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Programmation des finances publiques 2023-2027 : une faible crédibilité

La loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui définit les orientations pluriannuelles en ce domaine (prévision d’évolution des recettes et des dépenses publiques, du solde public et de la dette publique) traduit les engagements pris par la France auprès des autorités européennes quant à un retour progressif vers l’équilibre budgétaire. Pour la période correspondant à l’actuel quinquennat (2023-2027), elle aurait dû être adoptée fin 2022. Elle ne l’a pas été, faute d’accord entre le gouvernement et le groupe Les Républicains, qui souhaitait qu’y soient inscrites des prévisions de réduction de dépenses bien plus fortes que celles prévues par le gouvernement. En septembre 2023, le projet, actualisé, est revenu devant le Parlement et vient d’être adopté par le jeu du 49-3.

En France, les LPFP sont considérées comme un outil formel et sans fiabilité, de même que les « programmes de stabilité » présentés chaque année à la Commission européenne sur l’évolution prévisionnelle des finances publiques du pays. La Commission pour l’avenir des finances publiques, groupe de travail réuni en mars 2021, à la demande du gouvernement, sous la présidence de J.Arthuis, notait que les LPFP passées sont devenus très rapidement caduques et que les objectifs pluriannuels présentés à la Commission européenne n’ont jamais été atteints. La crédibilité du pays auprès de l’Europe en est affectée : la France est considérée comme incapable de tenir ses engagements, voire comme n’ayant pas l’intention de tenir ceux qu’elle présente. Le rapport Arthuis impute cette situation au fait que les prévisions françaises « ne sont pas basées sur une appréciation indépendante des risques et des enjeux de soutenabilité ». De fait, c’est le gouvernement qui les porte, sans trop attacher de prix, sans doute, à leur réalisme.

Ainsi, les projections très volontaristes contenues dans la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 ont été mises à mal dès 2018. Même en ne tenant pas compte des dépenses 2020-2021 liées à la pandémie, l’évolution des dépenses publiques sur le quinquennat (+1,2 %) a été bien plus forte que la loi de programmation ne le prévoyait, comme le montre le rapport économique, social et financier annexé au PLF 2023 : la crise sanitaire, dont l’impact a bien évidemment rendu la loi caduque, n’est pas responsable de tout.

La nouvelle loi de programmation soulève également des doutes forts. Comme le relève le Haut conseil des finances publiques dans son avis du 22 septembre 2023, les principales hypothèses prises pour la construire sont sujettes à caution : le gouvernement table sur une forte croissance du PIB dit « potentiel », défini comme le PIB qui serait constaté sans chocs temporaires et en utilisant tous les facteurs de production à leur niveau d’équilibre. Il compte pour ce faire sur l’impact des mesures prises et des réformes menées (action des baisses d’impôts sur l’investissement des entreprises, plan de relance, réforme des retraites, réforme de l’assurance chômage, réforme du RSA) mais il prend peu en compte le renchérissement des dépenses et des conditions de financement des entreprises et survalorise sans doute l’impact des réformes du marché du travail.  Selon les prévisions du gouvernement, l’écart entre le PIB potentiel et le PIB réel se réduirait progressivement d’ici 2027, ce qui implique une croissance réelle qui, sur la période, dépasse celle du PIB potentiel : de 1% en 2023, elle atteindrait 1,4 % en 2024, puis les années suivantes, 1,7 % et 1,8 %, ce que le Haut Conseil juge « optimiste ». Quant aux prévisions de progression des dépenses publiques en volume (+ 0,6 %), elles paraissent déraisonnables si l’on prend en compte l’augmentation du poids des intérêts de la dette : pour absorber cet impact, les autres dépenses devraient rester quasiment stables, + 0,1 %. En outre, pour ce qui concerne l’État, cela implique, si l’on tient compte aussi des dépenses inscrites dans les lois de programmation sectorielle déjà adoptées (justice, police, armée…), une baisse en volume des autres dépenses de -1,8 %, ce qui ne s’est jamais vu. Les dépenses des collectivités devraient baisser elles aussi et les dépenses sociales augmenter moins que l’activité. Le respect de ces trajectoires implique un montant d’économies élevé qui n’est pas documenté et, selon le gouvernement, résultera de « revues de dépenses » qui restent à mener. Le Haut conseil note enfin que l’ensemble ne conduira qu’à un résultat qu’il juge médiocre (un déficit public de 2,7 % en 2027) avec une très légère inflexion du montant de la dette (de 109,7 % du PIB en 2023 à 108,1% en 2027).

La loi manque donc de vraisemblance et de précision sur la manière d’atteindre des objectifs extrêmement ambitieux. Reste une interrogation de fond : s’il est sans doute possible de faire mieux en se basant sur des hypothèses plus crédibles et de projections plus réalistes, est-il possible de voter sans état d’âme une projection à 5 ans dans un monde si incertain, où les scénarios sont plus que fragiles ?  Pour juger le projet du gouvernement, le Haut conseil compare les hypothèses économiques utilisées à toutes celles qui sont disponibles et qui sont souvent divergentes. L’exercice a-t-il du sens ?

Il peut en avoir au moins sur un point : les dépenses publiques et leur évolution, qui dépendent bien davantage de la décision politique que d’autres paramètres.

Dans ce cadre, la décision annoncée de conduire des « revues de dépenses » en 2024 pour décider d’économies sur le budget 2025 pourrait être intéressante. Pour autant, telles qu’elles ont commencé en 2023, ces revues risquent de décevoir : le gouvernement a transmis au Parlement, en juillet 2023, un rapport intitulé « Évaluation de la qualité de l’action publique ». La démarche des revues de dépenses y est présentée : il y est question d’examen des dépenses, de propositions d’économies et de respect des trajectoires fixées par la loi. Des exemples sont cités : les revues correspondent à des rapports d’inspections générales ou à des démarches menées au sein des administrations sur telle ou telle politique précise, démarche peu innovante et déjà pratiquée, sans grand succès. Ce qui manque, c’est la définition d’une stratégie : quand le Conseil d’analyse économique avait, en 2017, proposé de recourir aux revues de dépenses, il préconisait d’agir plutôt en période de croissance, de coupler ces revues avec des programmes d’investissement, d’annoncer que seraient  préservés certains mécanismes (redistribution) et certains domaines (Éducation ? Justice ?), de veiller à éviter les effets pervers sur la croissance et à s’interdire des coupes arbitraires, juste pour faire des économies. Les revues de dépenses sont un exercice politique et technique, pas seulement technique et un exercice qui ne doit pas avoir les économies pour seul objectif. Il est douteux que les revues de 2024 soient encadrées politiquement et, si elles le sont (le ministre a annoncé que ses propres choix le porteraient à préserver les dispositifs sociaux qui « favorisent le travail » et à sacrifier ceux qui n’ont pas cette ambition), que ces choix politiques soient débattus et partagés.

Réduire les dépenses publiques doit correspondre, dans un premier temps, à définir ses priorités. Or, le gouvernement actuel, s’il n’avance pas tout à fait à l’aveugle (il dispose d’une loi de programmation pour la justice et la Défense nationale), n’a pas une vue complète de ses propres priorités. Il est significatif qu’un des amendements votés lors de la discussion de la LPFP ait demandé au gouvernement d’établir et de transmettre au Parlement une stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique et de la politique énergétique nationale compatible avec les objectifs et la programmation des moyens financiers de la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC). En l’absence de cette stratégie, comment élaborer une loi de programmation des finances publiques tout en affirmant que la transition sera financée mais sans qu’on sache  à quelle hauteur et dans quels secteurs ? Il est à craindre que la loi de programmation adoptée récemment, à la fois irréaliste et dépourvue de projet politique assumé, n’ait aucun sens.