La gestion de l’eau : selon la Cour des comptes, l’urgence d’une réduction planifiée des usages

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La gestion de l’eau : selon la Cour des comptes, l’urgence d’une réduction planifiée des usages

Le rapport de juillet 2023 de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l’eau est une bonne synthèse de considérations déjà présentes dans d’autres rapports. Il a le mérite de d’assumer une vision critique de la politique publique de l’eau et de réaffirmer clairement les mesures à prendre.  Il rappelle l’objectif de la politique de l’eau : préserver le bon fonctionnement du « grand cycle de l’eau » et s’assurer que les besoins en eaux soient satisfaits et que « les prélèvements sur la ressource en eau soient compatibles avec le bon état des milieux naturels ». On en est loin : dans un contexte de baisse des ressources, les informations manquent, la planification de la gestion de l’eau n’est pas correctement pilotée, le financement de la politique de l’eau n’est ni équitable ni incitatif aux économies et les conflits s’exaspèrent.

Une baisse de la quantité d’eau disponible

 Le rapport rappelle que le ministère en charge de l’environnement a fait paraître en 2022 une étude sur L’évolution de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 2018 (DATALAB) :  la ressource en provenance des eaux de pluie et des cours d’eau qui entrent sur le territoire a baissé de 14 % dans la période, du fait de pluies l’automne en diminution et d’une évaporation accrue. La quantité d’eau disponible annuellement est ainsi passée, de la période 1990-2001 à la période 2002-2018, de 229 Mds de m3 à 197 m3.

Sur cet ensemble, la France prélève 32 à 35 Mds, sachant qu’une grosse partie des prélèvements n’est pas consommée (par exemple l’eau qui sert à refroidir les centrales nucléaires est rejetée ensuite dans les rivières, un peu plus chaude, il est vrai).  La France consomme (c’est-à-dire incorpore dans les produits ou absorbe, fait disparaître en tout cas) une moyenne de 4,1 Mds de m3 par an : dans cette consommation, l’agriculture irriguée compte pour 57 %, les usages domestiques pour 26 %, l’énergie pour 12 % et l’industrie pour 5 %.

Une connaissance insuffisante de la ressource qui empêche l’établissement d’un diagnostic partagé

 Au niveau national, il existe un système d’information sur l’eau (SIE), qui est censé établir un état quantitatif et qualitatif de la ressource en eau. Dans la pratique, la localisation et le nombre des points de mesure et de contrôle font l’objet de contestations, notamment dans les territoires qui subissent une pression sur la ressource. Les données qui remontent localement sur les usages ne sont pas non plus considérées comme fiables. En effet, au niveau local, les prélèvements ne sont pas mesurés de manière exhaustive, les données fournies sont peu cohérentes selon les sources et le calcul des redevances réparties entre les utilisateurs est lui aussi contesté.

Dès lors que l’on envisage une politique de partage de l’eau, il faut que les organismes publics soient en mesure de donner aux négociateurs locaux des données précises, fiables et actualisées sur la situation locale : si certains « Plans territoriaux de gestion de l’eau » achoppent et restent bloqués, une des causes en est, selon une mission des Conseils généraux de l’agriculture et du développement durable (mai 2022), le manque de connaissances précises à la fois sur les ressources, l’état des eaux,  les besoins en eau potable et les prélèvements effectués pour l’irrigation, en termes quantitatifs et qualitatifs (quelles cultures ? Combien de forages ?). De plus, il manque des modèles prédictifs au niveau local alors que les négociateurs ont besoin de ces données.

Ainsi, le BRGM (service géologique national) a fourni des données sur l’état et le rechargement des nappes souterraines qui ont permis la signature, dans les Deux-Sèvres, du protocole d’accord du 18 décembre 2018 pour la construction de « réserves de substitution » (bassines) : or, il s’est avéré que les données  utilisées par l’étude pour rassurer le public sur le rechargement des nappes dataient de la période 2000-2010 et que la situation avait évolué depuis lors compte tenu du réchauffement climatique. Le BRGM a reconnu au demeurant cette carence mais un peu tard, ce qui a donné le sentiment d’une tromperie. L’information manque cruellement.

Un pilotage à améliorer, un financement peu équitable

 La Cour des comptes avait déjà insisté, dans son rapport annuel 2023, sur le fait que la gestion de l’eau par bassins versants (qui donne lieu à un SDAGE, schéma directeur d’aménagement et de gestion de l’eau) recouvre des aires trop vastes. Les sous-bassins d’un même bassin versant sreprésentent un niveau plus approprié mais c’est le maillon faible de la politique de l’eau. Beaucoup de sous-bassins ne sont pas couverts par un établissement public spécialisé et un peu plus de la moitié seulement ont un schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE).

De plus, d’une manière générale, les citoyens sont trop peu représentés et impliqués dans la politique de l’eau.

La Cour considère dès lors que la planification actuelle n’atteint pas ses objectifs : les SDAGE sont trop complexes, trop longs et insuffisamment prescriptifs. Les SAGE sont incomplets et leur élaboration est interminable (5 à 10 ans), ce qui nuit à une bonne articulation avec les SDAGE. Pour accélérer les choses, l’État a recours à des documents contractuels, les Plans territoriaux de gestion de l’eau (PTGE) mais les difficultés d’élaboration (manque de données fiables, conflits sur la répartition) sont identiques. D’une manière générale, les documents de planification ne fixent pas suffisamment d’objectifs chiffrés contraignants et sont peu opérationnels.

 Quant à la taxe sur les prélèvements d’eau, elle est de montant trop modeste (375 millions) et répartie de manière trop peu équitable (elle est supportée à 75 % par les particuliers qui prélèvent 16 % de l’eau) pour être un outil de modification des comportements.

 L’avenir : réduire les prélèvements, veiller à un meilleur équilibre des usages et à une meilleure équité des financements

 Dans un contexte de baisse des ressources disponibles, il faut s’orienter vers une baisse de la consommation d’eau et répartir cette baisse entre les usages : il est nécessaire d’élaborer des plans de long terme de réduction des prélèvements et mettre en place une tarification progressive qui touche les véritables utilisateurs. Il importe que toutes les parties prenantes se concertent sur la gestion de l’eau. La gestion des barrages ne doit pas privilégier les activités humaines au détriment de la protection des zones aquatiques.

Malgré l’encadrement des textes (exigence d’un volet « sobriété », compatibilité avec le SAGE, étude d’impact sur les effets produits sur la nappe à l’étiage comme en période de hautes eaux), la politique de financement public des infrastructures d’irrigation destinées à certains agriculteurs (les bassines) n’est pas la bonne. Elle a été, au demeurant, censurée par nombre de décisions des tribunaux administratifs, au motif qu’elle permettait des prélèvements accrus, avec le risque d’une confiscation de l’eau au bénéfice des exploitants raccordés. Contrairement aux déclarations officielles, l’autorisation de prélever l’eau n’est pas conditionnée à un changement des pratiques agricoles ni à une réduction des quantités d’eau consommées (les clauses en ce sens sont imprécises et l’on ne sait dans quelle mesure les « obligations » mentionnées sont contrôlées). La question de l’enrichissement personnel des agriculteurs concernés (les droits d’accès augmentent le prix des terres) n’est pas traitée. En tout état de cause, l’assèchement des nappes ne permettra pas ces prélèvements sur le long terme. Il faut donc faire d’autres choix et prévoir une réduction concertée des consommations.