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Délinquance des mineurs : revenir à la réalité

Plusieurs faits divers atroces ont ramené au premier plan la question de la délinquance des mineurs. Dans un contexte où le Premier ministre a fait du rappel à l’autorité un thème de communication politique et où il envisage un nième durcissement de la justice des mineurs (réformée 40 fois depuis 1945, la dernière réforme datant de 2021) le thème revient, comme sous N. Sarkozy, d’une délinquance en progression de mineurs incontrôlables. Reprenons les chiffres.

De 2016 à 2022, le nombre des mineurs « mis en cause » (avant enquête) est passé de 240 000 à 168 866. Le nombre de mineurs « poursuivables », une fois éliminés ceux mis hors de cause (après enquête) est passé de 187 100 à 121 568. Les réponses pénales, hors classement sans suite, sont passées de 173 100 à 108 646. Dans cet ensemble, le total des alternatives aux poursuites (rappels à la loi, réparations) et des compositions pénales (définition d’une peine hors jugement) sont passées de 111 800 à 63 889. Les personnes poursuivies devant un juge sont passées de 63 800 à 44 757. Les mineurs condamnés (les autres ont été acquittés) sont passés de 46 500 à 31 466 pendant ce même laps de temps.  La délinquance des mineurs a baissé.

Est-ce que cette délinquance est plus violente que celle des adultes ? On pourrait le croire, à lire les chiffres sur les mis en causes. Le pourcentage des mineurs mis en cause (pas poursuivis, pas condamnés, mis en cause) est plus important que celui des adultes pour les coups et violences volontaires (21,2 % contre 18,5 %). Mais on compare des choux et des carottes. 56 % de la délinquance adulte relève soit de la délinquance routière (très faible chez les mineurs, 4,8 %) soit de délits très éparpillés (non représentation d’enfant, abus de confiance, filouterie…) plus rare chez les mineurs.  Les comparaisons en pourcentages ne valent pas dans ce cadre et au demeurant, les écarts relevés sont faibles.

Est-ce que la délinquance ainsi mesurée est fiable ? S’agissant de la délinquance en général, les enquêtes de victimation (auprès des victimes) sont plus fiables que les chiffres officiels, puisque certains délits, voire certains crimes ne donnent pas lieu à plainte. Mais les enquêtes de victimation sont inexploitables sur l’âge des délinquants (qu’est-ce qu’un « jeune ? »). Il est donc probable que certains délits sont sous-estimés, notamment le harcèlement et les menaces, y compris sur Internet. Mais est-ce que cela changerait le sens des évolutions ? On ne le sait pas.

Les actes violents des mineurs ont-ils augmenté sur le long terme ?  Il existe une note de l’Observatoire de la délinquance qui compare, entre 1996 et 2018, le nombre des mineurs mis en cause (pas poursuivis, pas condamnés, mis en cause) dans les homicides, les violences physiques et les viols. Sur la période, le nombre de mineurs mis en cause pour homicides diminue de 26 % mais il est vrai qu’il a augmenté à nouveau entre 2016 et 2018. S’agissant des mineurs mis en cause pour coups et blessures, il a fortement augmenté sur la période mais le pic a été atteint en 2009 et depuis lors, il baisse malgré, il est vrai une légère remontée sur 2016-2018. La part des mineurs dans ce type de délits est stable depuis 2015.

En revanche, l’augmentation des mineurs mis en cause pour viol est forte, certaine, sans à-coups, continue sur la durée : au demeurant, c’est le cas dans les statistiques d’ensemble de la délinquance (mineurs et majeurs) et les experts recommandent une certaine prudence dans l’interprétation de chiffres, qui témoignent à l’évidence d’une meilleure propension à porter plainte.

Les juges sont-ils laxistes ? Pour la justice des mineurs, la réponse pénale dépasse 90 %. Il faudrait que les juges soient très laxistes pour que soit enregistrée une baisse des condamnations dans un contexte de durcissement du droit et d’une « judiciarisation » de la délinquance en augmentation.

L’on a beaucoup de mal à comprendre dans ces conditions les conclusions du rapport d’information du Sénat (septembre 2022) : mise en cause des chiffres (mais on s’aperçoit que seuls ceux antérieurs à 2016 font l’objet de doutes), certitude que les études de victimation révéleraient une délinquance à la hausse (mais l’évolution ne serait mesurable que « toutes choses égales par ailleurs »), refus partout de voir une baisse qui serait trompeuse.

Il est vrai que, comme d’ailleurs la délinquance des adultes, celle des mineurs est insuffisamment étudiée, quant à l’âge, quant aux antécédents, quant à la récidive, quant à « l’intensité » des actes. Il est indéniable que certains faits divers récents sont effrayants. Mais il faudrait cesser d’exploiter la peur.  Il faudrait  vérifier que la prise en compte des mineurs en danger est correctement assurée, ensuite procéder à des études plus qualitatives et voir si une estimation par enquête des délits effectivement commis serait faisable (certains experts préconisent des enquêtes « d’auto-déclaration »). Pas fantasmer.