Finances publiques : un dérapage, mais pas que

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Finances publiques : un dérapage, mais pas que

A la demande du gouvernement, la Cour des comptes a effectué un audit sur la situation et les perspectives des finances publiques (rapport rendu le 27 juin 2017).

Le gouvernement en a retenu que, compte tenu d’une surestimation des recettes et d’une sous-estimation des dépenses, la réduction du déficit public à laquelle le gouvernement précédent s’était engagé pour 2017 et 2018 ne serait pas atteinte : le déficit devait atteindre respectivement -2,8 et -2,3 points de PIB, sachant qu’en 2016 il représentait encore 3,4 points. Le déficit tendanciel calculable aujourd’hui serait de – 3,2 points de PIB pour 2017 et resterait sans doute identique en 2018. Or, la France est en 2016 le seul pays européen, avec l’Espagne, à ne pas respecter le seuil de 3 % maximum de déficit public et les pouvoirs publics sont aujourd’hui convaincus de la nécessité de tout faire pour atteindre ce seuil, ne serait-ce que pour bénéficier d’un certain crédit politique. Le Premier ministre a donc annoncé, lors de son discours de politique générale, le report de certaines réformes fiscales coûteuses : la transformation du CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, en baisse de charges pour les entreprises, est reportée en 2019, tout comme la réforme de l’ISF ; l’exonération de la taxe d’habitation est mise à l’étude et sera peut-être oubliée ; enfin, la baisse de l’impôt sur les sociétés s’opérera par étapes et le calendrier en sera publié à l’automne. Surtout, parallèlement, le Premier ministre s’est engagé à une baisse des dépenses publiques, 3 points de PIB sur 5 ans, ce qui correspondrait à un effort considérable : avec un montant de dépenses publiques de 1257 Mds en 2016, soit 56,4 % du PIB, la France se situe au premier rang en Europe, désormais devant la Finlande, loin devant la moyenne de la zone euro (47,7 %). L’économie promise représenterait aujourd’hui 67 Mds, à répartir entre l’Etat, les collectivités territoriales et la protection sociale.

Du constat du dérapage à un plaidoyer pour la réduction des dépenses publiques

L’insincérité des documents budgétaires

Le rapport de la Cour dénonce l’insincérité des prévisions de la loi de finances pour 2017 comme celle du programme de stabilité d’avril 2017, document qui doit être transmis à la Commission pour respecter le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012 et qui est censé fixer sur 4 ans la trajectoire prévisionnelle des finances publiques. Le terme est grave (la sincérité est une exigence comptable, le principe en est inscrit dans la loi organique relative aux lois de finances et le Conseil constitutionnel contrôle ce point s’il est invoqué lors de sa saisine[1]), mais, à vrai dire, la pratique en est fréquente et la Cour note que les administrations avec lesquelles elle a travaillé ont reconnu sans difficulté la manipulation des chiffres.  La loi organique du 17 décembre 2012, qui a institué un contrôle, par un Haut Conseil des finances publiques, des indicateurs macroéconomiques sur lesquelles reposent les prévisions budgétaires, a amélioré leur fiabilité. Il est plus difficile d’agir contre les petits trucages consistant en une sous-estimation des dépenses ou une surestimation des recettes, sauf s’ils sont manifestes, ce qui est rare, au point qu’un éminent juriste pense que la sincérité est un principe budgétaire « impossible ou quasi-impossible à contrôler[2] ». De fait, le grief d’insincérité figurait dans la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2017. Le Conseil avait alors jugé[3] qu’au vu des informations dont il disposait, le grief n’était pas fondé mais qu’il appartiendrait au gouvernement, si les grandes lignes du budget devaient être modifiées par l’évolution des dépenses ou des recettes, d’élaborer un projet de loi de finances rectificatif. Cela revenait à dire qu’en réalité, il n’en savait rien.

Pour lutter contre le risque d’insincérité, la Cour propose d’encadrer davantage les prévisions financières, en fixant une règle d’évolution pluriannuelle des dépenses publiques, en donnant plus de force à des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques qui sont aujourd’hui considérées comme indicatives, en créant une loi de financement des collectivités territoriales et en élargissant le champ de la loi de financement de la sécurité sociale à certains régimes (retraite complémentaire et assurance chômage) qu’elle ne couvre pas. Le remède est trop formel : les lois de programmation ont perdu de leur force parce qu’il n’existait pas de réelle volonté de maîtriser la dépense et parce que des choix politiques évolutifs se marient mal avec des prévisions de moyen terme rigides : c’est la ligne politique pluriannuelle qu’il faut définir, bien au-delà des contraintes sur les dépenses. Quant à encadrer dans des lois de financement les évolutions financières des collectivités territoriales ou de régimes gérés par les partenaires sociaux, c’est une utopie jacobine qui n’a pas de sens politique.

L’essentiel est ailleurs : la Cour des comptes profite de l’audit pour évoquer longuement la question de la réduction, sur le long terme, des dépenses publiques et c’est là, à vrai dire, que son rapport devient intéressant.

Les propositions de la Cour

La Cour a peu d’état d’âme sur la nécessité de réduire les dépenses publiques. Elle s’en tient aux comparaisons internationales (l’approche est pourtant superficielle : les retraites et la santé relèvent en France de systèmes pour l’essentiel publics, alors que le secteur privé est plus important en ces domaines dans d’autres pays), au constat, à vrai dire indéniable, que l’importance des dépenses n’est nullement synonyme de qualité (citons le cas du logement ou de l’éducation) et surtout à la nécessité de réduire le déficit : la France dépense trop pour ce qu’elle produit, c’est peu contestable.

Le rapport n’est pas avare en suggestions fermes : en premier, s’attaquer à la masse salariale publique (284 Mds toutes fonctions publiques confondues) en gelant la valeur du point ou les évolutions de carrière des fonctionnaires, en ne remplaçant pas intégralement les départs, en augmentant le temps de travail, en supprimant certains éléments de leur rémunération ; réduire les dépenses fiscales (le manque à gagner pour l’Etat lié à des exemptions ou allégements d’impôts pour certaines catégories de contribuables), dont, il est vrai, l’utilité effective est souvent mal évaluée ; réduire le coût excessif des lycées ; indexer sur les performances l’allocation de moyens accordée aux universités ; diminuer le plafond d’éligibilité des aides personnelles au logement ; imposer des gains d’efficience aux hôpitaux ; en médecine de ville, rémunérer forfaitairement le suivi des malades chroniques ; réduire la durée de versement des allocations chômage ; rationaliser le fonctionnement de la formation professionnelle. Certaines des suggestions apparaissent opportunes, d’autres non. On en retire le sentiment qu’il faudrait éviter de simplement « taper dans les dépenses », sans apprécier la justification des réductions et leur acceptabilité. En l’occurrence, sachant que l’Etat est aussi un employeur, est-il raisonnable d’envisager de geler toute politique salariale dans le secteur public, dans un pays où, compte tenu précisément du poids d’un tel secteur, l’attractivité et la qualité de la fonction publique doivent rester des préoccupations ? D’autant plus que le niveau plus élevé des dépenses publiques ne s’explique pas par l’emploi public, tout à fait comparable à celui des autres pays, mais essentiellement par la protection sociale et par les dépenses d’aides aux entreprises, un peu aussi (moins) par des dépenses plus lourdes dans le domaine de la Défense et de l’enseignement[4] ?

 La réduction des dépenses publiques : le point de vue des économistes

 Il n’existe pas de consensus sur les effets de la réduction des dépenses publiques mais aucun économiste n’en récuse les risques.

L’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), d’obédience keynésienne, explique[5] qu’une telle réduction a un effet négatif sur l’activité, lié au fait que les dépenses publiques constituent une part de la demande aux entreprises et qu’elles impactent également le revenu des ménages, via l’emploi public et les transferts sociaux. Selon le « modèle » économétrique utilisé par l’OFCE, une réduction de la dépense publique équivalant à un point de PIB et affectée au désendettement du pays affecterait le PIB dès la première année (-0,6 point) et encore davantage le 2e et la 3e ( -0,9 point), ne s’atténuant, sans disparaître, qu’au bout de 5 ans. Plus la baisse des dépenses impacte l’emploi et l’investissement publics, plus négatifs sont ses effets. Si la baisse des dépenses se traduit par une baisse parallèle des prélèvements obligatoires, l’effet est moindre tout en restant négatif. De plus, la réduction des dépenses aurait un impact sur les inégalités. L’OFCE n’en conclut pas qu’il faut absolument éviter toute réduction des dépenses mais préconise que l’effort ne soit pas massif, prenne place en période de croissance (les dépenses publiques sont un amortisseur de crise) et s’accompagne d’un débat sur les spécificités et l’efficacité du modèle social.

Le Conseil d’analyse économique[6] n’ignore pas le risque d’une baisse de l’activité induite par la réduction des dépenses publiques, même s’il mentionne des travaux qui aboutissent à des conclusions opposées. Lui aussi pense que la réduction serait mieux tolérée en période de reprise d’activité, si elle est accompagnée d’un plan d’investissement public et si elle épargne les ménages modestes. Surtout, il préconise d’abandonner la « politique du rabot » (où toutes les dépenses publiques sont indifféremment concernées par la baisse) et les coupes dites « horizontales » (par exemple non remplacement d’un départ sur deux dans la fonction publique), pour des réductions très ciblées : son analyse repose sur le fait que toutes les dépenses publiques ne se valent pas et que certaines ont moins d’impact sur l’activité. Les dépenses devraient donc, selon le CAE, faire l’objet d’une « revue » systématique et d’une évaluation visant à sélectionner celles auxquelles il faut renoncer ou celles qu’il faut faire évoluer, parce que le rapport coût /efficacité n’est pas bon ou parce que le périmètre d’intervention des pouvoirs publics peut être modifié. Ainsi, serait-il, selon le CAE, envisageable de modifier les orientations (et les dépenses) de la politique du logement, de la politique agricole, de celle de la santé et de la formation professionnelle. Sans préjuger des secteurs choisis, il est vrai qu’une politique sélective et étayée de réduction vaudrait mieux qu’une politique brutale, générale et aveugle.

Le gouvernement actuel va-t-il entendre ces conseils ? Rien n’est moins sûr. D’abord, il est pressé, puisqu’il veut réduire le déficit public dès 2017. Une loi d’airain des politiques publiques est qu’elles sont rarement décidées dans la sérénité et que, échéances politiques ou obstacles techniques, le temps manque toujours. Il ne sera sans doute pas possible alors de procéder à une « revue » des politiques et à un examen d’opportunité. Pour autant, le gouvernement peut s’appuyer sur des analyses existantes : il a annoncé d’ores et déjà qu’au-delà du gel de la valeur du point de rémunération des fonctionnaires et de la réduction des effectifs publics, il s’attaquerait aux aides au logement et à l’organisation de la formation professionnelle, deux secteurs considérés en général comme peu efficients. A plus long terme, s’il veut amplifier le mouvement, il doit prendre garde : la réduction des dépenses publiques n’est pas seulement une question de courage politique mais surtout d’intelligence et de sens politique.

[1] Voir notamment les décisions 2001-456 du 27 décembre 2001 et 2005-530 du 29 décembre 2005

[2] Dominique Rousseau, Revue de droit public, n° 1-2006

[3] Décision 2016-744 DC du 29 décembre 2016

[4] Sur le diagnostic des postes en « surpoids » dans les dépenses publiques, toutes les analyses convergent : note de France Stratégie (« Pourquoi les dépenses publiques sont-elles plus élevées dans certains pays ? », juillet 2014), Policy brief de l’OFCE (« Dépenses publiques : quels enjeux pour le prochain quinquennat ? », avril 2017), note du Conseil d’analyse économique (« Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? » juillet 2017). Le rapport d’audit de la Cour des comptes lui-même reprend cette analyse (pages 106 et 107).

[5] Policy brief d’avril 2017cité dans la note précédente.

[6] CAE, note de juillet 2017 citée en note 4