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Union européenne et produits chimiques dangereux : changer de méthode

La médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a publié le 21 octobre 2024 une « Recommandation à la Commission européenne » sur la gestion des risques liés à l’utilisation des substances chimiques dangereuses. Dans la marge, la note rappelle « le problème » examiné : « manque de transparence proactive / absence de décision en temps utile ».

Rappelons d’abord la teneur et le mode de fonctionnement du règlement européen Reach (Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques), destiné à encadrer le recours aux substances chimiques en Europe. Les industriels qui produisent ou importent des substances chimiques doivent les déclarer à l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) et lui transmettre des informations, notamment sur leurs propriétés physico-chimiques et toxicologiques. Ils doivent identifier les risques, montrer comment la substance peut être utilisée sans danger et indiquer les recommandations faites aux usagers. Sur ce fondement, si la substance apparaît comme dangereuse ou très dangereuse, elle peut être soumise à autorisation préalable (une évaluation approfondie est réalisée dans ce cas), à des conditions restrictives ou à une information du consommateur.

L’obtention de l’autorisation préalable implique le recours à deux comités d’experts, l’un qui doit se prononcer sur les risques (l’autorisation n’est accordée que si ceux-ci sont maîtrisés) et l’autre sur l’intérêt socio-économique (l’autorisation n’est accordée que si les avantages l’emportent sur les risques et, en particulier, s’il n’existe pas de produit de remplacement). La décision est soumise ensuite par la Commission au Comité Reach, où siègent des représentants des États. Les décisions sont susceptibles d’être soumises aux juridictions de l’Union.

Disposition importante et très favorable aux industriels, si l’entreprise a présenté sa demande dans un délai conforme aux règles, elle peut utiliser la substance chimique tant que la décision éventuelle d’autorisation ou de restrictions d’usage n’est pas prise. Surtout, la décision doit en théorie être prise dans les 3 mois. En réalité le processus peut prendre beaucoup plus de temps, des années parfois, pendant lesquelles le produit, pourtant considéré comme « très préoccupant », est utilisé librement. La moyenne de délivrance de la décision est de 14,5 mois, la durée médiane étant de 19 mois pour les décisions de restrictions d’usage et de 23 mois pour les décisions d’autorisation. C’est cette question des délais que veut traiter la médiatrice.

Selon la Commission, les délais sont dus à des dossiers parfois incomplets, à la nécessité de prendre l’avis de deux Directions générales, à la nécessité aussi d’étudier soigneusement le dossier pour présenter l’avis des experts à la Commission Reach.  La médiatrice répond que la Commission doit s’arranger avec ses procédures internes pour respecter les délais, que toute incertitude grave doit permettre de motiver le rejet d’autorisation compte tenu des risques pour la santé publique, que les dossiers incomplets en termes d’informations doivent être rejetés d’office sans solliciter l’entreprise pour qu’elle complète son dossier et que la Commission n’a pas à construire sa propre appréciation après celle des experts. Elle conclut donc à une « mauvaise administration » et demande une modification des pratiques

Le cas d’école est intéressant à plusieurs titres, pas seulement en termes de procédure administrative : d’abord il traduit assez clairement le soupçon de la médiatrice sur les méthodes de la Commission et sur sa parfaite loyauté quant au traitement d’autorisations de produits chimiques, sans aucun doute considéré comme un dossier « sensible ». L’allongement des délais traduirait surtout, on le devine, le surcroît de précautions prises pour ne pas irriter les entreprises. Le dossier insiste aussi, sans doute volontairement, sur le fait que, tant que la décision n’est pas prise, l’entreprise a toute liberté d’utiliser le produit, ce qui s’agissant de « substances extrêmement préoccupantes » (c’est la dénomination européenne pour les produits soumis à autorisation) ne peut que conduire à exiger une accélération du processus.

Enfin, la médiatrice ne peut pas ignorer que ce dossier s’inscrit dans un contexte marqué, depuis des années, par une demande de réforme du règlement Reach, considéré comme inadapté. En 2020, au moment de la présentation du Green deal, puis à nouveau en 2022, la Présidente de la Commission avait promis cette révision, précisant même, en 2022, dans une « feuille de route », qu’elle souhaitait éliminer des produits de grande consommation toutes les substances chimiques dangereuses (on pense bien sûr au bisphénol A ou au PFAS dans les outils culinaires). La révision du règlement Reich était alors annoncée pour la fin 2022. Il était question, pour élargir la prise en compte du risque, que l’évaluation ne se fasse plus par substances (molécules) mais par familles de produits (par exemple l’appartenance aux PFAS, polyfluoroalkylées que l’on trouve dans les lubrifiants, les mousses, les cosmétiques, les textiles, les emballages et qui contaminent les produits alimentaires) ; que le règlement prenne en compte la déclaration et la prise en compte des perturbateurs endocriniens, ignorés aujourd’hui ; qu’il fasse de même pour les « mélanges » de substances, qui ont parfois une nocivité propre ; enfin que certains produits puissent être interdits de manière circonscrite, usage grand public ou usage professionnel. Or, de report en report (les commentaires soulignent parfois que la Présidente de la Commission est allemande et très attachée aux industries de son pays), la révision du règlement Reach a été plusieurs fois retardée. Elle est aujourd’hui prévue pour courant 2025. Dans cette perspective, le nouveau commissaire à l’industrie a annoncé récemment son intention « d’interdire les PFAS dans les utilisations par les consommateurs, comme les cosmétiques, les matériaux en contact avec les aliments et les vêtements d’extérieur. Et de soutenir leur utilisation dans les applications industrielles, en particulier les plus critiques, dans des conditions strictement contrôlées jusqu’à ce que des substituts acceptables soient trouvés ».  

 Le dossier est donc à suivre : gagner du temps a toujours été une des techniques préférées des lobbies. Peut-être cela va-t-il cesser. Restera le débat sur le fond de la réforme, qui est loin d’être terminé.