Un budget pour l’avenir ou un budget pour les riches?

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Un budget pour l’avenir ou un budget pour les riches?

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Le budget 2018 de l’Etat est-il, comme on l’a dit ces dernières semaines, défavorable aux ménages tout en avantageant les entreprises, favorable aux ménages riches et moins ambitieux qu’annoncé sur l’amélioration des finances publiques ? Toutes ces affirmations sont vraies mais pour autant elles méritent nuances, éclairages et commentaires.

Des critiques exactes

2018 : un alourdissement peu contestable des charges sur les ménages

La note de conjoncture de l’Insee de décembre 2017 avait déjà alerté certains journalistes. Souhaitant projeter les évolutions du pouvoir d’achat en 2018, elle récapitulait en effet les mesures du budget 2018 ayant un impact sur les ménages. D’un côté, les alourdissements de charges : augmentation de la CSG et du prix du tabac et de l’énergie. De l’autre, les allégements : disparition de certaines cotisations salariales ; allègement de la taxe d’habitation en dessous d’un certain niveau de revenu ;  transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière qui ne frappe plus que le patrimoine immobilier au-dessus d’une certaine valeur, épargnant les placements financiers et les biens meubles ; institution d’un prélèvement forfaitaire de 30 % sur les revenus du patrimoine mobilier, alors que ceux-ci étaient jusqu’alors soumis à la fois à des prélèvements sociaux à hauteur de 15,5 % et, pour la partie proprement fiscale, au barème de l’IRPP.

Sur cette base, le calcul de l’Insee était simple : le calendrier fiscal ayant placé certaines mesures d’alourdissement des charges en début d’année et certaines mesures d’allègement en fin d’année, en moyenne, les prélèvements obligatoires sur les ménages s’alourdiraient en 2018 de 4,5 Mds et l’augmentation du pouvoir d’achat en serait freinée, surtout au 1er semestre.

Un net allégement des charges sur les entreprises

Pour les entreprises, sur 2018, les prélèvements s’allégeraient dès le début de l’année grâce à la baisse de l’impôt sur les sociétés (le taux passant de 33,3 % à 28 % sur les bénéfices inférieurs à 500 000€) et à la suppression de la taxe sur les dividendes, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel qui a invalidé celle-ci en octobre dernier.

Un budget pour les ménages riches ?

 L’analyse de l’OFCE-Sciences po (Observatoire français des conjonctures économiques), publiée le 15 janvier 2018 et intitulée « 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », a complété la note de conjoncture évoquée ci-dessus en procédant à une estimation de la répartition des gains et pertes des ménages selon leurs tranches de revenus : la conclusion est que, en 2018, malgré l’augmentation de certaines prestations sociales et la baisse de la taxe d’habitation, les 5 % les plus modestes perdraient en pouvoir d’achat. En revanche, les 5 % les plus aisés verraient leur pouvoir d’achat augmenter de 1,6 % du fait des seules mesures budgétaires (dans l’un et l’autre cas, le calcul isole les seules conséquences des décisions budgétaires).

 Une amélioration limitée des finances publiques ?

Déjà, l’avis du Haut Conseil des finances publiques du 29 septembre 2017 sur le projet de budget pour 2018 souligne que, si celui-ci est assis sur des hypothèses raisonnables et s’il est prudent dans ses prévisions, si, de plus, le déficit public (2,6 % en 2018) baisse de 0,3 points, l’ajustement structurel (c’est-à-dire l’amélioration du solde corrigé des variations conjoncturelles) est excessivement faible : il est de 0,1 en 2018, alors que la Commission demande, pour des Etats qui se trouvent dans la situation française (une dette supérieure à 60 % et une exposition à des risques de soutenabilité de la dette), un ajustement structurel de 0,5, ce qui devrait se traduire par une politique de rééquilibrage plus ferme en fonction de la croissance  du « PIB potentiel »[1].  Celui-ci augmente et l’ajustement n’est pas suffisant.

Le Haut Conseil relève en outre qu’avec une prévision de dépenses de l’Etat en volume de + 0,5% (annonce de septembre 2017), les objectifs de maîtrise de la dépense pour 2018 sont plus exigeants que ceux des années précédentes : il craint qu’ils ne soient pas tenus.

De fait, le budget voté a réévalué pour 2018 et 2019 le taux d’augmentation des dépenses prévu lors de la présentation du PLF en septembre 2017 : l’augmentation des dépenses en volume passe à 0,6 % en 2018 et à 0,7% en 2019.

L’analyse de l’OCDE accentue le trait : en 2018, dit-elle, contrairement aux annonces, le déficit public ne diminuera pas mais restera stable à 2,9 %. Cette stabilisation tiendra uniquement à la reprise économique, sans effort d’assainissement budgétaire : celui-ci sera empêché par la difficulté à obtenir rapidement des économies et par les conséquences de l’annulation de la taxe sur les dividendes, dont le coût devrait avoisiner 10 Mds sans avoir été compensé intégralement par le prélèvement exceptionnel de 2017 sur les grandes entreprises. De ce fait, l’OCDE souligne, tout comme le Haut conseil, l’insuffisance de l’ajustement structurel au regard des normes européennes.

 Peut-on justifier ces choix ?

 La réponse est différente selon les domaines : l’on peut défendre l’allègement de la fiscalité sur les entreprises ; les effets de la loi de finances sur les ménages sont bien plus critiquables, d’autant plus qu’ils vont s’amplifier. Quant au faible redressement des indicateurs budgétaires, il est le signe de contraintes fortes que le gouvernement, au final, ne gère pas si mal.

L’allègement de la fiscalité sur les entreprises en 2018 correspond à un schéma pluriannuel annoncé : en 2022, le taux devrait être pour toutes les entreprises de 25 %. Selon l’analyse de Thomas Piketty[2], qui critique à la fois transformation de l’ISF et baisse de l’IS, le pouvoir favorise ainsi des classes sociales qui le sont déjà massivement et renforce des inégalités de manière insupportable. Il souligne le parallélisme avec les mesures de Donald Trump qui a, de fait, baissé l’impôt sur les sociétés de 35 à 20 %, évoquant un régime systématiquement « dérogatoire » pour les hauts revenus. Dans les commentaires de sa récente publication sur les inégalités[3], il met en cause la course au moins-disant sur l’impôt sur les sociétés, considérant qu’elle ne mène à rien qu’à toujours limiter davantage la ponction sur les richesses en minant le consentement à l’impôt.

C’est faire malgré tout bon marché d’une analyse précise des charges que supportent les entreprises en France et nier une recherche d’efficacité fiscale sur la croissance et l’emploi : comme le souligne l’organisme France-Stratégie[4], les entreprises supportent, outre des prélèvements sur le travail plus importants que dans les autres pays, une myriade de taxes de faible ampleur mais qui finissent par alourdir une fiscalité complexe. Quant à l’impôt sur les sociétés, il combine en 2017 un taux facial élevé et un rendement moyen, compte tenu des différences de taux selon la taille ou les résultats et d’exonérations diverses. La France cumule ainsi tous les inconvénients : une faible attractivité internationale, un taux parfois élevé dissuasif pour l’investissement, un rendement médiocre et une complexité coûteuse. L’efficacité du système n’est en tout cas pas démontrée au vu des résultats économiques obtenus jusqu’ici par la France, même si, c’est certain, d’autres facteurs entrent en jeu.

 Pour les ménages, en termes de redistribution, compte tenu des décalages de date mentionnées plus haut, il est difficile de n’étudier que 2018, les effets n’étant pas les mêmes selon le moment de l’année. L’OFCE a, de fait, l’honnêteté d’étudier les effets des mesures du budget à la fin des deux années 2018 et 2019. La conclusion est à la fois rassurante et choquante. Rassurante : de vingtile en vingtile (de 5 % en 5 %), sur les 20 tranches de revenu, 14 tirent un bénéfice modeste mais net des mesures qui sur les deux ans contribueront à augmenter leur pouvoir d’achat entre 1,7 et 0,6 %. De plus, la distribution de ce gain va plutôt decrescendo en fonction du revenu. 4 tranches en tirent peu ou pas de bénéfice et ce sont quatre tranches situées en haut de l’échelle des revenus. Ce qui est choquant en revanche, c’est la situation des deux tranches extrêmes : les 5 % les plus défavorisés ne gagnent quasiment rien (le gain de pouvoir d’achat dû aux mesures budgétaires est de 0,2 %) tandis que, surtout, les 5 % les plus favorisés augmentent leur pouvoir d’achat de 2,2 %. Ils « captent » ainsi 40 % du gain des mesures, essentiellement à cause de l’allègement de l’ISF et de la mise en place de l’IFU.

 Les 5 % les moins favorisés sont avantagés et pénalisés de manière quasiment équivalente par les décisions budgétaires de 2018-2019, ce qui fait qu’au final ils n’y perdent pas mais ne gagnent rien pas non plus. Leur situation s’explique par le fait qu’ils sont particulièrement touchés par l’alourdissement du prix du tabac (la consommation est concentrée sur les catégories très modestes) et par celui de la fiscalité écologique. Or, ces mesures sont difficiles à critiquer. La hausse du prix du tabac peut même être jugée insuffisante pour obtenir des changements de comportement souhaitables. Quant à la fiscalité écologique, elle est appelée à s’alourdir encore les années qui viennent : elle tient à l’augmentation de la contribution climat énergie (qui augmente le prix du carbone) et à l’augmentation de la fiscalité sur le gazole, que personne ne regrette.

Pour autant, tandis que les documents préparatoires au budget 2018 chiffrent le coût moyen pour les ménages à 79€ par an en 2018 et à 313€ en 2022, le rapport sénatorial rédigé dans ce cadre souligne l’ampleur des disparités de cette charge selon le mode de chauffage, le type de motorisation et le lieu de vie des ménages : pour un ménage chauffé au fioul, habitant une périphérie éloignée et roulant beaucoup avec une voiture au gazole, le coût serait de 136€ en 2018 et de 538€ en 2022. Pour des gens modestes, c’est peu supportable. Les compensations prévues, généralisation du chèque énergie ou prime de conversion des véhicules anciens, n’en atténueront pas l’impact : le premier ne fait que remplacer les tarifs sociaux ; une prime, même de 2000€, n’aide pas suffisamment un ménage non imposable à acheter un véhicule nouveau. L’alerte est donc réelle : le budget 2019 devra veiller à ce que la situation des ménages pauvres ne se dégrade pas. Il n’est pas admissible que ce soit les plus modestes qui payent le prix fort de réformes indispensables à tous.

La nette amélioration de la situation des plus aisés est plus difficile à commenter, tant les arguments échangés sur l’opportunité des mesures prises (allégement de l’ISF, institution d’une « flat tax » sur les revenus mobiliers) sont, de part et d’autre, difficiles à récuser. Le débat met d’autant plus mal à l’aise que, en réalité, comme le montrent les documents complets de l’étude de l’OFCE, ce ne sont pas les 5 % les plus favorisés qui sont au final gagnants, mais les 2 % les plus favorisés, ceux qui ont un patrimoine extrêmement élevé, tandis que les 3 % qui complètent cette tranche devraient y perdre. Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités, souligne que la question de l’enrichissement des très riches ne doit pas focaliser l’attention et faire oublier l’appauvrissement des plus pauvres. Il a raison. N’empêche que, même si l’on pouvait trouver curieux que la France soit un des rares pays à taxer la fortune, même si l’on peut espérer, d’une plus faible taxation des revenus financiers, une propension à investir davantage « dans l’économie », les analyses de Louis Chauvel et de Thomas Piketty sur les altérations de la cohésion sociale créées par les inégalités de patrimoine et l’enrichissement continuel des très riches reviennent en mémoire. Certes, la dispersion d’ensemble des revenus montre que les inégalités en France sont limitées. Mais les inégalités de patrimoine comptent, et de plus en plus : le remplacement d’un modèle méritocratique par un modèle reposant sur l’héritage serait dévastateur. Faudrait-il compenser les mesures 2018 par une taxation plus lourde sur les successions ? Peut-être.

Quant au redressement des finances publiques, le gouvernement a dû gérer des contraintes importantes : rembourser la taxe sur les dividendes invalidée en 2017 par le Conseil constitutionnel ; stopper la baisse des contributions aux collectivités ; répondre aux besoins de ministères prioritaires, Défense (+ 1,8 Mds), Education nationale (+ 1,3 Mds), Ecologie (0,5 Mds avec un développement des outils fiscaux) et surtout Justice (7 Mds). En 2019, il faudra « avaler » l’effet de « double charge » causé par la transformation du CICE en abaissement de cotisations[5] qui est une bonne décision.  Le budget fait face, sans sacrifier les priorités au nom de la seule gestion. Parallèlement, il réussit à mettre en place immédiatement des mesures (baisse de l’IS par exemple) qui, si elles y parviennent, mettront du temps à améliorer une situation économique dégradée. Dans une conjoncture fragile, un budget d’austérité aurait été bien plus dangereux.

Pergama

 

[1] Le PIB potentiel est celui qu’atteindrait un pays si toutes ses ressources productives étaient utilisées (plein emploi notamment)

[2] Blog paru dans Le Monde 12 décembre 2017

[3] Rapport sur les inégalités mondiales, décembre 2017, accessible en ligne

[4] Quels principes pour une fiscalité simplifiée ? France-Stratégie, Août 2016

[5] Le CICE étant un crédit d’impôt, l’avantage acquis en 2018 sera à rembourser en 2019, année où il faudra supporter également le manque à gagner des allègements de charge correspondants