Soulèvements de la Terre: dissolution suspendue

La gestion de l’eau : selon la Cour des comptes, l’urgence d’une réduction planifiée des usages
8 septembre 2023
Privations matérielles : une situation qui se dégrade
8 septembre 2023

Soulèvements de la Terre: dissolution suspendue

Par décret du 21 juin 2023 pris sur rapport de la Première ministre et du ministre de l’Intérieur, le Président de la République a prononcé la dissolution du mouvement « Les soulèvements de la terre », s’appuyant sur l’article 212-1 alinéa 1 du Code de la sécurité intérieure qui permet la dissolution d’associations « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Le Conseil d’État, saisi en référé, a considéré le 11 août 2023 que les deux conditions qui lui permettent de suspendre cette dissolution dans l’attente d’une décision sur le fond étaient remplies : la condition d’urgence d’une part, le décret portant atteinte à un droit essentiel pour une association, exister ; quant aux doutes sérieux sur la légalité de la décision d’autre part, le Conseil s’est appuyé, pour les étayer, sur des considérations de fait, le caractère limité des atteintes aux biens constatées. Il est loisible de penser, en droit, que la décision n’ira pas dans le même sens lorsque le Conseil examinera l’affaire au fond : toutefois, on voit mal le Conseil d’État revenir sur des considérations selon lesquelles le mouvement Les soulèvements de la terre ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 212-1 alinéa 1 du code de la sécurité intérieure.

Le Conseil d’État a en effet indiqué que le mouvement n’avait jamais provoqué à des agissements violents à l’égard des personnes. En revanche, le mouvement a appelé à des atteintes aux biens, dans le cadre « d’initiatives de désobéissance civile », atteintes qu’il a voulu symboliques et qui se sont avérées limitées.  Le Conseil considère donc, « eu égard au caractère circonscrit des dommages », qu’il n’est pas possible de qualifier l’action des Soulèvements de la terre comme une provocation à des agissements violents troublant gravement l’ordre public. L’exécution du décret de dissolution est donc suspendue jusqu’à ce que le Conseil d’État statue sur le fond.

De cette décision, sans doute peut-on tirer plusieurs conclusions :

1°La mention par le Conseil d’État des initiatives de désobéissance civile dans le cadre desquelles s’inscrivait l’objectif poursuivi par le mouvement, à savoir le « désarmement » de dispositifs considérés comme portant atteinte à l’environnement (les « bassines »), a été, sans doute hâtivement, assimilée par certains commentateurs à un « blanchiment » par le Conseil des actes commis sous cette étiquette. Il n’en est rien. La décision du Conseil est fondée sur le caractère limité et circonscrit des atteintes aux biens constatées, qui ne rentrent donc pas dans le cadre des « provocations aux agissements violents » mentionnées par l’article 212-1 du Code de la sécurité publique. Au demeurant, la revendication de « désobéissance civile » ne protègerait pas les personnes des sanctions pénales pour les actes répréhensibles commis sous cette égide ; la citation n’est pas anecdotique : la désobéissance civile s’inscrit en général dans un cadre de non-violence, au moins envers les personnes. mais elle n’est pas déterminante ;

2°La disposition évoquée par les pouvoirs publics pour justifier la dissolution de l’association (celle qui figure dans l’article 212-1 alinéa 1 relative « à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens ») a été ajoutée à ce texte par la loi du 24 août 2021, dite « loi séparatisme », qui a durci le droit applicable aux associations. Avant ce texte, les 7 alinéas qui détaillaient les motifs d’une dissolution n’évoquaient que des « manifestations armées », « des organisations militaires », la promotion d’actes de terrorisme ou d’appels à la haine ou à la violence envers des minorités. L’ajout de 2021, bien que poursuivant un objectif d’élargissement des motifs de dissolution, doit être lu à la lumière des dispositions dans lesquelles il s’insère : l’on ne peut dissoudre une association que si elle « provoque » à des « agissements violents » qui sont de nature à troubler gravement l’ordre public et cela de manière systématique. La dissolution est un acte grave et les motifs doivent être graves.

3° En tout état de cause, comme le souligne le débat mené sur Radio-France le 14 août 2023 (« Dissolution : un danger pour la liberté d’association ? »), la décision peut mettre un coup d’arrêt à la multiplication des décisions de dissolution d’associations prises depuis 2017 : 33 en 6 ans, autant que pendant la période 1970-2015. Il est vrai que les commentaires soulignent parallèlement que les associations sont, davantage aujourd’hui qu’hier, le lieu d’une action proprement « politique ». Il n’empêche : pour dissoudre, il faut démontrer des intentions violentes graves qui soient constitutives du projet associatif. En l’occurrence, ce n’était pas le cas.