Taxation des GAFA, le chemin de croix de la justice fiscale

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Taxation des GAFA, le chemin de croix de la justice fiscale

Vouloir soumettre à l’impôt les multinationales spécialisées dans la production de services numériques (Google, Amazon, Facebook et tous les autres) relève d’un impératif politique : les contribuables nationaux exigent un partage équitable du fardeau fiscal, d’autant que Pierre Moscovici, commissaire responsable de l’économie et de la fiscalité, a indiqué récemment que de telles entreprises supportaient dans l’Union un taux moyen d’imposition de 9 %, à comparer aux 23 % supporté par les autres. Dans un pays où elles n’ont pas d’implantation physique, de telles entreprises peuvent échapper à l’impôt puisque leur activité et leurs actifs (bases de données ou algorithmes) sont immatériels. Elles rapatrient leurs bénéfices dans une filiale installée, la plupart du temps, dans un pays de faible imposition, Irlande ou Luxembourg.

Cependant, augmenter la contribution fiscale des GAFA relève d’un casse-tête juridique. Aujourd’hui, pour être soumis à l’impôt dans un pays, une entreprise doit y disposer d’un établissement qui y est installé physiquement de manière stable et qui dispose d’une autonomie de décision et y réalise des bénéfices. Le dispositif n’est pas adapté à des services immatériels. Non seulement il faut définir de nouvelles règles reconnaissant l’implantation, mais les règles utilisées pour la répartition des bénéfices entre pays qui s’appliquent dans l’économie « physique » ne peuvent pas s’appliquer dans un système différent de production de valeur. La Commission a donc choisi, en mars 2018, de définir un système de long terme mais, en attendant sa mise en place, un dispositif provisoire. La première proposition définit la « présence numérique » (par un seuil de bénéfices réalisé dans un pays ou par le nombre d’utilisateurs ou par le nombre de contrats passés). Seraient taxés alors les bénéfices réalisés par les entreprises « numériquement présentes » tirés de l’exploitation des données des utilisateurs, des services de mise en relation (Uber, Airbnb) ou des autres services numériques comme le streaming, toutes les activités où les utilisateurs jouent un rôle dans la création de valeur.  Toutefois, dans l’attente de la mise en œuvre de cette solution de long terme, aujourd’hui impossible, la Commission a proposé une taxation provisoire de 3 % sur le chiffre d’affaires (et non pas le bénéfice) généré par ces services numériques, frappant les grosses entreprises numériques (au moins 750 Millions de CA dans le monde dont 50 en Europe). La taxe rapporterait 5 Mds et peut être rapidement mise en place. Toutefois, son adoption nécessite l’unanimité.  Depuis le printemps 2018, l’Allemagne, au départ partante, soumise aux pressions commerciales des Etats-Unis (la taxation des GAFA, c’est la taxation d’entreprises américaines), repousse la décision et préférerait une taxe adoptée par le G20, qui, de fait, en a décidé l’examen…en 2020, après remise d’un rapport de l’OCDE sur le sujet.  L’Irlande et le Luxembourg, où sont implantées les filiales de Google et d’Amazon, ne sont pas favorables à la taxe et les pays qui ont passé des accords avec les GAFA les autorisant à des montages permettant l’évasion fiscale (Belgique et Pays-Bas) non plus.  D’autres pays (notamment nordiques) émettent des objections sur l’assiette « chiffre d’affaires » qui, selon eux, poserait des questions d’équité. La France, le Royaume-Uni, l’Espagne, et naguère l’Italie, sont en revanche favorables. En juillet 2018, le Comité économique et social européen a produit un rapport destiné à enterrer le projet : certes, disait-il, il faut taxer les GAFA et le constat selon lequel ces entreprises échappent à l’impôt est insupportable. Mais, dans la proposition de la Commission, rien ne va : ni le plafond d’imposition, trop bas, ni le critère du nombre d’utilisateurs (qui avantagent les grands pays !) ni la définition de l’assiette (il faudrait se coordonner avec les révisions en cours du Code des impôts américains, sinon on « complexifie » le système fiscal), ni surtout le choix d’appliquer la taxe provisoire au chiffre d’affaires et non pas aux bénéfices. Cette technique serait « un changement de principes » et risquerait de mettre en place une double imposition, compte tenu du fait que le la taxe ne serait pas déductible d’autres impôts sur le chiffre d’affaires payés dans certains pays… Bref, les GAFA  ont bien fait leur rôle de lobbies, ajoutant que toute pénalisation de leur activité aura des répercussions sur les économies européennes,.

La France avait affirmé que, si la taxe n’était pas adoptée en 2018, elle la mettrait en place unilatéralement.  Un accord a été cependant passé, début décembre 2018, entre l’Allemagne et la France pour demander au Conseil d’adopter une directive sur la mise en place d’une taxe provisoire de 3 % mais avec une assiette réduite aux revenus publicitaires et ne frappant donc que Facebook et Google, et encore, moins durement que prévu. La mise en place serait prévue pour 2021. Il n’est cependant pas certain que ce projet, même d’ambition réduite, soit accepté. Quand l’Europe est incapable de percevoir et de respecter l’intérêt général…