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Fin de vie : un débat éthique, à régler de manière éthique

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Après les Etats généraux sur la bioéthique tenus ce printemps, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu son avis sur la révision de la loi bioéthique. La presse n’a repris que la partie du rapport relative à la PMA, pourtant sans surprises, puisque le Comité, dans un avis de juin 2017, certes sans enthousiasme, avait indiqué « qu’il ne formulait aucune opposition » à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. La réaction des journalistes s’explique toutefois : le gouvernement est attendu sur la PMA, il a peur des manifestations de la droite et l’avis du CCNE lui facilite la tâche. C’est tant mieux : l’on a bien senti la pression qu’ont fait peser les associations catholiques traditionalistes sur les débats des Etats généraux de la bioéthique et leur souhait de reprendre la guerre sur le thème « Un papa, une maman » ou la nécessité de laisser faire la nature (l’autre nom de Dieu). La loi va sans doute évoluer. Ce sera un peu grâce à l’opinion publique, qui a évolué sur ce sujet (les avis favorables à la PMA sont passés de 24 % en 1990 à 60 % aujourd’hui, même si ces chiffres doivent être pris avec recul[1]), un peu en forçant les dernières réticences, comme lors de tous les débats de société, qui murissent puis se soldent.

Pourtant, un autre chapitre de l’avis du CCNE, celui sur la vie de fin, mériterait davantage d’attention : en ce domaine, le débat, pour des raisons historiques plus que par décision rationnelle, ne relève pas des lois bioéthiques et n’avait donc pas à être obligatoirement abordé lors des Etats généraux 2018. Or, il l’a été, de même qu’il a été au centre de l’actualité cette année, avec la parution de plusieurs rapports officiels[2] et de plusieurs propositions de légiférer. Surtout, plus que la PMA, où le débat oppose une frange traditionaliste à une majorité pas nécessairement militante mais qui accepte une réforme jugée équitable, la question de la fin de vie mobilise chacun de nous : ce qui fait le sens de notre vie (liberté de choisir, dignité, capacité à regarder en face le vieillissement et la mort) est en jeu.

Le rapport du CCNE en est surpris (« Il est étonnant de constater que la richesse et la vivacité des débats [sur ce sujet] contraste avec l’insuffisance des recherches conduites sur la fin de vie »), sans se l’expliquer. Il fallait nous le demander : les experts, médecins et professeurs d’éthique, sont persuadés d’avoir clos le débat en 2016, en adoptant la version 2 de la loi Léonetti[3]. Mais la population souhaite manifestement le poursuivre, sans doute parce qu’elle a l’expérience de la mort, non comme soignant, mais comme spectateur de l’agonie de proches, et ne juge pas satisfaisante la solution de la loi Léonetti, même un peu améliorée en 2016.

Sans surprises, l’avis du CCNE de septembre 2018 réaffirme pourtant ne pas vouloir aller au-delà de la loi du 2 février 2016, qui reconnaît désormais un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour accompagner l’arrêt de traitement demandé par le mourant (il en a le droit) ou décidé par l’équipe soignante au nom du refus de « l’obstination déraisonnable » de poursuite des soins. Cette sédation, mise en œuvre, tout comme l’arrêt des soins, selon une procédure collégiale, est appliquée au mourant dans l’incapacité de manifester sa volonté et, pour les personnes conscientes, à leur demande, à condition que l’arrêt des traitements entraine une souffrance réfractaire ou insupportable. En outre, les directives anticipées que chacun peut rédiger pour organiser la fin de sa vie et préciser les conditions de limitation et de fin de traitement doivent désormais, hormis certaines exceptions, s’imposer aux soignants.

La position immobiliste du CCNE ne résout rien. Comment en sortir ?

D’abord récuser les exigences du CCNE préalables à une évolution de la loi

 Le CCNE, dans son avis de septembre 2018, refuse de débattre de la révision de la loi de 2016 au motif qu’elle est mal appliquée : la priorité serait de se consacrer à sa bonne mise en œuvre. Il édicte aussi d’autres préalables : il faudrait d’abord que les médecins deviennent plus modestes et évitent « des situations de survie insensées » ; que les services de soins palliatifs se développent alors que leur insuffisance est encore manifeste ; que la formation initiale et continue des médecins leur permette d’établir un dialogue confiant avec leurs malades ; que la recherche se développe sur la fin de vie ; que le temps de réflexion déontologique ou de communication sur des questions éthiques soit valorisé et rémunéré par la sécurité sociale. Enfin, il faudrait effectuer un travail de recherche sur les cas, que le CCNE qualifie d’avance « d’exceptionnels », dans lesquels la loi de 2016 n’apporterait pas de bonne réponse.

Evitons l’ironie facile. Certaines des pistes mentionnées là sont importantes, même si les utiliser comme prétexte pour ne pas écouter une demande que l’on récuse est dérisoire.

Il est exact que l’application de la loi de 2016 rencontre des limites et des difficultés, encore que le bilan établi par l’IGAS en 2018 soit en demi-teinte plus que franchement critique.  Pour le résumer de manière nécessairement grossière, le rapport de l’IGAS considère que la loi est en voie d’appropriation ; que, toutefois, la procédure collégiale prévue pour décider d’un arrêt des soins et d’une sédation profonde n’est pas partout correctement mise en œuvre ; que le droit à sédation profonde s’instaure peu à peu (même si la Haute autorité de santé a mis 2 ans à faire paraître le guide nécessaire !) mais qu’il manque des données chiffrées pour mesurer son application, les quelques chiffres qui existent témoignant d’un faible nombre de décisions ; enfin que les décisions à prendre sont parfois très difficiles dans le cas de personnes vulnérables  (malades d’Alzheimer, personnes au cerveau lésé, personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique appelées à devenir très dépendantes, jeunes enfants enfin). Sur ces cas, à vrai dire, c’est moins l’application de la loi qui est en jeu que la décision d’arrêt des traitements, qui donne lieu (et c’est normal) à des discussions que jamais les textes ne pourront trancher. Les affaires Marwa et Ines rappelées par le rapport illustrent le dilemme affreux entre la décision de maintenir une vie tellement dégradée qu’elle ne peut vraiment être considérée comme telle ou de provoquer la mort d’un enfant qui pourrait survivre, ce que, dans un de ces deux cas, les juges ont eu pourtant la sagesse d’autoriser. Pour les personnes vivant en EHPAD ou à leur domicile, la question est plutôt de leur éviter l’hospitalisation en fin de vie et de s’organiser pour les laisser mourir correctement dans leur cadre de vie ordinaire.

Quant au développement des soins palliatifs, malgré un plan d’amélioration en cours d’exécution, il reste très nécessaire, les inégalités d’accès restant fortes.

Pour autant, la question posée ne tient pas à la bonne ou à la moins bonne application de la loi actuelle. Ce que soulignent les personnes qui veulent une évolution de la loi, c’est que la sédation profonde, qui se termine par la mort, peut entrainer des jours voire des semaines d’agonie que l’on espère sans douleur, sans en être toujours tout à fait certain, augmentant la peur des mourants et la douleur de leurs proches. Ce qu’ils contestent, c’est que pour accélérer la mort, il faut arrêter tous les traitements et, notamment, supprimer la nutrition artificielle et l’hydratation des malades, sans que l’on sache mesurer les conséquences sur la souffrance ou l’inconfort ressentis. Les parents des nourrissons voient leur enfant littéralement mourir de faim et de soif sous leurs yeux…Ce que contestent les partisans de la réforme, c’est qu’un malade encore valide mais qui sait que la maladie va le conduire à ce qu’il considère comme une déchéance ne puisse choisir d’anticiper sa mort en bénéficiant d’une assistance médicale.

Comment trancher un enjeu éthique, sur la fin de vie ou sur un autre sujet ?

 Un enjeu éthique est par définition difficile à trancher puisqu’il s’agit d’un conflit de valeurs :  ici s’opposent la volonté de soulager, mais en respectant la vie, et l’acceptation d’un geste actif vécu comme un acte de compassion et de fraternité.

Le débat s’envenime d’un autre : le « laisser mourir » peut, en termes éthiques, être assimilé au « faire mourir ». Comme le dit avec brutalité mais franchise la majorité (les 2/3 des membres) du Comité citoyen appelé à donner son avis en 2018 en complément des Etats Généraux de la bioéthique, « la législation actuelle est à la fois hypocrite et inadaptée ». De fait, quelle différence entre cesser des soins indispensables à la survie et donner un produit qui va provoquer une mort rapide ? Il n’y en a pas, sur le plan des principes. Pour autant, reconnaissons qu’une grande part des médecins répugneraient à pratiquer un geste actif et que, malgré tous les exemples étrangers (Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Suisse, Canada) qui montrent qu’à condition d’être bien encadrée, l’assistance à la mort n’est plus critiquée, les tenants du statu quo craignent des abus ou des décisions inconsidérées.

La pire manière de régler de tels débats de valeur est de les faire trancher par un Comité d’éthique tel que celui qui existe en France : passons sur l’archaïsme d’y nommer certains membres parce qu’ils appartiennent « aux principales familles philosophiques et spirituelles », comme si des chrétiens ou des musulmans abordaient mieux que les autres les questions éthiques. Le Comité est peuplé de médecins, de chercheurs et d’universitaires, ce qui en fait le représentant d’une élite arrivée, assise, prudente, habituée à tortiller les concepts inlassablement, peu représentative du pays et pas vraiment à son écoute. De plus, en l’occurrence, le rôle du Comité est bien prescriptif et non consultatif : les pouvoirs publics ont parfois négligé son avis lorsqu’il était trop en avance sur le ressenti social mais (on le voit bien avec la PMA) ils ne décideront pas une réforme que le Comité jugerait contrevenir à l’éthique. Un tel Comité pourrait sans doute animer les débats éthiques mais sans émettre d’avis, qui sont ensuite considérés comme paroles d’évangile et instrumentalisés pour refuser des réformes attendues.

Dans le domaine bioéthique, la loi du 7 juillet 2011 prévoit de réunir des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité (ils sont tirés au sort, avec ensuite une sélection pour éliminer les militants et rapprocher les caractéristiques du groupe de celles de la population). Ces citoyens sont formés par des experts choisis en fonction de critères d’indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité. Ils débattent entre eux et rédigent un avis rendu public. C’est ainsi qu’il faut trancher les débats éthiques : la méthode renforce la démocratie participative, elle affirme que tout groupe de citoyens peut préconiser un choix mais à condition que sa parole soit éclairée par la connaissance, mûrie, réfléchie et collective. De fait, en 2013 comme en 2018, deux comités de citoyens ont été réunis pour travailler sur la fin de vie : leur contribution (surtout en 2013) a été remarquable. Pourtant, dans les deux cas, leur avis a été considéré comme secondaire et totalement négligé : les experts sont écoutés, la population ne l’est pas. Pourtant, il existe sans doute sur ce sujet un vrai consensus : un sondage réalisé par l’IFOP en décembre 2017 pour La Croix montre que 89 % de la population souhaitent que la loi autorise le suicide assisté ou l’euthanasie si la personne le demande.

 Trouver un compromis entre des positions peu conciliables  

 Sur les questions éthiques, le sentiment prévaut que la loi est universelle et doit régler tous les cas. Le débat sur la fin de vie n’échappe pas à cette analyse : le choix serait binaire, sédation lente ou geste actif. Mais l’on peut raisonner autrement, garder les dispositions actuelles et « dépénaliser » parallèlement certains gestes tout en les réservant à des cas exceptionnels bien encadrés. C’est ce que propose le récent rapport du CESE : il rappelle qu’un avis de 2014 de l’Ordre des médecins sur la fin de vie soulignait déjà que la sédation ne parvenait pas à soulager certaines agonies longues ou certaines douleurs incontrôlables, suggérant qu’une sédation explicitement létale soit en ce cas autorisée.  Au demeurant, selon une étude de l’INED sur les conditions de la mort, les médecins pratiqueraient déjà ce geste, dans 0,6 à 0,8 % des décès.

Le CESE propose donc non pas de « légaliser » l’aide à mourir mais de dépénaliser le geste actif ou l’assistance à une personne qui souhaite le pratiquer sur elle-même. La différence reste importante, d’autant que les médecins pourraient invoquer alors une clause de conscience. Les directives anticipées pourraient demander un geste actif dans certains cas bien définis. En février 2018, un groupe de 156 députés réclamait l’examen d’une proposition de loi en ce sens. L’obstination finira par payer mais il reste regrettable que le débat soit constamment confisqué par des décideurs conservateurs.

 Pergama

 

 Cette semaine, une nouvelle fiche concours dans le dossier Questions de société

La politique de l’immigration

 

[1] Sondage IFOP, septembre 2017. L’IFOP soulignait alors à la fois qu’il s’agissait d’une incontestable lame de fond et que l’évolution n’avait été ni linéaire ni constante : sur ce sujet, les résultats ont varié en fonction de l’actualité et de la force des débats publics. Au demeurant, en avril 2018, un sondage BVA donnait un avis favorable à la PMA mais à 57 %. Il est loisible, de manière plus générale, de se demander si un sondage est adapté pour mesurer de tels choix, interrogation qui, il est vrai, vaudrait dans nombre de domaines. Un sondage donne, sur une question parfois philosophiquement cruciale, l’opinion instantanée d’une population, pas plus, pas moins que celle-ci soit directement concernée ou pas, bien ou mal informée.

[2] Il s’agit du rapport de l’IGAS: « Evaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 » et de celui du CESE (Comité économique, social et environnemental) d’avril 2018 : « Fin de vie : la France à l’heure des choix »

[3] La précédente loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a été portée, comme celle de 2016, par Jean Léonetti, homme politique et médecin, qui ne cache pas ses convictions religieuses.