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Chlordécone : prise de conscience tardive

Par lettre du 16 juillet 2018, le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation a annoncé à l’association guadeloupéenne En Vie Santé son intention d’abroger rapidement l’arrêté du 30 juin 2008 qui fixe les limites maximales de résidus de chlordécone dans les produits d’origine animale et végétale destinés à la consommation. Pour comprendre l’importance de ce courrier, il faut revenir sur l’histoire de ce qui sera peut-être considéré comme un des plus grands scandales sanitaires de ces 50 dernières années.   En 1972, après avoir été interdit 3 ans plus tôt pour sa toxicité, le pesticide chlordécone est autorisé en France, autorisation renouvelée en 1981. Il sera massivement utilisé dans les bananeraies d’outre-mer, notamment aux Antilles, jusqu’en 1993 (il est interdit dès 1990 en métropole), alors que l’OMS l’a classé comme un perturbateur endocrinien neurotoxique, reprotoxique, cancérogène possible en 1979 et qu’il a été interdit aux Etats-Unis dès 1977. Le produit, qui est accusé de causer des cancers de la prostate et des retards de croissance chez les enfants a durablement contaminé les sols ainsi que certaines productions végétales et animales : des seuils de contamination ont été définis en 2008 pour limiter l’intoxication de la population, seuils relevés en 2013 pour les viandes. En décembre 2017, l’ANSES, agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, a validé cette augmentation, recommandant simplement de ne pas consommer certaines productions « de circuits informels », ce qui provoque l’inquiétude d’une population déjà massivement contaminée. Cette attitude jugée désinvolte s’ajoute à d’autres, qui s’apparentent à une forme de déni. En 2013, l’Institut national du cancer a refusé de financer un projet d’étude sur le lien entre le Chlodercone et le cancer de la prostate, dont l’incidence est pourtant extrêmement élevée aux Antilles, arguant que la méthodologie proposée était critiquable (Agnès Buzyn dirigeait alors l’INCA). L’instruction d’une plainte contre X déposée en 2006 par des associations est, en 2018, au point mort. L’association En Vie Santé a demandé au Tribunal administratif de Paris que l’arrêté de 2008 modifié soit abrogé. La lettre du ministre vient de reconnaître que son recours était fondé. L’affaire n’est cependant pas close : le ministre charge parallèlement l’ANSES de définir des valeurs toxiques de référence nécessaires pour fixer les limites maximales admises et de vérifier l’imprégnation de la population. Or, la réputation de l’ANSES est bien entachée aux yeux de la population antillaise et, à vrai dire, pas seulement à ses yeux : en 2016, l’agence jugeait ne pas disposer de suffisamment de preuves pour considérer le glyphosate comme présentant un risque avéré ou présumé, alors qu’une expertise de 2015 du Centre international de recherche contre le cancer avait classé le produit comme cancérogène probable. Gageons que l’ANSES prendra son temps pour fournir l’expertise demandée. Quant à la mesure des conséquences sanitaires de l’empoisonnement massif de toute une population au chlordécone, elle ne sera pas connue avant longtemps sans doute mais il faudrait au moins tenter d’en comprendre l’ampleur.