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Une transition écologique menacée?

Le 16 avril 2022, entre les deux tours des élections présidentielles, le Président Macron a consacré à l’écologie un de ses rares meetings d’une campagne atone. Il a sans doute agi, pour une part, par calcul, puisque M. Le Pen, sa rivale au second tour, affirme que les écologistes « pratiquent le terrorisme climatique « et agitent « la peur, la mauvaise conscience et la punition ». Elle plaide pour que la France se libère « des engagements irraisonnés pris au niveau européen » et applique l’accord de Paris, mais « par les moyens qu’elle aura choisis, au rythme et avec les étapes dont elle aura décidé ».  Face à une telle négation du dérèglement climatique, il n’est ni trop difficile ni trop risqué d’attirer les votes d’une population qui s’en inquiète : la neuvième vague de l’enquête Ipsos-Sopra-Stéria réalisée début avril pour les présidentielles montrait qu’après le pouvoir d’achat et la guerre en Ukraine, la première préoccupation structurelle de la population portait sur « l’environnement ». Le candidat-président a donc fait le geste nécessaire. Il en est resté deux messages : celui d’une nécessaire planification écologique confiée au Premier ministre et l’impératif d’aller plus vite, même si personne ne croit vraiment que la France sera « la première à sortir du pétrole, du gaz et du charbon » ni que l’on pourra aller deux fois plus vite qu’aujourd’hui dans la réduction des GES.

A ce jour, où en est-on ? La transition énergétique est, comme elle l’était hier, en grand danger : en premier lieu, elle est en retard sur tout, de manière préoccupante. De plus, la guerre en Ukraine complique la question, même si la France n’était pas aussi dépendante du gaz russe que d’autres pays. Enfin, le dispositif de planification s’esquisse au niveau gouvernemental mais de manière peu convaincante : sa portée n’est pas claire et l’on ne sait trop s’il s’agit de changements organisationnels à la marge ou si, parallèlement, s’ensuivra un nouveau plan porté par un pouvoir politique qui s’appuiera sur la population, acteurs économiques et consommateurs.

Un retard grave

 La France est en retard, tant sur la production d’énergies renouvelables que sur les mesures qui permettraient d’économiser l’énergie (isolation des logements) ou de substituer une énergie décarbonée aux énergies fossiles (chauffage, transport, industrie).

 Sur la capacité d’ENR électrique installée, la France est, en 2020, le seul pays de l’Union à n’avoir pas atteint ses objectifs 2020 (23 % d’ENR dans la consommation finale d’énergie). Avec une proportion de 19,1 %, le retard est conséquent. La capacité d’ENR électriques installées sur la période 2019-2028 doit, selon la Programmation pluriannuelle de l’énergie, augmenter de 50 % en 2023 (à 74 GW) par rapport à 2017 et doubler en 2028. Or, elle n’a, en septembre 2021, progressé  que de 23 % (source : Baromètre 2021 des énergies renouvelables électriques). La faute en est surtout à l’éolien, terrestre ou maritime, dont les projets sont très lents à se concrétiser, moins au photovoltaïque qui s’est redressé en 2021.  Au final, en 2019, les sources essentielles de production d’électricité sont toujours le nucléaire (71 %), l’hydraulique (11,2 %) et le thermique fossile (8 %). L’éolien et le solaire restent limités (8,5 %) et les bioénergies sont marginales.

 Quant aux politiques publiques sectorielles (transports, bâtiment, agriculture) menées pour diminuer la consommation d’énergie et réduire l’utilisation d’énergies fossiles, les bilans abondent et ils sont tous négatifs : les plus intéressants sont prospectifs, reliant des indicateurs physiques jugés structurants (nombre de logements rénovés, parc des voitures à faible émission, taille du cheptel bovin) aux objectifs inscrits dans les textes, à horizon proche ou plus lointain. C’est le cas de l’étude menée par le cabinet de conseil Carbone 4 (L’Etat français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ? Carbone 4, février 2021) à la demande des quatre associations qui ont formé un recours en justice contre l’Etat pour lui demander de prendre les mesures cohérentes avec les engagements pris. Sur les 11 paramètres retenus comme structurants, seuls 2 ont une chance d’atteindre le niveau nécessaire aux engagements 2030, le plan vélo et le plan légumineuses : ce sont loin d’être les plus importants. Ni le secteur des bâtiments ni celui des transports n’évoluent suffisamment vite pour atteindre les objectifs 2030 (baisse de 40 % des émissions de GES), très compromis de ce fait, a fortiori si l’on tient compte des nouveaux objectifs de l’Union récemment modifiés (-55 %).

Les pouvoirs publics connaissent ces données. Le Conseil d’Etat les a, en juillet 2021, sommés d’agir dans l’arrêt Grande Synthe : « Il est enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022 ». Pour autant, il ne se passe rien, comme si la réalité n’était pas devant nos yeux.

La guerre en Ukraine :  des répercussions négatives, sauf à réduire la consommation

 Malgré une dépendance au gaz russe plutôt faible (le gaz représente 16 % de la consommation d’énergie primaire en France et 17 % seulement de ce gaz est importé de Russie, la Norvège étant le principal fournisseur, avec plus de 40 % du gaz importé), la guerre en Ukraine aura des répercussions sur les sources d’approvisionnement : les deux solutions envisagées aujourd’hui sont de remettre temporairement en service une centrale à charbon, de retarder la fermeture programmée d’une autre et d’importer davantage de gaz liquéfié, avec l’installation d’un terminal flottant au Havre. L’on sait que l’empreinte carbone du gaz liquéfié (d’abord refroidi pour être liquéfié, voyageant par méthanier géant puis retransformé en gaz à l’arrivée) atteint plus du double de celle du gaz ordinaire. La situation sera-t-elle provisoire ? Qui remplacera le gaz russe dans une Europe qui n’a pas prévu son indépendance énergétique et va remplacer l’usage d’une énergie polluante par des énergies qui le sont encore davantage ?

En outre, la France, comme tous les pays, va devoir affronter des prix de l’énergie en forte augmentation, surtout compte tenu de l’organisation du marché européen de l’électricité : dans un cadre où la solidarité est la règle (les échanges entre pays permettent d’assurer la sécurité d’approvisionnement et la France y a fréquemment recours), il est logique que le prix d’échange soit celui du segment le plus cher (en l’occurrence aujourd’hui le gaz), sinon, les producteurs de gaz refuseraient de le vendre. Il est vrai que le dispositif conduit la France à supporter les conséquences de la dépendance des autres pays européens au gaz russe et qu’en période de relative pénurie, le système est très favorable aux producteurs (y compris à EDF), moins aux pouvoirs publics s’ils sont appelés, comme la France aujourd’hui, à compenser certaines hausses. Le système est toutefois vertueux : il pousse à accélérer la production des énergies peu chères (les ENR sont dans ce cas) et devrait imposer une certaine sobriété, surtout aux heures de pointe, pour consommer moins, importer moins, payer moins : cela sera-t-il le cas en France ?

 La gouvernance : une nécessaire évolution

 Pourquoi évoquer aujourd’hui la « planification » écologique ?

Il est certain que l’Etat n’est pas bien organisé pour mener à bien une transition écologique : les ministères couvrent des secteurs d’activité et pratiquent peu la transversalité. Ces dernières années, le drame du ministère en charge de la transition écologique a été que celui de l’agriculture soit confié à des ministres indifférents à l’environnement, qui ont conforté une agriculture productiviste et polluante très néfaste à la biodiversité :  recours massif aux pesticides, pollution des sources et des rivières, monoculture sur des champs immenses sans arbres ni haies et assèchement des zones humides. Le bon sens (cf. la note 100 jours pour organiser l’Etat afin de réussir la transition écologique, Terra nova, février 2022) serait alors d’imposer à tous les ministères des objectifs cohérents avec ceux de la transition écologique et d’établir des instances de pilotage et de contrôle qui en surveilleraient le respect.

De même, on ne peut qu’adhérer au schéma présenté par l’Institut de l’économie pour le climat (Planification pour le climat, une méthode pour le premier ministre, I4CE, mai 2022). Pour atteindre des objectifs dans un horizon temporel donné, il importe de définir une méthode rigoureuse, d’autant qu’il faut décider d’investissements lourds (bâtiments, voitures électriques) qui doivent être adaptés au but fixé, en niveau et qualité. Il faut désigner un pilote, définir l’architecture globale d’un plan, fixer les étapes, programmer les investissements nécessaires, prévoir les difficultés et les crises mais surtout s’engager très vite, car le temps manque.

L’organisation du gouvernement Borne paraît s’engager dans cette voie : les services de Matignon sont désormais dotés d’un « secrétariat à la transition écologique », chargé de coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire » et de « veiller à la bonne exécution des engagements pris par tous les ministères en matière d’environnement ». Une feuille de route sera envoyée aux différents ministres qui concernera leurs objectifs écologiques.

Qu’est-ce que cela change ?

A vrai dire, pour l’instant, rien. Le changement est symbolique : il existait déjà un « Pôle écologie, transports logement et agriculture » auprès des précédents premiers ministres et c’est d’ailleurs le chef de cet ancien pôle qui pilote désormais le « secrétariat général à la transition écologique ». Des feuilles de route étaient déjà envoyées aux ministres, qui, très fréquemment, ne sont pas respectées, sans aucune conséquence, tant les élans de départ contrastent avec les contraintes de la gestion. Le Premier ministre a toujours eu le pouvoir d’arbitrer entre ministres quand ceux-ci s’opposaient entre eux ou faisaient cavaliers seuls face à une priorité nationale : s’il ne l’a pas fait, c’est en toute connaissance de cause. Si l’environnement a perdu tous ses arbitrages contre les autres ministères, c’est bien l’autorité qui conduit la politique du pays qui en a décidé ainsi. Il est vrai que certains ministres ont plus de poids que d’autres, notamment ceux dont la « clientèle » a une capacité de nuisance politique.

Lors de la formation du premier gouvernement Borne, le Président a par ailleurs fait le choix d’éclater les compétences de la transition écologique entre deux ministères. Pourtant, le choix de l’Allemagne de confier à un écologiste convaincu un « grand ministère » réunissant écologie et économie semble plus judicieux. De même, choisir à ces postes des ministres gestionnaires qui ne sont pas intéressés par l’écologie, c’est bien signifier que le malentendu perdure. L’écologie, ce n’est pas seulement de la gestion, ce n’est pas seulement une programmation rigoureuse des actions, c’est un projet politique qui nécessite, c’est vrai, de l’organisation et de la méthode, mais surtout du poids politique et de la volonté.

 Les vraies difficultés : élaborer un plan, l’élaborer avec les parties prenantes, l’appliquer sans trop de défaillances sur le long terme.

 Contrairement à ce que dit une seconde note de Terra nova (Gouverner la transition écologique, 2 novembre 2021), notre plus grande difficulté n’est pas de « ne pas savoir organiser convenablement la pluralité des acteurs qui doivent y concourir ». Certes, à l’évidence, c’en est une : même avec la meilleure volonté du monde, les divers acteurs économiques ne savent pas toujours ce qu’ils peuvent attendre de l’Etat et ils sont très dépendants de ses décisions (sur la production d’énergies comme sur la consommation) pour organiser leur propre transition.

Pour autant, notre principale difficulté est que le pouvoir politique s’attache verbalement à une transition écologique qu’il ne met pas en œuvre dans la pratique. Parfois, il a un plan, qui n’est pas si mauvais même s’il reste trop peu précis (la Stratégie nationale bas carbone) mais qui n’est pas appliqué. Parfois, son plan est tissé de généralités, sans désignation d’un pilote et sans moyens afférents (Plan national d’adaptation contre le changement climatique) et n’a aucune prise sur la réalité. Parfois les résultats sont triomphalement présentés (ceux de « MaprimeRénov » pour l’isolation des bâtiments ou des immatriculations de voitures électriques) mais, en réalité, ils sont dramatiquement insuffisants et seule une partie de l’opinion publique s’y laisse prendre.

 Le débat va d’abord être de savoir qui élabore le ou les nouveaux plans nécessaires et  comment : en ce domaine une troisième note de Terra nova (Les trois mondes de la planification écologique, mai 2022) est plus éclairante que les précédentes : elle distingue la planification saint-simonienne, où le scientifique décide sans que le politique ait grande place, la planification jacobine, où le législateur, après consultation,  arbitre, décide, tranche et la planification « à la française », celle des années 50 et 60, où l’exécutif décide,  appuyée par une administration militante et éclairée, jouant de la concertation, de l’incitation et de la contrainte tandis que le pays accepte une sorte de « tutelle éclairée ».

L’on peut craindre effectivement que ces modèles de décision ne s’appliquent : le modèle saint simonien est redoutable et, en réalité, c’est le plus probable aujourd’hui. Le président Macron, plus « sachant » que politique, sait en effet exactement ce qui est bon pour le pays et il a déjà tout décidé : il suffit de lire le discours de Belfort prononcé en février 2022 pour savoir quel est l’avenir, fondé massivement sur le nucléaire et les avancées technologiques,  comptant sur les incitations et l’offre de nouvelles techniques pour progresser, peu sur la contrainte, peu sur la sobriété et pas vraiment sur les ENR, l’éolien étant quasiment remisé au placard alors que les documents officiels en prévoient toujours le développement.

Si la planification jacobine s’appliquait, si J-L Mélanchon avait le pouvoir, le plan serait constitué de la liste des interdictions qui constituent son programme : leur justification reposerait sur l’interdiction première, inscrite désormais dans la Constitution, de dépasser les limites de la planète. Une fois posé ce principe, tout est simple, de l’interdiction des passoires thermiques à celle des fermes-usines et des pesticides et du 100 % d’énergies renouvelables aux cantines bio gratuites. Les programmes qui considèrent les solutions comme évidentes sont toujours dangereux.

Il faudrait pourtant un troisième modèle, associant les producteurs et les entreprises, les automobilistes et les propriétaires de bâtiments, les citoyens et les contribuables. Il faut chercher un chemin, sachant, il est vrai, que les objectifs finaux ne sont pas négociables et que les mesures à prendre sont connues.  Reste à définir des étapes et à mettre en place les investissements nécessaires. Sur le long terme, l’application des mesures ne sera garantie que si elles sont portées politiquement et si tous ceux qui devront les appliquer ou en supporter les conséquences conviennent de leur nécessité. Avec une Assemblée nationale qui soutient soit le Président Macron (le nucléaire résoudra tout), soit J-L Mélanchon (il suffit d’interdire), soit les climatosceptiques du Rassemblement national, le défi est de taille.

Pergama, le 4 juillet 2022