Qui se souvient de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 ? La Cour des comptes en dresse, en novembre 2019, un « bilan d’étape » très mitigé, qui ne porte au demeurant que sur certaines mesures : assouplissement des modalités de recours aux contractuels, « fluidification des parcours », fin des dispositions dérogatoires au temps de travail qui existaient dans la fonction publique territoriale. Il ne sera donc pas question ici des autres réformes (importantes) de la loi, modification des instances de dialogue social et dispositions relatives à la négociation sociale.
La Cour des comptes note que le pourcentage de personnels contractuels a augmenté : il était, dans l’ensemble de la fonction publique, de 19 % en 2018, il est de l’ordre désormais de 21%. Il est vrai que la tendance date de 2015. Elle note cependant que les gestionnaires publics sont restés frileux sur les modalités de recrutement les plus nouvelles autorisées par la loi : peu de CDI en primo-recrutement, peu de contractuels sur « contrat de projet », peu d’augmentation du recours à des contractuels pour les emplois de direction.
La Cour critique donc la faible application de ces dispositifs et les regrette, au nom de la difficulté d’ensemble à pour voir les emplois publics : de fait, de manière assez surprenante, la Cour présente les dispositions de la loi de 2019 comme une réponse aux difficultés de recrutement des fonctionnaires titulaires. Or, l’assouplissement du recours aux contractuels était proposé en 2019 dans un cadre franchement différent : le rapport du Comité « Action publique 2022 » qui a inspiré la loi rendait le statut de la fonction publique responsable d’une GRH jugée rigide et impersonnelle et préconisait d’aller vers une banalisation des emplois de droit privé dans les services publics. Le compromis final a été différent : il a prévu d’augmenter le nombre des contractuels (sur contrats de droit public toutefois) avec un but clairement annoncé, augmenter l’efficacité de l’administration, ce dont témoigne l’ouverture aux contractuels de tous les emplois de direction et, dans la fonction publique d’État, de tous les emplois de catégorie A. Outre que cette motivation relevait d’une vision naïve de la modernisation (ce ne sont pas les personnes qui sont principalement en cause, c’est une organisation d’ensemble et le recrutement de contractuels n’a pas la vertu magique d’instiller dans le public des capacités d’initiative et de créativité qui manqueraient aux autres), le projet se heurtait à des difficultés majeures de coexistence : il est malaisé de maintenir un statut qui garantit une carrière et de recruter parallèlement des contractuels sur des postes intéressants. En réalité, il faut choisir : statut ou banalisation. Si la banalisation semple inappropriée ou impossible, alors il ne faut pas espérer que les contractuels prennent une place décisive.
Sur l’institution d’un document présentant aux représentants du personnel, en remplacement de l’avis qui leur était demandé jusqu’alors sur les décisions individuelles de gestion du personnel, les « lignes directrices de gestion » de la DRH concernée, la critique de la Cour est plus pertinente : elle regrette que ces documents comportent surtout des rappels statutaires et rarement la définition d’une stratégie qualitative de GRH. En l’occurrence, c’est franchement dommage puisque l’objectif était d’associer les représentants du personnel aux orientations de la politique de gestion de ressources humaines.
La Cour critique ensuite la faiblesse de la mobilité entre les divers versants de la fonction publique : elle a raison, mais elle identifie mal les causes. Il ne sert à rien de lever quelques verrous qui freinent la mobilité pour développer celle-ci. C’est l’affectation dans un emploi qui doit être réformé : si tous les emplois financiers, quelle que soit la fonction publique concernée, devenaient accessibles à toutes les personnes qui en ont les capacités, la mobilité croîtrait d’elle-même. Quand il faut subir de longues procédures pour aller travailler dans un autre ministère ou une autre fonction publique, il ne faut pas s’étonner que la mobilité reste faible.
Enfin, la Cour se focalise (c’est sa vocation) sur le respect du temps de travail légal : elle constate que, malgré la loi, les régimes dérogatoires perdurent et que peu de choses ont évolué. En clair, cela signifie que les ministres ou les élus qui dirigent des collectivités n’appliquent pas la loi : c’est en effet problématique et sans doute bien plus préoccupant que les avantages de tel ou tel agent public.