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Finances publiques, petite panique et réactions politiciennes

L’Insee a annoncé ce mardi 26 mars la situation des finances publiques constatée à fin 2023, mais l’on savait déjà depuis plusieurs semaines que le déficit public, prévu à 4,9 points de PIB dans la loi de finances pour 2024 promulguée il y a 3 mois, le 28 décembre 2023, s’établira en réalité à plus de 5 % (le Sénat disait 5,6 %, ce sera finalement 5,5 %) soit nettement au-dessus.

L’annonce de cette dégradation ne date pas en effet de ces derniers jours, où une mission du Sénat s’est solennellement rendue au ministère des finances, le 21 mars dernier, pour demander confirmation de ce chiffre qui avait fuité. Le ministre de l’économie avait annoncé dès janvier que le chiffre de 4,9 % ne serait pas tenu. Il avait ensuite revu, en février, l’estimation de croissance 2024 sur laquelle reposait la loi de finances, la diminuant de 1,4 % à 1 %, 2 mois seulement après le vote du budget, ce qui modifie sans aucun doute l’équilibre de celui-ci mais aussi toutes les données prévisionnelles du déficit public et de la dette. Un plan d’économies de 10 Mds avait alors été annoncé. Le ministre agissait ainsi parce qu’il savait sans doute que la base 2023 serait plus dégradée que prévu.

De fait, début mars, le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques de la France faisait état, en 2023, de rentrées fiscales peu favorables et mentionnait que l’exercice budgétaire de l’État s’était terminé avec 7,7 Mds en moins dans les caisses que ne le prévoyait la loi de fin de gestion du 30 novembre 2023.

La perspective d’un différentiel de 20 Mds environ entre le déficit public annoncé et le déficit public réel de 2023 relativise en tout cas l’intérêt du plan d’économies de 10 Mds pour l’État, moins fait pour « réduire » le déficit que pour l’empêcher de trop se dégrader.

Reste aussi le sentiment désagréable, amplifié à l’envie par les sénateurs, d’une insincérité patente sur le budget de l’État comme sur l’ensemble des finances publiques. A vrai dire, l’insincérité est ancienne, ce qui est humiliant pour la démocratie et la parole publique. De plus, la petite panique qui s’est emparée de l’État en février conduit à des économies en rabot qui irritent tout le monde. La perspective ouverte par B. Lemaire, celle d’un vrai plan de droite altérant le modèle social, est plus inquiétante : mais avant de réduire les dépenses sociales, l’État devrait bien analyser les causes de son propre déficit, qu’il a sans doute aggravées par des baisses d’impôts discutables, et s’interroger sur le financement des missions essentielles qu’il doit impérativement remplir.

Une insincérité patente dès avant 2017

Le quinquennat Macron s’est ouvert en 2017 sur un audit du budget de l’État et des finances publiques, effectué, à la demande du nouveau gouvernement, par la Cour des comptes, et rendu public le 27 juin 2017. Le rapport de la Cour démontre de fait l’insincérité des prévisions de la loi de finances pour 2017 comme celle du programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril 2017 La Cour note que les administrations avec lesquelles elle a alors travaillé ont reconnu sans difficulté la manipulation des chiffres. Le quinquennat Hollande savait déjà infléchir les chiffres.

Comme le programme du nouveau Président prévoyait alors sur le quinquennat un redressement des finances publiques, la loi pluriannuelle de programmation des finances publiques 2018-2022 du 22 janvier 2018 s’est pliée à ce souhait : le solde public effectif devait devenir quasi-nul en 2022 et la dette devait diminuer, de 96,7 points de PIB en 2017 à 91,4 points en 2022, grâce à des dépenses publiques fortement réduites, de 54,7 points de PIB en 2017 à 51,1 en 2022. Selon la Cour des comptes, ce schéma n’était pas vraisemblable : la croissance était surestimée et la réduction des dépenses irréaliste sans être « documentée ». De toute façon, l’objectif de rétablissement des finances publiques a été affecté dès la crise des Gilets jaunes (fin 2018) puis, de manière définitive, abandonné lors de la crise COVID. Mais même sans tenir compte des dépenses 2020-2021 liées à la pandémie, l’évolution des dépenses publiques sur le quinquennat (+1,2 %) aurait été plus forte que dans la loi de programmation, comme le montre le rapport économique, social et financier annexé au PLF 2023 : la crise sanitaire a cependant permis de cacher cette évolution. Reste que les programmes de stabilité envoyés à Bruxelles sur le fondement de la loi de programmation 2018-2022 ont été tout aussi insincères.

Le gouvernement a agi exactement de même avec la loi suivante de programmation des dépenses publiques 2023-2027 :  croissance surestimée et prévisions non crédibles de réduction des dépenses.

Il existe pourtant des garde-fous, notamment celui du Haut Conseil des finances publiques, en charge de veiller au réalisme des prévisions économiques sur lesquelles reposent les textes financiers et sur le réalisme des dépenses et des recettes. En l’occurrence, sur les dernières lois aujourd’hui déjugées, les réserves émises ont été très mesurées : le Haut conseil note que la prévision de croissance choisie pour 2024 dans le projet de loi de finances est « supérieure » à celle du consensus des économistes (+ 0,8 %) mais au final juge le scénario d’ensemble « plausible ». Même les réserves plus nettes émises sur la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 votée en même temps que la loi de finances sont modérées : le terme « optimiste » revient constamment. L’on attendrait plutôt un jugement sur le manque de prudence des hypothèses choisies. Les garde-fous ne jouent pas.

Il est vrai, s’agissant des lois de programmation des finances publiques, que l’exercice est absurde : personne ne devrait s’aventurer, dans un monde instable, à faire des prévisions censées être intangibles sur 5 ans. Il faudrait changer de méthode : l’important est sans doute que soient examinées chaque année l’opportunité et la qualité des dépenses publiques tout en suivant l’exécution de scénarios pluriannuels plus ou moins volontaristes mais appelés à s’adapter annuellement si nécessaire, sous condition de transparence. Pour autant, pour être efficace, cette souplesse demande un travail continu d’audit des dépenses, la définition sincère de priorités et une vraie ligne politique, exigences qui paraissent aujourd’hui hors de portée compte tenu de ce que deviennent les gouvernements.

Sur le court terme, l’insincérité a été patente et difficilement excusable : une étude de la Direction générale des finances publiques, publiée en mars 2024, montre que les rentrées de TVA ont eu, tout au long de l’année 2023, un profil à la baisse, tout comme le chiffre d’affaires qui lui sert d’assiette. L’on ne découvre donc pas en février 2024 que l’économie ralentit en Europe, que la situation internationale est difficile et que la Chine se relève difficilement du Covid. Même la révision récente d’une croissance 2024 à 1 % décidée il y a un mois est sans doute optimiste.

L’on comprend de ce fait la colère de certains parlementaires : quelle est la valeur du vote du Parlement si l’information donnée n’est pas complète et si, de plus, il est loisible, par décret, quelques semaines après le vote, d’annuler des crédits votés, dans un plan d’économies qui n’est ni discuté ni consensuel ?

Les conséquences : 2024 et les années suivantes, le grand flou

L’augmentation du déficit public 2023 et la baisse de la prévision de croissance en 2024 oblige à reconstruire tous les documents budgétaires : la loi de programmation des finances publiques a perdu sa crédibilité dès sa première année, ce qui oblige à refaire toutes les projections et, si l’on ne veut pas être ridicule, à retarder sans doute, au-delà de 2027, l’objectif d’un déficit inférieur à la norme de 3 % du PIB ; l’on ne sait comment va être construit le programme de stabilité à envoyer à Bruxelles en avril 2024 qui devait en reproduire les prévisions ; les analyses du rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques publiées sur les données connues fin février 2024, sans être fausses, ne sont plus étayées par les bons chiffres ; sur le budget de l’État 2024, l’augmentation du déficit 2023 aura des conséquences : si cette augmentation est bien lié à des rentrées d’impôt décevantes, comme l’analyse le ministre du budget, le rendement de ces impôts ne se redressera que progressivement. De plus, un déficit accru est coûteux en charges d’intérêts.

Que deviennent par ailleurs les promesses de baisses d’impôt « pour la classe moyenne » annoncées en janvier dernier par le Président de la République pour 2025 ? La poursuite des baisses d’impôts sur le CVAE des entreprises prévues en 2024 ? Dès lors que le plan de 10 Mds d’économies ne comblera pas le manque à gagner des impôts, que fait-on si l’on souhaite ne pas aggraver le déficit mais aussi poursuivre des politiques ambitieuses, notamment le financement d’une transition écologique qui devait être la grande œuvre du quinquennat et qui, depuis la remise du rapport Pisani-ferry, s’est enlisée au point de paraître oubliée ?

 Les choix faits et les choix annoncés

Le plan d’économies de 10 Mds décidé en février est exactement ce que tous les experts recommandent de ne pas faire, raboter un peu partout en espérant ne rien trop casser mais en altérant, inévitablement, des politiques publiques essentielles, avec un effet d’image désastreux.

Une des missions proportionnellement les plus touchées est « Écologie, développement et mobilité durables », avec la diminution des aides aux ménages pour accompagner la transition. Le « Fonds vert » créé pour aider les collectivités à conduire des projets en faveur de la transition écologique est diminué. Symboliquement, le signal est malheureux, comme si, au lieu des crédits attendues pour aider entreprises, collectivités et particuliers à prendre un virage décisif et urgent, l’on décidait qu’il s’agissait de subventions ordinaires.  La baisse de plus de 12 % des crédits d’aide au développement marque la fin des engagements solennels pris en ce domaine. La baisse des crédits de la mission « Travail » (-5 %)   affectera ce qui a été une des priorités du premier quinquennat : le financement des CFA, du Plan d’investissement dans les compétences, des emplois aidés, du compte personnel de formation…Les crédits des grands organismes de recherche baissent de 5 % et la loi de programmation de la recherche n’est pas respectée ; le programme « Paysage eau biodiversité » perd 10 % de ses crédits, l’aide à l’accès au logement diminue et même les quelques millions enlevés au programme d’égalité entre les hommes et les femmes représentent un irritant.

Plus inquiétantes encore sont les lignes politiques avancées par le ministre pour dissimuler le loupé que représente l’accroissement imprévu du déficit public et habiller davantage la réduction des dépenses. Alors que c’est le déficit de l’État qui est, de très loin, le principal responsable du déficit public, le ministre de l’économie s’attaque aux dépenses de protection sociale et à la « gratuité » de la prise en charge médicale. Il annonce souhaiter que l’État récupère la gestion du régime d’assurance chômage, encore aux mains des partenaires sociaux, même si la loi encadre désormais leurs décisions ; il se dit favorable à une baisse des allocations chômage, alors que le gouvernement avait plaidé les réformes précédentes en jurant que, si le chômage augmentait à nouveau, elles seraient revues. Il veut enfin revoir le dispositif des affections de longue durée, parce que leur nombre ne cesse d’augmenter. Ces réformes certes ne sont pas acquises…mais elles font diversion. La maison brûle et nous regardons ailleurs : à quand une vraie réflexion sur l’efficacité des baisses d’impôt massives décidées naguère (notamment la flat-tax pour les revenus en capital des particuliers), à quand une réflexion réaliste sur la baisse des subventions brunes, à quand un impôt exceptionnel pour financer une transition écologique qui disparaît de plus en plus des radars ? Pour l’instant, le pouvoir, accusé d’incompétence, se contente de plans d’économies un peu miteux qui ratiboisent, à droite à gauche, des dépenses que personne ne trouvait inutiles…

Pergama, le 26 mars 2024