Réformer, oui, mais comment ?

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Réformer, oui, mais comment ?

Le président de la République a promis de réformer la France dans des domaines sensibles, droit du travail, formation professionnelle, compétitivité. Dès qu’il a évoqué, pour la réforme du droit du travail, le recours aux ordonnances, la question de la méthode s’est posée, les ordonnances donnant l’image d’une décision soustraite au débat parlementaire. Comment réformer, avec une opinion publique partagée entre espoir et méfiance ?

Il existe d’innombrables ouvrages sur les réformes à entreprendre pour le pays, secteur par secteur ou en classant des priorités (1), mais peu de travaux sur la méthode à suivre pour réussir : dans son chapitre de conclusion de « La France dans 10 ans », France Stratégie, organisme en charge de la prospective de l’Etat, esquisse une réflexion sur le « chemin », avec des conseils confus sur le séquencement des réformes (lesquelles mettre en premier ?). Dans un ouvrage de 2014, La France au défi (2), Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, évoque les blocages de la société française et la nécessité d’une « pédagogie de la réforme ». La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) a publié en 2016 une note plus approfondie, « Gouverner pour réformer, éléments de méthode », qui dégage quelques règles générales censées conduire au succès.

Quels objectifs ? Quels prérequis?

Les ouvrages évoqués sont tous influencés par la pensée libérale (la gauche écrit peu sur la méthode) : avant d’évoquer le « comment », ils insistent sur le « pourquoi », soulignant l’impérieuse nécessité d’agir compte tenu d’une situation de décrochage, d’une perte de compétitivité, d’un chômage insupportable et du profond désordre des comptes. Les priorités ne font pas mystère : réforme du marché du travail, du marché des biens et services, réduction des dépenses publiques, changements fondamentaux dans l’éducation et la formation professionnelle. Cependant, Hubert Védrine ajoute à ces priorités la reprise de chantiers mille fois entrepris et jamais menés à bien : santé, mille-feuilles territorial et « écologisation de la société ». Le point n’est pas anodin : contrairement à ce que sous-entend un discours sur la seule méthode, l’ampleur des ambitions n’est pas neutre. Ce n’est pas la même chose d’avoir pour seule priorité d’adapter la France à la mondialisation ou de viser cet objectif en même temps qu’une transition énergétique et la définition d’un autre modèle de croissance.

Les Français sont-ils prêts ? Hubert Védrine en doute, appelant à réfuter les contre-vérités colportées pour empêcher les décisions et à « sortir du déni ». Il voit dans des facteurs psychologiques, pessimisme et découragement, la source des blocages français. La Fondapol au contraire lit dans des sondages récents une évolution de l’opinion publique, qui serait plus favorable aujourd’hui à la libéralisation de l’économie. Elle considère que, malgré des contre- exemples éclatants (tel l’échec d’Alain Juppé dans la période 1995-1997), réformer n’empêche nullement d’être réélu, à condition que la réforme soit déterminée et efficace : l’échec du Président Hollande tiendrait ainsi à une image d’indécision et à l’absence de résultats.

Quelle méthode ?

  • Tout se joue avant l’élection : le mandat doit être clair et la réforme ne doit pas surprendre ;
  • Elle doit avoir été préparée techniquement avant d’être publiée, pour apparaître concrète et réduire les incertitudes : les termes flous sont à éviter (la Fondapol cite les mots « autonomie des établissements scolaires », qui inquiètent parce que l’on ne sait pas ce que cela recouvre). Cette préparation doit permettre de construire un argumentaire sur les gains de la réforme, de repérer et de désarmer les « perdants », le cas échéant en leur offrant des compensations. Elle doit permettre aussi une application rapide une fois la décision prise, alors que le système administratif français se perd dans des délais d’application interminables ;
  • Pour autant, la réforme n’est surtout pas technique : elle doit s’inscrire dans un projet politique repéré et explicite, donner du souffle, traduire une vision à long terme de la société, bref, avoir du sens ; le gouvernement doit être soudé pour la promouvoir mais la réforme doit être incarnée ;
  • Le calendrier doit être réfléchi : au départ, les réformes urgentes et décisives, les plus emblématiques, celles dont on attend des résultats ; pas de télescopage entre réformes, une méthode « une après l’autre » ; pas de réformes à petits pas ou trop séquencées ; enfin, un crescendo jusqu’à mi-mandat puis un ralentissement.

C’est sur la concertation que la note de la Fondapol est la plus faible. Elle ne voit pas malice à ce que l’exécutif utilise les ordonnances ou le 49-3, ce qui pourtant pose problème. Les syndicats sont vus comme des obstacles et il faut le plus possible « passer outre » : la Fondapol méconnaît la chance de disposer en France de centrales syndicales prêtes à la négociation.

Hubert Védrine est plus clair sur l’importance des débats, recommandant de ne pas effrayer l’opinion avec des références étrangères qu’elle comprend mal : il prend l’exemple de la flexisécurité, dans laquelle les Français voient bien plus de flexibilité que de sécurité. Négocier, c’est aussi, selon lui, repérer les lignes rouges qui feraient basculer certains dans l’opposition et chercher des alliés, y compris dans des majorités transpartisanes qu’il appelle manifestement à construire. Mais c’est le discours de France Stratégie qui, sur ce plan, est le plus clair : toutes les réformes importantes, droit du travail, santé, Education, ne deviennent effectives que lorsqu’elles sont mises en œuvre par une myriade de décisions quotidiennes qui en respectent l’esprit. Si ce travail de conviction n’est pas réussi, la réforme s’appliquera mal. Certes, les débats divisent autant qu’ils rassemblent et il ne faut pas espérer un consensus : mais il faut tenter de convaincre, et donc débattre, y compris en associant les citoyens, même hostiles.

Quelle résonnance avec les projets du président Macron?

Le nouveau Président de la République a annoncé des réformes, certes parfois de manière générale, mais le message est net. Il a exprimé pendant la campagne une volonté de redressement, il ne cache pas ses idées libérales : il réunit donc certaines conditions de succès.

Pour autant, rien n’est gagné.

  • La première réforme, présentée comme urgente, porte sur le droit du travail : prolongeant la loi Travail, elle va étendre à d’autres domaines que le temps de travail la possibilité pour les accords d’entreprise de déroger aux accords de branches et au droit du travail « ordinaire ». Le projet est intéressant parce qu’il donne sa chance au dialogue social et devrait permettre aux grandes entreprises de mieux s’adapter à leur contexte économique. Mais la loi est présentée comme destinée à créer des emplois et à améliorer la compétitivité du pays : or, nombre d’experts en doutent. Même un économiste très libéral comme Patrick Artus considère que l’absence de flexibilité du droit du travail n’est pas la cause de la faible compétitivité de la France et que l’urgence, c’est plutôt la formation et la qualité de la main d’œuvre (3). De fait, ni la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui permet aux accords collectifs signés dans une entreprise en difficulté de supplanter les contrats de travail (temps de travail et salaires) ni la loi Travail, porteuse elle aussi d’assouplissements, n’ont créé d’emplois. Si la réforme présentée comme urgente est simplement utile pour l’avenir, si elle n’apparaît ni absolument indispensable, ni juste (plafonner les indemnités prud’homales est une sottise), ni vraiment négociée (c’est la crainte de la CFDT), les chances de succès s’éloignent ;
  • Il en est de même, pour d’autres raisons, de la réforme des retraites voulue par le Président. Autant l’unification du système est un objectif convaincant, qui va dans le sens d’une société plus juste, autant, pour définir le nouveau régime applicable à tous, la référence à un modèle suédois pleinement contributif (un euro versé donne pour tous exactement le même montant de retraite) est porteuse d’incertitudes, avec le risque que tout le monde s’y voie perdant, sans doute à juste titre ;
  • La faiblesse du projet préélectoral macronien est en outre patente dans des domaines comme la santé, voire l’éducation, où le programme est parcellaire et la réflexion peu approfondie ; cela gênera les réformes éventuelles ;
  • Enfin, le programme écologique d’Emmanuel Macron n’était pas si modeste qu’on l’a dit : il reprenait les objectifs de la loi de 2015 sur la transition énergétique et alignait la fiscalité du diesel sur celle de l’essence. Mais l’écologie du programme était sage, elle complétait sans l’amender un projet axé sur la remise à niveau de la croissance. La présence de Nicolas Hulot dans le gouvernement change cet équilibre. La cohérence du projet va inévitablement en être altérée, sans que l’opinion publique y ait été préparée puisque le candidat a peu évoqué l’écologie pendant sa campagne. Enfin, la cohésion du gouvernement n’est pas garantie sur ce thème. Le succès n’est pas garanti….

Au final, les risques sont patents et sans doute, dans l’euphorie de la victoire et de la constitution d’une équipe transpartisane, mal mesurés. Reste à tabler sur le bon sens, l’intuition politique et une meilleure compréhension du fonctionnement de notre société. Ce n’est pas gagné, mais ce n’est pas perdu.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon

(1) Quelle France dans 10 ans, Les chantiers de la stratégie; France stratégie, 2017, Quelle réformes pour la france? Conseil d’analyse économique,2017

(2) La France au défi, Hubert Védrine, Fayard, 2014.

(3) Quelles sont les réformes structurelles les plus urgentes en France pour redresser la croissance de longterme ? Patrick Artus, Note Natixis, 19 février 2015