Migrations: des réformes symboliquement terribles mais à la portée pratique incertaine

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Migrations: des réformes symboliquement terribles mais à la portée pratique incertaine

Le 6 novembre, à la suite d’un Comité interministériel des migrations, le Premier ministre a annoncé 20 mesures. Certaines portent sur l’évacuation des campements des demandeurs d’asile, qui, après des mois d’inaction, a commencé. Le gouvernement s’engage sur une augmentation des places et sur une meilleure répartition des personnes sur le territoire mais il faudrait que le droit soit modifié pour empêcher l’errance des « dublinés » qui ne cessera pas. Il s’engage aussi sur les mineurs non accompagnés avec, comme chaque fois, une insistance sur l’aide à la détermination de la majorité dont on connaît la fragilité.  Il a été aussi question de la création de trois nouveaux centres de rétention et de la lutte contre la fraude dans le domaine de l’immigration familiale, qui était déjà difficile et devrait le devenir plus encore. L’insistance sur le thème de l’abus et de la fraude marque la migration depuis 30 ans de manière quasiment obsessionnelle et rend plus difficile l’accueil d’une migration qualifiée ou l’amélioration de l’insertion. Il est d’ailleurs remarquable de constater qu’une part (certes minoritaire) de l’opinion publique commence à trouver moins tolérable l’état d’esprit qui prévaut envers les immigrés et s’inquiète des insultes, discriminations, manifestations de rejet qui creusent un fossé dans la population française.

Dans le plan récent, les mesures les plus médiatisées portent sur les quotas pour l’immigration économique et les modifications du droit aux soins.

La première mesure est présentée comme une concession à la droite qui réclame depuis longtemps la fixation d’objectifs chiffrés : c’est vrai sans doute, mais quelle est la différence entre les quotas « non limitatifs » qui devraient être définis annuellement pour une immigration très limitée (en 2018, 33 500 entrées sur 256 000) et la liste actuelle des professions pour lesquelles les employeurs pouvaient recruter à l’étranger ? Pas grand-chose, que l’actualisation des professions concernées. Sur le fond, la décision relève plutôt de la bonne gestion.

La seconde mesure concerne l’accès aux soins. L’Aide médicale d’Etat destinée aux étrangers en situation irrégulière (qui prévoit déjà un délai de carence de 3 mois pour accéder aux soins, sauf soins urgents et vitaux) ne sera touchée que par le renforcement des contrôles. La décision s’appuie sur le rapport des inspections générales (IGAS et IGF) remis en octobre 2019 (« L’aide médicale d’Etat, diagnostic et propositions »). Le rapport est fascinant : il constate que certains soins (accouchements, traitement de l’insuffisance rénale chronique, des cancers et des maladies du sang) augmentent beaucoup et qu’un quart des étrangers concernés reconnaissant que les questions de santé ont pesé dans leur décision de venir en France. Pour autant, parallèlement, le rapport ne peut que déconseiller toute mesure qui conduirait à un renoncement accru aux soins ou réduirait le panier de soins accessible, ce qui serait contraire aux intérêts bien compris de la population et, malgré tout, à nos valeurs. Il est éthiquement et pratiquement impossible de refuser des dialyses ou des traitements contre le cancer. On en arrive donc, devant cette aporie, à des décisions de renforcement de la lutte contre la fraude (on va mieux vérifier la présence sur le territoire pendant les 3 mois de carence, mieux vérifier les ressources et les conditions d’hébergement qui sont, en théorie, déjà vérifiées) et mettre certains soins sous entente préalable de l’assurance maladie. La mise en œuvre de ces mesures économisera 15 millions en 2020 sur une dépense d’environ 1 MDS ! Tout ça pour ça !

En revanche, les demandeurs d’asile, qui accédaient à la Protection universelle d’assurance maladie (PUMA) dès le dépôt de leur demande d’asile, subiront un délai de carence de trois mois, sauf urgence, sans que le gouvernement puisse étayer cette mesure, sauf à souligner que des Albanais ou des Géorgiens demandent l’asile en France alors que leur pays est supposé sûr. Le gouvernement explique qu’il s’agit là du droit commun applicable aussi aux nationaux qui reviennent en France : ce n’est pas tout à fait exact car la disposition compte beaucoup d’exceptions (les nationaux de retour en France qui travaillent, les étudiants, les personnes qui touchent certaines prestations sociales sont inscrites immédiatement à l’assurance maladie dès leur retour). En outre, comment accepter que des demandeurs qui viennent de traverser l’Europe et ont attendu des mois pour pouvoir déposer leur demande ne soient pas pris en charge immédiatement s’ils ont besoin de soins ? Sachant que des enfants sont parfois concernés ? Un tel délai est-il vraiment dissuasif ? Les médecins sollicités décideront sans doute que les soins sont urgents, ce qui atténuera la portée de la mesure. L’on ne peut s’empêcher de penser que le durcissement n’est décidé que pour des raisons d’affichage. Mais la dureté affichée envers les faibles n’est pas une solution pérenne. Quant à la décision de verser l’allocation de demandeurs d’asile sous forme d’une carte de paiement, c’est une brimade elle aussi symbolique : le demandeur d’asile est mis en tutelle : il n’aura pas d’argent liquide pour payer son pain mais pourra l’acheter, si la boulangerie l’accepte, par carte (pas de sans contact, ce serait trop facile), sauf à recourir à des magasins qui acceptent de donner du liquide contre un achat (ils existent, c’est simplement plus long de les chercher et plus humiliant de demander). La bureaucratie répressive a de beaux jours devant elle.