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Ecologie politique : Hulot parti, tout reste à faire

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Est-il possible de faire un bilan détaillé de l’action d’un ministre démissionnaire quand il est chargé d’attributions hors du commun qui englobent une grande part, peut-être l’essentiel, des politiques du pays ? Rappelons en effet l’ampleur des attributions du ministre[1] : il « prépare et met en œuvre la politique du gouvernement dans les domaines du développement durable, de l’environnement, notamment de la protection et de la valorisation de la nature et de la biodiversité (…), de la transition énergétique et de l’énergie (…) du climat, de la prévention des risques naturels et technologiques (…), des transports, de l’équipement et de la mer. Il promeut une gestion durable des ressources rares ». Avec de telles compétences et un rôle aussi central, qu’un ministre parle, un an après le début de son action, de solitude, d’échec, de mystification, de dictature du court terme révèle une terrible vérité, que les commentateurs commentent…avec placidité : le soldat Hulot aurait été fragile car idéaliste, incapable de trouver des alliés, et surtout l’écologie serait, depuis l’origine, un ministère impossible parce que c’est un ministère alibi. Le bilan est alors facile à faire : la nomination de Nicolas Hulot, désireux de changer le monde tandis que le Président voulait juste une touche de verdissement, aurait été un malentendu, sans doute une manipulation. Les analystes les plus éclairés (tel l’avocat Arnaud Gossement) soulignent que le départ d’Hulot établit définitivement une vérité simple : l’écologie n’étant pas un secteur comme les autres, nommer un ministre n’a pas de sens. C’est le premier ministre qui doit obliger l’ensemble du gouvernement à aller dans ce sens, sinon, le défi est insurmontable. On est loin de la déclaration de Stéphane Travert, ministre de l’agriculture, anxieux d’évincer Hulot du champ agricole : « Chacun doit être sur ses sujets », plaidait-il en décembre dernier.

Essayons d’aller plus loin cependant. Malgré la sympathie qu’inspire la sincérité de son discours de démission et le regret qu’un homme aussi engagé ait été maltraité par des médiocres, Nicolas Hulot a manqué à l’écologie politique : sur le plan des résultats, son bilan est dérisoire. Surtout, il n’a jamais tenu un discours clair et offensif, ni sur les concepts ni sur ses objectifs politiques de moyen et de long terme, ni sur le cheminement choisi pour les atteindre. Cela ne lui laissait aucune chance de convaincre, même à la marge, ni ses collègues, pour la plupart imperméables à l’ambition portée, ni une population qui ne s’est jamais approprié les objectifs écologistes. Nicolas Hulot a montré ce qu’il ne fallait pas faire si l’on veut que l’écologie politique ait un avenir. Pour autant, qui parierait aujourd’hui qu’elle en ait un ? Sa démission, sauf improbable miracle, ne résoudra rien.

Un bilan sectoriel dérisoire

 Le bilan de l’action de Nicolas Hulot passe d’abord par ce qu’il a fait : une masse de plans d’action, longs, compliqués, illisibles, dont on peine à débrouiller la part du déclaratif, qui semble très importante, et celle des décisions, qui semble limitée.

Ainsi, le plan Climat d’août 2017 annonce, sans autres précisions, une loi mobilité et une feuille de route pour l’économie circulaire, met en place un Comité de personnalités qualifiées pour suivre les progrès, évoque l’action diplomatique pour dynamiser les résultats de la COP 21, annonce une prime à la conversion des véhicules (elle aura du succès) et un plan de rénovation thermique (déjà annoncé en 2015) dont les moyens se sont au final avérés limités. Il s’engage sur la fermeture pour 2022 des quelques centrales à charbon qui existent encore, déjà annoncée par Emmanuel Macron dans la campagne et, au demeurant, déjà programmée pour 2023 dans la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) d’octobre 2016. Il annonce aussi le rapprochement du prix de l’essence et du diesel sur le quinquennat, mesure elle aussi annoncée dès 2015 ainsi qu’une une augmentation (bienvenue) du prix du carbone. S’ajoute l’interdiction de nouveaux permis d’hydrocarbures, mesure symbolique compte tenu de la faiblesse de la production française. Enfin, on y trouve des engagements dont on ne sait trop comment on va les tenir (depuis le Grenelle de l’environnement, l’engagement quantitatif volontariste est devenu un grand classique des plans gouvernementaux) :  neutralité carbone en 2050, fin des voitures émettant des GES en 2040.

L’on a la même impression en analysant le plan Biodiversité de juillet 2018 : 6 axes stratégiques, 24 objectifs, 90 actions, une liste de mesures quasiment toutes incitatives, avec en particulier, la promesse de « zéro artificialisation nette », de « zéro plastiques non recyclés » en 2025 et de réduction des pesticides, sans mesures contraignantes jusqu’à aujourd’hui. Quant à la feuille de route pour l’économie circulaire, elle comporte 50 objectifs qui encouragent, assouplissent, promeuvent, au final un ensemble indigeste de mesures pointues dont on serait bien en peine de savoir si elles feront synergie.

Au-delà, Nicolas Hulot s’est sans doute bien battu contre le glyphosate, beaucoup moins bien, en juillet 2017, contre la proposition très critiquable de la Commission sur les perturbateurs endocriniens (c’est le vote de la France, jusqu’alors négatif, qui a permis l’adoption du texte, heureusement bloqué par la suite par le Parlement européen), pas assez contre certaines dispositions du projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation, épandage des pesticides,  maltraitance animale, étiquetages alimentaires complaisants. Il a paru timoré, sans parole forte, sans projet concret, prisonnier d’un discours verbeux et compliqué.

 Une population peu impliquée

Hulot était, il est vrai, seul. Pas d’alliés au gouvernement, pas de parti, pas d’appui non plus dans la population, sauf une sympathie réelle, inutile s’il n’agissait pas. L’enquête annuelle de l’Insee « Cadre de vie et sécurité » étudie les préoccupations sociales que les personnes interrogées considèrent comme les plus importantes : en 2017, l’environnement recueille 5,4 % des avis, loin derrière le terrorisme, le chômage et la pauvreté, et ce score a plutôt baissé sur le long terme depuis la crise (10,5 en 2007), le point bas (3,2 %) ayant été atteint en 2013. Les données sont, il est vrai, bien meilleures lorsque l’enquête ne hiérarchise pas les préoccupations et que l’on interroge les Français sur leur « sensibilité environnementale » : dans une enquête Credoc demandée par le Commissariat général au développement durable[2], le niveau de cette sensibilité atteint 5,32 en 2015 sur une échelle de 0 à 7, ce qui est très élevé.

Une note d’une association, « La fabrique écologique »[3], souligne à juste titre, sur le fondement d’une étude de l’Adème, le paradoxe entre d’une part le pourcentage important des Français qui se disent « très sensibles à l’environnement » (39%) et le jugement sévère porté sur sa dégradation (le pourcentage des personnes jugeant que la situation est bonne est passé, de 2011 à 2016, de 15 à 8%) et, d’autre part, le rang très médiocre de l’environnement dans les préoccupations majeures (6 % dans cette étude). La note impute ce contraste au fait que l’écologie apparaît comme un enjeu lointain dont les pouvoirs publics sont en charge au premier chef. Tout se passe comme cet enjeu était trop abstrait pour influencer la manière de consommer. L’évolution de l’offre politique écologique devenue, ces dernières années, marginale et parfois illisible, n’a sans doute pas contribué à faire de l’écologie un enjeu concret.

Quant aux médias, leur discours dominant est facile : ils couplent écologie et courage. Les hommes politiques seraient lâches devant des enjeux pourtant cruciaux. Or, les choix des politiques sont en phase avec ceux de la population, qui regrettera le départ de Hulot mais qui continuera comme avant, dans sa vie quotidienne comme dans ses choix électoraux. Tout le monde s’en fiche, disait Hulot, à raison.

De plus, les opposants à l’écologie ont appris à repeindre en vert leurs discours, tout en insinuant que l’écologie est « une idéologie déraisonnable » qui préfère la nature à l’homme[4]. Ainsi, le ministre de l’agriculture se dit très favorable au bio mais défavorable à « l’écologie punitive », expression démagogique et vide de sens : les choix politiques consistent bien à poser des règles, à inciter, voire à contraindre, l’important étant que ces choix soient compris et acceptés…Le diesel serait devenu propre grâce aux filtres à particules, les centrales nucléaires produisent une énergie décarbonée (mais pas sans déchets…) et représenteraient donc la meilleure solution pour le climat. Et puis, la question est mondiale : attendons donc que les voisins décident…surtout les pays pauvres, qui ont bien droit à la croissance.

Tout va donc dans le sens du statu quo.

 La question de fond : les écologistes ont-ils un projet politique ?  

Quand Emmanuel Macron a fait sa campagne, il a empoigné certains thèmes et construit une vision politique (bonne ou pas, ce n’est pas ici la question) : diminuer les charges sur les entreprises et les ménages qui travaillent, relancer l’activité et la croissance, lutter contre la pauvreté par le retour au travail et la formation professionnelle, libérer le pays d’une vision statutaire jugée corporatiste, renforcer la concurrence, baisser la dépense publique, revoir le périmètre de l’Etat, favoriser le mérite, privilégier l’efficacité sur l’idéologie et l’approche par résultats mesurables sur les traditions idéologiques et « clientélistes » des politiciens. L’approche avait sa cohérence (à la fois libérale et interventionniste, certains diraient bonapartiste, avec une modernisation contrainte par le chef) et, parce qu’elle était de plus colorée d’un humanisme quelque peu oublié par la suite et accompagnée d’une vision rafraichissante des alliances européennes à construire, elle a séduit. En tout cas, c’est un projet politique, pas une liste de normes ou un rappel d’études scientifiques.

Les écologistes n’ont pas construit un tel projet. Leur approche est soit incantatoire (qui dira sur ce point les ravages de la période COP 21, grand moment d’émotion sur un accord creux, ou l’inanité du débat sur l’inscription dans la Constitution du climat et de la biodiversité, quand par ailleurs, on ne fait rien), soit technique sur tel ou tel point sectoriel. L’action de Nicolas Hulot s’égrène ainsi en dossiers multiformes. Indépendamment de la faiblesse de fond et de forme de ces documents, la question est celle de l’objectif (vers quel monde va-t-on ?) et du comment (quel prix à payer ? qui le paye ? quelle acceptabilité ?).  Bref, quelle est l’ambition, hormis sauver la planète, ce qui est, pardon de plaisanter, un peu court ?

Il faudrait pourtant que l’écologie nous rende capables de répondre à certaines questions :

1° Peut-on raisonnablement parler de « développement durable » ? est-ce possible, impossible, envisageable d’allier performance environnementale et emploi, satisfaction des besoins, qualité de vie, voire croissance ? A quelles conditions ?

La notion de développement durable est, on le sait, irritante, parce qu’elle semble manipulatrice : utilisée depuis mars 1987 dans un rapport remis aux Nations Unies, l’expression désigne « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. ». Que la conciliation soit parfois possible entre performance économique et environnementale, c’est certain. L’exemple toujours cité est celui de la rénovation thermique des logements ou du recyclage, voire du démantèlement des centrales nucléaires ou de la construction des énergies renouvelables : il y a des emplois à la clef. Mais rien ne prouve que le système dans son ensemble puisse « boucler » en unissant harmonieusement écologie, emploi et croissance. Nombreux sont les experts qui annoncent décroissance ou, au moins, « frugalité ». Est-ce acceptable pour les populations ? Prétendre que l’on peut éviter des contraintes sur la croissance avec les mots magiques de « croissance verte » est absurde. Prétendre que l’on ne peut que basculer dans la décroissance est anxiogène. Comment faire ?

 2° Quelles sont les contraintes auxquelles il va falloir faire face ? Comment les rendre acceptables et éviter qu’elles n’augmentent les inégalités ?

Ainsi, peut-on poser comme contrainte de figer (voire de faire régresser) l’artificialisation des sols et donc d’arrêter l’étalement urbain ou périurbain ? Quelles sont les coûts, les conséquences sur le droit de propriété, l’urbanisme, les modes de vie ?

3° Enfin, comment passer d’une politique à une autre sans traumatisme social ? Est-il possible de modéliser cela pour la réduction du nucléaire ? Un modèle agricole différent est-il envisageable compte tenu de la concurrence d’autres pays ? Le modèle de la petite exploitation bio est-il généralisable ? Et surtout comment vit-on dans une nouvelle économie si le commerce international, la spécialisation des productions, le transport de longue portée restent tels quels ?

Il faudrait élaborer ce projet, en débattre avec la population, bref rendre l’écologie concrète, crédible.

2018, année zéro…

Pergama

[1] Décret n° 2017-1071 du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire

[2] Opinions et pratiques environnementales des Français, en 2015, Chiffres et statistiques, Ministère en charge de l’environnement.

[3] 2017, La triple rupture de l’écologie politique, La Fabrique écologique, mai 2018

[4] Voir l’article du député Julien Aubert, Le monde 30 août 2017.