pourtant urgent, car la défiance ne cesse de progresser en France à l’égard des institutions et des notables.

Suzanne Maury, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon.

(1) Ces informations figurent sur la déclaration d’intérêts de F. Fillon en date de 2014 publiée sur le site de la Haute autorité de la transparence
(2) Décision 2013-675DC du 9 octobre 2013
(3) 2016-741 DC 8 décembre 2016
(4) Fractures françaises, Enquête Ipsos/sopra steria, pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et Sciences-po, avril 2015