Avenir de l’assurance maladie : bien sombre d’après la Cour

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Avenir de l’assurance maladie : bien sombre d’après la Cour

La Cour des comptes publie en novembre 2017 un rapport public thématique sur l’assurance maladie, en réalité sur la politique de santé : 180 pages serrées de critiques, après quelques paragraphes consacrés à la reconnaissance de « performances honorables ». Rien de ce que contient le rapport n’est inexact ni vraiment nouveau mais l’accumulation des constats inquiétants peut difficilement être récusée. Les résultats actuels en termes de santé publique sont déjà éloquents : la France est à la 24e place des pays développés pour la mortalité prématurée (avant 65 ans) et, dans une étude de 2016 sur la place de la prévention, l’OCDE place la France au 20e rang sur 32 pays étudiés. L’accessibilité géographique et financière aux soins s’est dégradée.  Les perspectives de vieillissement et d’augmentation des maladies chroniques sont préoccupantes. La régulation financière opérée par l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie voté par le Parlement) a progressé mais reste déconnectée de l’équilibre du risque, qui n’est pas atteint et ne l’a pas été depuis près de 20 ans. Les économies réalisées sur les prix conduisent, en réaction, à une course aux quantités, en ville comme à l’hôpital, et les économies conjoncturelles affaiblissent et désorganisent les établissements de santé, les empêchant de se restructurer durablement.

S’agissant des soins de ville, la Cour n’est pas vraiment indulgente sur la mise en œuvre de la réforme du médecin traitant, sur la construction de parcours de soins pour certaines pathologies, sur l’absence du dossier médical partagé, enfin sur les conventions médicales signées entre les médecins libéraux et l’assurance maladie : sédimentation des avantages accordés aux professions, absence d’approche transversale pluriprofessionnelle, échec des mesures prises contre les dépassements d’honoraires, tel en est le bilan. La Cour considère que le modèle conventionnel est arrivé à son terme et qu’il faut désormais encadrer plus strictement les négociations. Quant aux établissements de santé, la réduction des lits programmée depuis des décennies est insuffisante et le cloisonnement entre la ville et l’hôpital toujours marqué. Enfin, la protection de l’assurance maladie est tout à fait insuffisante dans certains secteurs, optique et dentisterie.

Pour parachever le tout, les modes de rémunération des prestataires de soins sont inadaptés, y compris à l’hôpital, et la répartition des prestataires de soins est défectueuse. La France dépense davantage que d’autres pays en soins hospitaliers, les dispositifs de coopération entre professionnels de santé (médecins et paramédicaux) ne se sont que très faiblement développés pour des raisons de lourdeur administrative et la manière dont sont décidées les prises en charge des produits de santé par l’assurance maladie est archaïque et devrait être révisée. Développer la prévention, en responsabilisant financièrement les médecins sur cette dimension, encadrer davantage la pertinence des soins et faire évoluer la certification des établissements de santé pour mesurer la qualité des soins pratiqués, tels sont les premiers chantiers à ouvrir. Au-delà, la Cour considère qu’une meilleure répartition territoriale de l’offre, un meilleur contrôle de la quantité et de la pertinence des actes, de nouvelles formes de collaboration entre prestataires de ville et établissements permettraient de dégager des gains d’efficience de nature à contrebalancer l’augmentation des dépenses à venir.

Quant aux propositions finales, elles sont fortes, peut-être davantage qu’un constat déjà connu, rendu cependant plus incisif ici par une approche globale de l’ensemble de la politique de santé. La Cour considère d’abord qu’un ONDAM national (tel qu’il fonctionne depuis 1997 et est respecté depuis 2010) n’est pas cohérent avec des besoins de santé différents selon les Régions ni avec une régionalisation des décideurs que sont les ARS (agences régionales de santé). Elle pense qu’il faut définir des besoins de soins au niveau des régions, accentuer les pouvoirs des ARS pour restructurer l’offre et fixer des objectifs de dépenses régionaux. Autre « nœud gordien » à trancher, la dichotomie des pouvoirs entre l’Etat et l’Assurance maladie : jugée responsable du maintien de la coupure entre ville et hôpital, cette dualité devrait être résolue par la création d’une Agence nationale de santé réunissant les compétences tarifaires à la fois pour la ville et pour l’hôpital, la gestion du risque et le contrôle de la qualité et de la pertinence des soins. ce serait là une vraie révolution et la fin de l’Assurance maladie en tant que décideur.

 

Comment conclure ce panorama, qui soulève l’urgence d’une intervention cohérente et énergique sur la politique de santé et la gestion financière et qualitative du risque maladie ? Sans doute par une pincée supplémentaire de pessimisme : autant les responsables publics actuels paraissent se saisir de certains thèmes (l’aide aux entreprises, l’évolution du droit du travail, la formation professionnelle, l’apprentissage, sans doute les retraites…), autant ils ont manifestement choisi de ne pas en traiter d’autres, peut-être parce que la réforme y serait porteuse de risques politiques jugés excessifs, parce que les efforts à faire seraient titanesques, peut-être aussi parce qu’ils en perçoivent insuffisamment l’utilité pour les finances publiques ou la qualité du service rendu à la population : la santé est manifestement dans ce cas. Confié à une ministre attachante, qui connaît la médecine mais pas vraiment les enjeux économiques et qualitatifs de la santé et qui manifestement a pour mandat de ne pas heurter le monde médical, le domaine risque de n’être réformé que sur des points mineurs, les vaccinations, le recours à certains médicaments, la télémédecine, avec quelques efforts pour améliorer la qualité. Il est probable qu’aucune réforme d’envergure ne sera décidée. Il a ainsi fallu prendre une loupe pour apercevoir, dans une mesure sibylline de la LFSS 2018, l’annonce d’une réflexion (une de plus) sur la réforme de la tarification hospitalière. Il est vrai que la Cour, dans son approche de la politique de santé, n’a guère à la bouche que les mots « contrôle » et contraintes » et qu’il est difficile de réformer quoi que ce soit en braquant d’avance les médecins, quand bien même on les jugerait peu ouverts, très conservateurs et très attentifs aux répercussions des réformes sur leur rémunération. Il faudrait donc trouver une voie de réforme politiquement acceptable et qui évite pourtant au pays les difficultés financières et qualitatives qui s’annoncent dans le domaine de la santé. Le gouvernement actuel ne prend pas ce chemin.  La Cour pourra sans doute réécrire le même rapport dans 5 ans.