Zemmour, quelle parole, quel électorat, quel avenir?

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Zemmour, quelle parole, quel électorat, quel avenir?

Très intéressant dossier Zemmour publié par la Fondation Jean Jaurès qui, en exploitant L’enquête électorale française menée en octobre dernier par Ipsos-Sopra-Stéria pour Le Monde, le CEVIPOF et la fondation, veut comprendre la percée d’Eric Zemmour dans le paysage politique et non plus seulement s’en indigner.

Que dit le dossier, sur la parole de Zemmour, sur son électorat, sur l’évolution de la société française et sur la réaction des Français face à un tel candidat ?

La parole de Zemmour témoigne de la crise de la régulation de l’espace public qu’assuraient jusqu’alors les médias et à laquelle certains renoncent désormais. Mais ce n’est pas là sa spécificité, disent Milo Lévy-Bruhl et Frédéric Potier : c’est le rapprochement avec Maurras qui est le plus éclairant. Maurras entendait inscrire son « récit » dans l’histoire de France. Zemmour applique la leçon, serait-ce au prix d’une reconstruction mensongère de l’histoire. La parole de Zemmour légitime ainsi les crimes d’hier pour faire accepter ceux qu’il prône pour demain. Aucune dimension politique dans ce projet, si l’on entend par là un mouvement d’avancée et de transformation, mais plutôt un immobilisme et la conviction que le destin des personnes est fixé par leur lieu de naissance.

Raphaël Lorca évoque quant à lui un langage qui prône le conflit, la violence, la radicalité mais aussi qui transgresse les interdits, bouleversant les codes des campagnes électorales conventionnelles en utilisant les méthodes des séries NETFLIX : surprendre, relancer, organiser des rebondissements incessants dont on ne connaît pas immédiatement la suite, avec un message frontal qui préfère la brutalité à la séduction et aux nuances. Zemmour rend terne la manière des autres candidats de mener campagne…

Mathieu Souquière cherche à identifier dans la société les forces souterraines qui portent Zemmour : la montée du populisme en premier lieu, déjà forte en 2017 et qui s’est renforcée depuis, avec de longue date sa détestation des élites et son refus de la vaccination aujourd’hui ; « l’extrême droitisation » de la société ensuite, avec un rejet de l’immigration de 10 points supérieur à celui de nos voisins, née du rapprochement de fait entre le discours du Rassemblement national et celui des Républicains, même si les partis refusent de s’assembler. La défaillance de la candidate d’extrême droite au second tour de l’élection de 2017 donne une chance à cette part de l’opinion, droite et extrême droite mêlées.

Antoine Bristielle et Christian Guerra étudient ensuite l’électorat de Zemmour (16 % des intentions de vote en octobre). Marqué par le pessimisme et le choix de la radicalité, implanté chez les catholiques pratiquants et davantage encore occasionnels, l’électorat diffère au final de celui du Rassemblement national sur plusieurs critères : il est bien réparti entre les âges et les catégories professionnelles et sur le territoire, sans effet de diplôme, déséquilibré, il est vrai, par un faible vote féminin ; ses électeurs sont, à la différence du RN, intéressés par la politique ; le RN ne constitue d’ailleurs que 35 % de ses électeurs ; à 25 %, celui-ci est composé d’électeurs qui ont voté Fillon en 2017 et, à 19 %, d’abstentionnistes…Cet électorat paraît plus libéral que celui du RN. Ces différences en font le danger : comme Macron en 2017, qui a réuni deux électorats de droite et de gauche modéré qui n’auraient pu se regrouper par le seul jeu des partis, Zemmour peut offrir une synthèse (à 30 ou 35 %) entre un électorat jeune et populaire et des conservateurs ultra-nationalistes mieux insérés et libéraux…

Au final, l’incertitude sur l’avenir est grande  : constitution d’un « pôle identitaire », relevant de la théorie du « backlash », selon laquelle des catégories jusqu’alors dominantes qui ont le sentiment de perdre leur prééminence dans une société devenue plus ouverte et plus progressiste, se « coagulent » en un pôle autoritaire et identitaire, de crainte de disparaître ? Ou minorité certes inquiétante mais qui se heurtera à un électorat français qui s’est droitisé depuis quelques années mais s’est plutôt éloigné des extrêmes et où le sentiment d’incertitude domine largement la colère (Gilles Finchelstein et Brice Teinturier) ? Une forte majorité des Français ne jugent pas Zemmour crédible et le voient comme un polémiste démagogue, plutôt déconnecté des problèmes de la population…Le dossier se veut confiant sur le résultat des présidentielles. Reste une dynamique inquiétante et un discours ravageur.