Evaluer les élèves, même quand ils n’ont encore rien appris

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Evaluer les élèves, même quand ils n’ont encore rien appris

Le Ministère de l’Education nationale a mis en place, à cette rentrée, une évaluation des acquis à l’entrée en 6e (pas de problème, sauf que commencer par une évaluation est nécessairement anxiogène) mais aussi à l’entrée en CP. La démarche est surprenante : il existe déjà, à la fin de l’école maternelle, une synthèse des acquis établie par l’enseignant, qui porte sur l’appropriation du langage et la découverture de l’écriture, l’aisance et l’inventivité, l’utilisation des nombres, le repérage dans le temps et dans l’espace et le respect de règles sociales. Deux mois après cette évaluation qui porte sur des acquis scolaires et non scolaires et permet à l’enseignant de CP de connaître les enfants confiés, voici venu le temps d’exercices écrits pour des enfants peu habitués à travailler sur une feuille d’examen (il y a un livret à remplir), obligatoires sur le territoire et identiques pour tous, sans que l’on sache très bien à quoi va servir l’évaluation (si du moins elle donne lieu à synthèse) et s’il y aura retour aux enseignants.  En français, il faut entourer des chiffres, des lettres, des mots et être capable de reconnaître des syllabes communes à certains noms. Naturellement, l’on reste dans le monde archaïque des ouvrages scolaires, seul lieu où pullulent igloos et hérissons et où les bateaux ressemblent à un transatlantique des années 50. L’on demande de compléter des séries (vêtements, animaux…) et de donner un nom à ces ensembles (trousseau ? bestiaire ?). Certains enseignants, devant des exercices vraiment trop compliqués pour des 6 ans, sont certains de l’échec des enfants de leur classe et redoutent ce temps perdu. Est-ce une bonne chose de commencer par échouer ? La réponse est malheureusement toute trouvée : il suffira de préparer les enfants en maternelle pendant les heures consacrées jusqu’ici aux jeux ou aux histoires. Il n’y a probablement pas, derrière cette consigne d’évaluation, de volonté machiavélique d’humiliation des zones Rep + ni non plus, d’ailleurs, de les aider. C’est la décision d’évaluer qui est en elle-même préoccupante : elle révèle une volonté normative discutable (il faut faire partie des A+ dès le départ), la volonté aussi, si le niveau de référence (la totalité des bonnes réponses) n’est pas acquis, d’alerter les enseignants et les parents, déjà trop portés à s’inquiéter des résultats scolaires. Mais les exercices fixent-ils vraiment un niveau de référence ? Les spécialistes n’y voient que du formalisme (syllabes, lettres) sans appel à la compréhension. Et puis, en quoi est-ce utile d’évaluer si l’enfant a des connaissances qu’il n’est pas censé avoir acquises puisque la maternelle n’est pas obligatoire ? Les enseignants sont des fonctionnaires rétifs, peu enclins à se plier à une discipline collective, mécontents parfois pour pas grand-chose : ce serait mieux, dans ces conditions, que les mesures qui leur sont imposées soient intelligentes.