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Changer l’Europe ?

S’il est un sujet sur lequel les candidats à l’élection présidentielle ne sont pas attendus, c’est l’Europe. Non que les Français soient majoritairement défavorables à l’Union. Leur opinion est ambivalente, comme le montre une enquête IFOP de 2016 (1) : ils ne lui sont plus majoritairement attachés (44 % contre 56 %) mais ils pensent qu’elle améliore la protection contre le terrorisme (à 62 %) et que le pays est, grâce à elle, mieux armé contre la concurrence (59 %). D’autres études révèlent davantage de doutes : selon le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF de 2017, 42 % des Français pensent que l’Europe est une bonne chose, 24 % la jugent mauvaise mais un pourcentage énorme de 33 % ne la juge ni l’un ni l’autre, comme si elle était trop ambivalente pour être appréciée. Cette adhésion, même du bout des lèvres, va sans doute empêcher le Front national, hostile au maintien dans l’Union, de gagner l’élection présidentielle : la démonstration de Terra Nova sur les conséquences néfastes de la sortie de l’euro (2) est largement partagée. Pour autant, la relation des Français avec l’Union comme avec la monnaie unique est sans affect, pleine de réticences.
Il est d’autant plus étonnant dans ce contexte, que deux des principaux candidats (Emmanuel Macon et Benoît Hamon) portent un projet européen ambitieux.

Macron et Hamon : vers une gouvernance de la zone euro

Le programme d’Emmanuel Macron avance vers une Europe de la Défense, réforme le marché carbone de l’Union et la politique agricole commune. Surtout il crée un Parlement de la zone euro. Celle-ci serait dotée d’un budget destiné aux investissements d’avenir et à l’assistance financière en cas de crise. Le respect de normes fiscales et sociales communes deviendrait une condition pour émarger à ce budget. Ce serait également une des conditions pour que l’Union signe avec un autre pays un accord commercial.
Quoi qu’en dise Thomas Piketty qui a élaboré le programme européen de B. Hamon, celui-ci ressemble fort à celui d’E. Macron, sauf sur un point : alors que le projet Macron se présente comme destiné à améliorer la cohérence et la bonne gestion de la zone euro, le projet Piketty est plus « agressif ». Le but affiché est de changer l’orientation des politiques européennes. Hostile à une politique budgétaire restrictive qui a, selon lui, étouffé la croissance en Europe depuis 2011, Piketty pense de nouvelles institutions pour de nouveaux choix : il a même rédigé avec d’autres universitaires un projet de « Traité de démocratisation de la zone euro » où il appartiendrait à un Parlement de la zone de superviser la politique mise en œuvre. Or, ce Parlement, émanation des parlements nationaux, serait composé au prorata des populations, ce qui mécaniquement modifierait le poids des pays et affaiblirait le rôle de l’Allemagne. Le nouveau traité accentuerait de plus le caractère supranational de l’Union : le budget de la zone euro serait alimenté par un impôt commun sur les sociétés et les dettes publiques au- delà de 60 % seraient mutualisées. Peut-être par souci de moins provoquer, le projet Macron, moins précis, est beaucoup plus soft, le Parlement de la zone euro n’étant ainsi que le Parlement européen réduit aux députés concernés. Seule la proposition d’une relative harmonisation sociale et fiscale semble audacieuse mais cela reste à voir.

Des réformes capitales …

Le choix du statu quo, qui permettrait de remiser dans un placard la question de la convergence économique et sociale des pays de l’Union en attendant des jours meilleurs, n’est malheureusement pas en option.
La question n’est pas conjoncturelle : certes, en imposant à tous les pays, quelle que soit leur situation économique et sociale, des plans de réduction des déficits pour sauvegarder leur capacité à couvrir leur dette, l’Union a amplifié les écarts. La plupart des pays endettés ont alors massivement réduit les dépenses publiques (la France a fait exception), réduit la protection sociale, flexibilisé le marché du travail et appauvri les ménages. Le traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance a ensuite inscrit dans le marbre des normes de gestion, ce qui est une aberration, même si la sévérité de la surveillance s’est récemment desserrée.
Tout n’est pas, cependant, dû à la crise : une étude de l’institut Coe-Rexécode de 2013 indiquait que celle-ci n’avait fait que révéler le caractère artificiel de la « convergence » entre pays que l’Union prétendait atteindre, sans atténuer les différences fondamentales en termes de compétitivité, de fiscalité et de modèle social. Dans une zone unifiée commercialement et monétairement, le capital va s’investir là où il est le plus rentable et là où lui sont offertes les meilleures conditions (une population formée, une stabilité juridique, un territoire aménagé, une fiscalité raisonnable). Sans mécanisme correcteur, déconnectée de l’Etat, l’union monétaire aboutit à renforcer les forts et à affaiblir les faibles. De fait, en base 100 en 1999, la productivité globale des facteurs est passée à 105 en 2013 pour les pays du nord de l’Europe et à 97 pour les pays du sud, dont la France. Faute de solidarité (mutualisation de la dette, aides aux investissements stratégiques, encouragement à la mobilité), les pays du sud vont peu à peu étouffer, tandis que le nord, dont l’excédent commercial est la contrepartie du déficit des autres, s’en sort de mieux en mieux. L’on mesure combien serait indispensables un Parlement et un budget de la zone euro pour s’attaquer à ces déséquilibres qui vont croître.

…auxquelles on ne parvient pas à croire.

Les opinions publiques, qui se sont détournées de l’Union lorsqu’elle a cessé de représenter une Europe du bien-être et de la sécurité économique, n’ont pas du tout conscience du danger d’une monnaie sans Etat, sans solidarité forte entre zones inégalement développées, productives, endettées. De la mauvaise gouvernance de la crise et de la transformation de l’Union en garde-chiourme budgétaire, elles tirent argument pour refuser toute dépossession supplémentaire de souveraineté. L’Union elle-même, qui a sans cesse esquivé la question du politique (et, au final, de la vie démocratique), ne veut pas changer. Les deux propositions d’E. Macron et de B. Hamon tracent la seule voie possible pour sortir d’une impasse dangereuse. Mais elles supposent toutes deux une réforme fondamentale des traités actuels, dont personne ne veut. Bref, le risque du statu quo est fort, avec des conséquences sur la croissance et le délitement progressif de l’Union. L’espoir existe mais il est vraiment mince.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon

(1) Le regard des Français sur l’Europe, IFOP, octobre 2016
(2) Sortie de l’euro, les petits paieront, terra Nova, mars 2017