Un Etat de confiance?

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Un Etat de confiance?

 Les lois de simplification du droit et/ou d’amélioration des relations entre l’administration et les usagers ont été, depuis 20 ans, innombrables. Parallèlement, le scepticisme a crû sur leur impact, même si, sans doute, leurs dispositions ont apporté de réelles améliorations, le plus souvent ponctuelles. Lorsque la loi a tenté de dépasser l’énumération des simplifications pour modifier la logique des relations entre l’administration et les « administrés », elle n’y est pas toujours parvenue. Il en a été ainsi du texte du 12 novembre 2013 posant le principe selon lequel le silence gardé par l’administration valait désormais acceptation. La liste des exceptions et la complexité de celles-ci ont rendu l’affirmation d’origine presque dérisoire.  La future « loi pour un Etat au service d’une société de confiance », publiée cette semaine, aura-t-elle le même destin ? Selon le Président du Conseil national d’évaluation des normes, le projet manque de cohérence et de lisibilité. De fait, on y trouve à la fois un quinzaine d’articles qui définissent des principes nouveaux (droit à l’information des usagers sur les règles à appliquer et sur la position de l’administration, droit à l’erreur, droit au contrôle) et, ensuite, l’annonce d’une flopée d’expérimentations les plus diverses à côté de  simplifications ponctuelles : cela va de l’expérimentation d’un référent unique de prestations sociales à celle concernant les modalités de  regroupement des établissements d’enseignement supérieur, d’une expérimentation sur la suppléance de l’aide à domicile à une autre pour alléger le contrôle des exploitations agricoles. Des habilitations sont prévues en rafales : habilitation à modifier le processus d’installation d’éoliennes, habilitation à modifier des éléments de la régulation bancaire ou du droit de l’environnement. L’on est alors bien incapable de juger de la nécessité ou du caractère prioritaire de tels projets, dont certains paraissent anodins (habilitation du gouvernement à modifier la procédure de notification d’un indu de prestation sociale) et d’autres très lourds de conséquences (habilitation à alléger les normes de construction). A vrai dire, le foisonnement est si manifeste qu’il suscite la méfiance, surtout avec le recours systématique à des processus dérogatoires : ordonnances ou expérimentations.

Le Conseil Etat a manifesté à l’égard de ce texte une mauvaise humeur certaine : il s’est plaint notamment de l’insuffisance de l’étude d’impact, muette par exemple sur le bilan de l’utilisation des « rescrits » existants alors que le projet en prévoit l’extension (un rescrit est une réponse de l’administration qui permet de connaître sa position et lui est opposable) ou qui ne mentionne pas les conséquences (pourtant probables) du « droit au contrôle » sur la charge de travail des administrations (ce droit au contrôle prévu dans le projet donne à un administré le droit de réclamer une vérification par l’administration de sa situation, dont les conclusions lui seraient opposables, permettant ainsi d’accroître sa sécurité juridique). Même si, de longue date, le constat a été fait de la mauvaise qualité des études d’impact, ces manques sont particulièrement inopportuns dès lors qu’il s’agit d’un projet de loi porteur d’engagements forts de l’administration à l’égard des usagers.

Quant aux droits nouveaux que le projet donne à l’usager, sans doute faut-il défendre la démarche : il est tout à fait exact, comme le souligne avec une forme d’ironie distante le Conseil d’Etat, que le droit à l’erreur est affirmé de manière très générale alors qu’il comporte des exceptions fortes. Ainsi, le droit à l’erreur ne couvre que ce qui est « réparable » dans des procédures déclaratives : il ne couvre pas les envois ou déclarations qui doivent se faire dans un délai prescrit et, par exemple, l’absence d’envoi de la déclaration nominative d’embauche n’y entre pas, pas plus que la méconnaissance de délais de paiements contractuels. Il ne couvre pas non plus les sanctions des autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle. La méconnaissance des règles concernant la santé publique ou la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement en est exclue. L’administration garde enfin le droit de ne pas appliquer ce droit en cas de mauvaise foi ou de fraude. Peut-être aurait-il été plus clair de définir des procédures dans lesquelles l’administration pouvait inviter à une régularisation avant sanction. Pour autant, la disposition, qui n’a pas sans doute l’extension que la presse lui prête, est intéressante. Il en est de même des diverses dispositions (dont certaines expérimentales) qui obligeraient l’administration à rédiger des « rescrits » ou à lister les normes à respecter dans un domaine d’activité en établissant un certificat d’information, même si le Conseil d’Etat souligne que ce document ne mentionnera pas toutes les règles applicables par d’autres décideurs que l’administration d’Etat.

Au final, la démarche devrait conduire à une meilleure information et à une meilleure sécurité juridique des usagers (on voit bien que ce sont les entreprises qui sont essentiellement visées). Reste à vérifier que les allégements étudiés lors des expérimentations ou confiés au gouvernement par ordonnance respecteront bien l’équilibre entre la nécessité de la norme et la nécessité de l’alléger pour faciliter des activités utiles.