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Planification écologique, qu’y a-t-il de nouveau?

Le 25 septembre dernier, après des mois de retard et d’hésitation, E. Macron a présenté à la presse la planification écologique annoncée, 18 mois auparavant, dans son programme présidentiel. L’exercice a duré une demi-heure, moins que le discours de Marseille où, en avril 2022, le candidat E. Macron promettait que la France deviendrait une grande nation écologique, « la première à sortir du gaz, du pétrole et du charbon » et que son quinquennat serait écologique ou ne serait pas.

Les annonces de septembre 2023  

De cette présentation, les journaux ont retenu une tonalité générale et quelques thèmes. La tonalité, c’est d’abord la revendication d’une « écologie à la française », une écologie « de progrès » (« ni déni, ni rupture » comme disent les communicants), sans interdiction et sans contrainte ni pour les ménages ni pour les entreprises : « nous avons décidé d’encourager nos concitoyens… », dit le Président. C’est, en second lieu, l’assimilation de la planification écologique à un plan de croissance et de production, dynamisation de filières industrielles françaises et souveraineté écologique : mais il est vrai que, déjà, dans le programme de la campagne de 2022, la planification écologique faisait partie du « Pacte de production », tout comme la réindustrialisation, le dialogue social et le développement du numérique.

Quant aux thèmes évoqués le 25 septembre, il a été question, pour atteindre d’ici 2030 une réduction des émissions de GES de 55 % par rapport à 1990, de l’augmentation des aides pour la rénovation thermique des bâtiments, du déploiement des pompes à chaleur et des véhicules électriques (l’objectif est d’avoir un million de voitures électriques produites en France en 2027), de la construction de 13 RER métropolitains, de la sortie du charbon, maintes fois annoncée, cette fois-ci d’ici 2027, du contrôle du prix de l’électricité, avec enfin l’évocation des perspectives offertes par l’hydrogène et par la captation du carbone : le Président n’a pas vraiment parlé d’écologie, il a parlé de politique sociale, de technologie et de développement industriel. Évoquer le leasing à 100 euros par mois, c’est d’abord évoquer le développement d’une filière française de petits véhicules électriques subventionnés par un bonus écologique qui serait refusé aux voitures produites à l’étranger, dont les voitures chinoises.

Dans ces annonces, il n’y a absolument rien de nouveau (tout a déjà été dit), sauf, c’est vrai, de l’argent en plus, ce qui n’est pas rien s’il est bien utilisé. 7 Mds supplémentaires sont ainsi consacrés dans le budget 2024 à la transition écologique : 1,6 Mds pour la rénovation des logements, la même somme pour les transports (dont une part pour réaliser le plan annoncé en faveur du ferroviaire et une autre pour le développement des voitures électriques), 2,1 Mds pour la décarbonation de l’énergie et du chauffage, le reste étant absorbé par des politiques qui paraissent nécessaires (celle de l’eau) ou sont plus douteuses (développement des aires protégées, pas très utiles à la protection de la biodiversité, ou incitation à utiliser moins de pesticides, méthode utilisée sans résultats probants depuis 15 ans).

Toutefois, l’ensemble des mesures annoncées, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un « train de mesures » comme on en a connu des milliers de fois, n’a rien d’une planification écologique telle qu’elle a été esquissée depuis 2020 par des économistes et des ingénieurs impatients de définir une nouvelle méthode de travail pour mieux préparer la transition du même nom.

Qu’est-ce que la planification écologique (la vraie) ?

 Tous les instituts (I4CE), organismes universitaires (IDDRI), entreprises (Carbone 4), think-tanks (Terra nova, Shift project) ainsi que d’innombrables experts ont travaillé à définir la planification écologique. La méthode et les techniques à mettre en œuvre sont aujourd’hui clairs.

Une telle planification s’inscrit dans un contexte particulier marqué de difficultés massives.

D’abord la difficulté du temps : une tribune de D.Béhar, S.Czertok et X.Desjardins parue dans Le Monde en juin 2022 soulignait les différences entre cette nouvelle planification et celle des trente glorieuses d’après-guerre. Naguère, le présent était piloté et l’on s’interrogeait sur le plus long terme. Aujourd’hui, les objectifs à atteindre en période lointaine (2030 ou 2050) font l’objet d’un consensus et ce sont les trajectoires des actions décidées aujourd’hui dont l’impact interroge. Que devons-nous faire aujourd’hui pour atteindre les objectifs visés ? devient une question majeure. La question du « déroulement » est également déterminante : par quoi commencer ? Par quoi enchaîner ensuite ? Comment réajuster si les résultats déçoivent ? La planification s’étalera sur la durée.

Ensuite l’ampleur du domaine à couvrir : à la différence des planifications précédentes, le travail « par secteurs » n’est pas possible. L’incohérence d’une politique avec les autres entache les résultats d’ensemble. De même tous les décideurs sont impliqués : la question de l’organisation est essentielle, entre l’État et les entreprises, entre l’État et les collectivités. La difficulté ici est politique : l’inégale mobilisation des acteurs est source d’inquiétudes ; la puissance de l’État est en cause : alors qu’il ne parvient pas aujourd’hui à piloter les politiques publiques les plus banales, il se retrouve en face d’une tâche titanesque, lui dont l’autorité et la légitimité sont altérées.  Surtout, l’impact sur le citoyen, sur l’usager, sur le consommateur est un paramètre capital : comment garantir l’acceptabilité ?

 Enfin, la transition a un coût important qui s’étalera sur plusieurs années, sans doute une décennie, et dont une large part sera public, car il est certain que les incitations financières joueront un rôle massif : quel montant ? qui paye ? quel plan pluriannuel collant au calendrier des actions ?

 Pour répondre à ces questions, les universitaires, associations et experts du climat demandent que soit définie une planification concrète, chiffrée et publique, loin de l’accumulation de mesures ponctuelles et mal évaluées des lois actuelles. Les travaux de l’I4CE sur la « planification écologique » ou ceux de l’association « Shift Project » sur le plan de transformation de l’économie française sont des modèles qui peuvent inspirer les décideurs. Ces études cherchent à définir un « chemin » cohérent et méthodique, avec définition et chiffrage des objectifs, mesure de leurs conséquences, fixation des étapes de réalisation, coordination des acteurs, estimation des moyens dont ils peuvent disposer. Ces premiers travaux de planification insistent sur le suivi des résultats et la capacité à rectifier les plans au fur et à mesure de leur exécution et à gérer les imprévus ou les difficultés.

Désormais une planification officielle devient urgente, si du moins l’on prend au sérieux la notion de transition écologique.

En outre, compte tenu de leurs conséquences sur la vie des personnes, ni le rythme de la transition, ni ses cibles, ni son financement ne peuvent faire l’impasse sur un débat démocratique que les partis traditionnels sont manifestement incapables de mener, eux qui utilisent la transition comme un clivage à exploiter politiquement : à gauche, le thème est instrumentalisé et à droite, l’impératif écologique est nié, remplacé par un phantasme rassurant, l’écologie « de bon sens » ou « positive » qui prône le développement de la production agricole pour garantir la souveraineté alimentaire, la baisse des prix de l’essence pour permettre les déplacements de tous, le rejet des réglementations qui altèrent la compétitivité des entreprises et le recours à la science et au nucléaire pour le reste. Au milieu de ces débats, la population éprouve des craintes légitimes : quelles conséquences d’une transition ambitieuse sur les déplacements, l’emploi, le pouvoir d’achat ?  De fait, comment donner une légitimité politique à des choix difficiles ?

Le Président de la République répond manifestement qu’il suffit de ne pas les prendre.

Des annonces ridicules

 Les ONG écologiques ont toutes commenté le plan d’E. Macron comme « insuffisant ». Cette appréciation les piège : la Première ministre a beau jeu de souligner l’enjeu de réalisme face à la radicalité. De fait, il ne suffit pas d’afficher une liste de mesures fortes face à un plan officiel dérisoire. Il faut aussi convaincre de l’inanité d’un tel plan.

En indiquant dans une même intervention les objectifs (-55 % de GES) et les mesures prises, le discours politique laisse croire que celles-ci y parviendront : or, c’est très certainement faux.

Déjà, une étude produite devant le Conseil d’Etat lors du recours Grande-Synthe (L’Etat français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ? Carbone 4, février 2021) a relié les indicateurs jugés structurants pour l’atteinte des objectifs visés (nombre de logements rénovés en 2030 si la politique ne change pas, ampleur du parc de voitures à faible émission à cette échéance, taille du cheptel bovin…) aux objectifs de réduction des GES inscrits dans les textes. Les résultats ont montré que les cibles 2030 n’étaient pas atteintes : pas assez de logements pleinement rénovés, pas assez de véhicules électriques, pas assez de trafic ferré, trop de cheptel bovin …et trop d’émissions de GES.

Aujourd’hui,  l’on peut bien augmenter les crédits de la rénovation énergétique des bâtiments : si la politique suivie n’est pas efficace, c’est de l’argent gaspillé.  Selon la Cour des comptes (Premiers enseignements du déploiement du dispositif Ma PrimeRénov, septembre 2021), 86 % des chantiers actuels de rénovation recouvrent des « mono-gestes » (installation de nouvelles fenêtres ou nouveau chauffage) dont on ne sait pas s’ils réduisent effectivement la consommation d’énergie, et, s’ils le font, dans quelle mesure. Les rénovations complètes (isolation rigoureuse et complète et changement du mode de chauffage), les seules qui garantissent une baisse des émissions, sont en nombre inconnu, sans doute très minoritaires, et cela alors que les objectifs inscrits dans la stratégie nationale bas carbone reposent sur « l’équivalent de 370 000 rénovations complètes » par an d’ici 2030. Il y a déconnexion entre les objectifs visés et la politique menée.

Par ailleurs, on peut bien viser un million de véhicules électriques produits en France en 2027. La question essentielle (si l’on s’intéresse aux émissions de GES et non pas à l’équilibre de la balance commerciale) est de savoir le nombre de véhicules à faibles émissions qui circuleront en 2030 et quelles seront les habitudes de circulation. Fin 2022, le nombre de véhicules électriques et hybrides rechargeables est estimé à 1,1 million, ce qui est une belle performance. Mais cet ensemble recouvre des performances écologiques disparates :  la réduction des GES des véhicules hybrides est faible et, compte tenu des batteries, celle des véhicules électriques dépend de leur poids, de leur utilisation et de leur kilométrage.  Reste aussi que 1,1 millions de véhicules à faibles émissions, cela ne représente que 3 % des véhicules particuliers :  97 % roulent encore à l’essence ou au gazole. Un parc à 5 ou 10 % de voitures électriques ou assimilées en 2030 n’est pas utopique si le marché voit arriver des modèles plus petits et pas trop chers : pour autant, il restera 90 ou 95 % de voitures essence ou diésel. Et ne parlons pas des camions, qui émettent 47 % des émissions liées au transport routier et pour lesquels l’électrification est beaucoup plus compliquée. Dans ces conditions, c’est une politique globale qui est à construire : réduire les déplacements, accélérer le report modal sur les transports collectifs, développer le fret ferroviaire qui est très faible et rendre plus dissuasif, peu à peu, le recours à l’essence. Cette politique globale, le Président n’en a pas dit un mot.

De même, le train de mesures annoncées ne dit rien de l’agriculture ni de la décarbonation de l’industrie, laisse perdurer les dépenses fiscales favorables aux énergies fossiles, y compris dans le secteur des transports, n’évoque pas la politique terrifiante des compagnies pétrolières ni non plus le développement des ENR pour pourvoir aux besoins en électricité. Il ne dit pas un mot d’un plan pluriannuel de financements, alors même qu’un rapport sur ce sujet, commandé par le gouvernement « pour nourrir l’évaluation socio-économique de la nouvelle stratégie française sur l’énergie et le climat » a été publié en mai 2023 (Les incidences économiques de l’action pour le climat, J. Pisani-Ferry ) et aussitôt jeté aux oubliettes. Il ne mentionne pas davantage le nécessaire débat à avoir sur les priorités de la transition. Il est vrai que, si la transition n’a pas de vrai contenu, prévoir un financement pluriannuel n’est pas nécessaire, pas plus qu’il n’est nécessaire de demander leur avis aux citoyens sur un plan inintéressant … qui ne résout rien.

Un calcul politique erroné

Le paradoxe est que, pendant qu’E. Macron, par opportunisme politique, réduit la transition à un processus anodin, l’administration travaille…et publie. Le Secrétariat général à la planification écologique placé auprès de la première ministre, créé en 2022 pour appliquer les promesses électorales du candidat Macron, a élaboré un plan écologique bien plus complet, plus solide, sans doute plus crédible, il est vrai non chiffré, ce qui permet de proclamer des objectifs ambitieux sans grand risque. Mais que vaut la définition d’une politique techniquement fondée sans portage politique ni engagement financier ?

Les commentateurs politiques expliquent qu’en agissant ainsi, le Président de la République, face à une opinion française et européenne tentée de se révolter contre les mesures contraignantes décidées pour lutter contre le dérèglement du climat, entend la rassurer. Sa priorité serait d’éviter d’alimenter le vote de la droite et de l’extrême droite. Le risque est, par lâcheté, d’avoir les deux, à la fois les conséquences de l’inaction climatique (elles sont déjà perceptibles et le seront plus encore demain) et la droite au pouvoir. Le rôle d’un homme politique, c’est d’affronter les difficultés et de convaincre les citoyens de les affronter avec lui, pas de les mettre sous le tapis en espérant qu’elles disparaîtront : elles ne disparaîtront pas.

Pergama, le 3 octobre 2023