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Santé publique : les lents progrès de la transparence

Le Conseil d’Etat s’est prononcé, le 8 avril dernier, dans l’affaire dite des implants files qui concerne les implants médicaux, leur certification et leur sécurité.

 L’affaire date de 2017 : en novembre de cette année-là, le consortium international des journalistes d’investigation (dont sont membres, en France, le journal Le Monde, Radio-France et Cash investigation) a publié une enquête sur les implants médicaux, dispositifs qui, tels les stents, les prothèses de hanches ou les implants mammaires, restent, a priori indéfiniment, dans le corps. L’enquête révélait que, à la différence des médicaments qui doivent obtenir une autorisation de mise sur le marché, les implants obtiennent, sans enquête ni contrôle, une certification CE de conformité européenne contre un peu d’argent. Ce label leur permet ensuite de vendre leurs dispositifs aux établissements de santé. Il existe sans aucun doute des accidents médicaux à la suite de ces implantations mais, en Europe, nul ne sait combien, puisque l’information ne remonte pas (c’est différent aux Etats-Unis, qui indiquent 82 000 morts en 10 ans et 1,7 million de personnes blessées). En France, la traçabilité prévue par un décret de 2006 n’est pas appliquée. Les ministres de la santé français étaient avertis des risques par un rapport de 2011 rédigé pour les assises du médicament et un rapport de l’IGAS de 2015. Tous ces travaux demandaient la réforme du système, une évaluation sérieuse des dispositifs, des normes permettant de les évaluer et l’activation effective du dispositif de signalement des incidents. Seule, l’enquête de la presse a eu un impact.

C’est pour boucler cette enquête sur le laxisme de l’attribution des certifications officielles que le journal Le Monde a demandé à la CADA, Commission d’accès aux documents administratifs, de contraindre le laboratoire d’homologation à lui donner communication de la liste des implants médicaux certifiés par l’administration et de ceux auxquels la certification avait été refusée. La CADA a refusé en invoquant la loi du 30 juillet 2018 qui renforce le secret des affaires. Or, lors des discussions préalables au vote de cette loi, le gouvernement avait juré ses grands dieux que le renforcement du secret des affaires ne serait pas opposable aux personnes ou organismes qui agissent dans le cadre de la liberté d’expression et de communication (donc, en théorie, pas aux journalistes) ni aux personnes qui révèlent une activité illégale dans un but d’intérêt général (lanceurs d’alerte). Le Conseil d’Etat a tranché le 8 avril 2022 :  dès lors que des produits susceptibles d’être défectueux sont mis sur le marché, le secret des affaires n’est plus opposable et le droit d’informer prime. En revanche, le secret des affaires protège les matériels qui ne sont pas encore homologués.

La décision est en partie favorable aux journalistes et en partie défavorable : la communication est de droit lorsque l’accès aux informations demandées est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, mais le juge tient compte de la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. En l’occurrence, la demande de communication de la liste des produits était légitime après leur homologation et mise sur le marché (ils peuvent menacer la santé publique) mais pas avant. Il en résulte que les droits d’investigation de la presse ne sont pas absolus : en l’occurrence, la connaissance des produits qui ont essuyé un refus d’homologation aurait pu montrer qu’il n’existait pas de réelle différence entre les produits homologués et ceux qui ne l’étaient pas. Mais le Conseil d’Etat a décidé que ce n’était pas là, sans doute, un intérêt public suffisant.