France-Stratégie, en charge officiellement de l’évaluation du CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, destiné depuis 2014 à alléger les charges des entreprises, a déposé ses conclusions en septembre 2016. Le rapport n’a été commenté que dans les rubriques spécialisées d’économie. Pourtant, avec le Pacte de responsabilité, qui l’a suivie et renforcée, la mesure a profondément marqué le quinquennat de François Hollande : c’est alors que celui-ci a été mis en cause avec virulence, pour avoir abandonné une politique de la demande, considérée comme « de gauche » (où l’on choisit de développer les dépenses publiques et de solvabiliser les consommateurs pour que les entreprises puissent développer leurs marchés et, à terme, l’emploi), pour une politique dite de l’offre, considérée comme « de droite » (où l’on allège les charges des entreprises pour qu’elles se développent, notamment à l’international, et créent des emplois. Dans un tel contexte, l’évaluation du CICE mérite un peu d’attention, même si le sujet est technique (mais c’est vrai de nombre de sujets importants).
CICE : objectifs, contenu de la mesure et effets annoncés
Le CICE s’est inscrit dans un contexte où chefs d’entreprise et économistes pointaient depuis des années la perte de compétitivité des entreprises françaises, aisément démontrable par les pertes de marché à l’exportation et un déficit commercial croissant. D’où une forte pression pour baisser les charges, les prix français étant régulièrement accusés d’être trop élevés. Le gouvernement Fillon en 2012 avait finalement décidé de substituer un peu de TVA à une part des cotisations famille pour encourager la baisse des prix à l’exportation, mesure rapportée à l’automne 2012, avant même son application, après l’alternance politique.
Le rapport Gallois de fin 2012 (« Pacte pour la compétitivité de l’industrie française ») a joué un rôle considérable pour convaincre le nouveau pouvoir de la nécessité d’une baisse des charges : il n’a pas seulement plaidé l’évidence (baisse depuis des années de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée, baisse des emplois industriels, part de marché perdues sur les biens et services(1). Il a fait passer l’idée, méconnue jusqu’alors des décideurs, que le défi à relever en France était moins d’abaisser les prix que de « monter en gamme » et en qualité, la France souffrant principalement d’une concurrence exacerbée sur les produits de gamme moyenne qu’elle produit. Cependant, a-t-il plaidé, compte tenu de la diminution de leurs marges (elle aussi constatable en 2012), les entreprises n’ont pas les moyens d’investir et de conquérir de nouveaux marchés : elles le pourraient grâce à un allègement de leurs charges. Le raisonnement diffère (la baisse du coût du travail vise à donner aux entreprises le moyen d’investir, pas prioritairement de baisser les prix) mais le moyen est identique, sauf à dire que, compte tenu des objectifs poursuivis, la mesure devait plutôt cibler les entreprises performantes, présentes sur un créneau où la montée en gamme était possible.
Le gouvernement a donc choisi de baisser les charges : au titre du CICE, l’Etat a versé aux entreprises à partir de 2014, une somme (un « crédit d’impôt ») de 20 Mds, soit, pour chaque entreprise, 6 % de sa masse salariale prise en compte dans la limite de 2,5 SMIC. Cependant, il a alors fait deux choix qui pèsent lourd aujourd’hui dans l’évaluation faite des résultats de cette politique :
Sur la foi d’études un peu formatées et en ajoutant une pincée de communication politique pour faire accepter la mesure (le CICE a été financé par une augmentation de la TVA, c’est-à- dire par tous les ménages), le gouvernement a annoncé en 2012 des créations d’emploi à hauteur de 300 000(3) dans les deux ans. Un peu plus tard, en 2014, à la suite du Pacte de responsabilité, il a annoncé tabler sur 190 000 emplois supplémentaires.
Les conclusions du rapport d’évaluation de France Stratégie
Le rapport d’évaluation de France Stratégie est extrêmement décevant : il ne porte que sur les années 2013 (année où la mesure était annoncée mais pas pleinement appliquée) et 2014, première année pleine. Il reconnaît avoir eu du mal à isoler les effets du CICE (baisse Le Haut conseil des finances publiques l’a alors mis en garde, tout comme le Haut Conseil du financement de la Protection sociale : les deux avis considèrent que le gouvernement surestimait les effets du CICE sur l’emploi, que ceux-ci ne seraient pas si rapides, que tout dépendait de la manière dont les entreprises allaient répercuter la variation de leurs coûts, baisse du prix de vente, ou reconstitution des marges, développement des investissements ou embauches. Ces avis n’ont eu aucun effet. des charges) des effets de sens contraire qui ont eu lieu à la même époque (augmentation du forfait social et des cotisations vieillesse). Il a raison : ce serait plus facile d’évaluer si les politiques menées étaient cohérentes.
Sur le fond, les conclusions sont les suivantes :
Tant d’effort, de temps, de mobilisation d’experts pointus pour des conclusions aussi plates et si peu intéressantes ! Aucune mesure, et a fortiori pas une mesure qui pousse les entreprises à des choix stratégiques (baisser les prix ou non, investir ou non, exporter ou non, embaucher ou non) ne peut avoir d’effet la première année de sa mise en place. Dans une interview à « La Croix »(4), le Commissaire général de France Stratégie dit que « la mesure n’a pas atteint ses objectifs mais rien ne dit qu’elle n’y arrivera pas » dans les années à venir (oui, rien ne le dit !), et que « toute la question est de savoir ce que les entreprises ont fait de leurs marges ». C’est vrai, on se posait d’ailleurs la question dès le départ, come le montrent les mises en garde mentionnées supra.
Les questions en suspens et les réponses esquissées
En l’état actuel de la question, et en reportant à plus tard une évaluation des effets, il serait pourtant possible d’esquisser les réponses à des questions de fond :
Quelle politique de compétitivité en France ? Comment ? A quelles conditions ? Quels délais pour en mesurer les résultats ? Voilà les questions auxquelles France Stratégie aurait dû répondre, au lieu de faire paraître une évaluation sans intérêt.
Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon
1 Voir note 23 du Conseil d’analyse économique, A la recherche des parts de marché perdues, mai 2015
2 Rapport d’information sur le profil des bénéficiaires du CICE, Sénat, 13 juillet 2016
3 Il en a annoncé 200 00 de plus avec le Pacte de responsabilité décidé en 2014 et mis en place en
4 29 septembre 2016