Levothyrox: écouter les malades

Garder la redevance, en élargir l’assiette
14 avril 2019
Ruptures conventionnelles : l’inflation
21 avril 2019

Levothyrox: écouter les malades

En 2017, le laboratoire Merck a changé la formule du Levothyrox, une hormone de synthèse administrée aux 3 millions de patients atteints d’hypothyroïdie. Le principe actif restait identique mais pas les excipients. Au fil des mois, des patients de plus en plus nombreux se sont plaints d’effets secondaires parfois très éprouvants, voire insupportables. Précision importante pour comprendre la suite : le Levothyrox est « non substituable » en pharmacie, parce que le dosage doit être adapté à chaque patient, dans une marge étroite.  Or les malades expliquaient qu’avec la nouvelle formule, ils avaient le sentiment de revenir en arrière, leurs malaises leur rappelant cette période de tâtonnement sur les doses à prescrire. Les autorités ont mis en doute ces plaintes, affirmant en tout cas qu’elles n’y trouvaient pas d’explications, tout en demandant, il est vrai, que l’ancienne formule soit à nouveau à disposition des malades. En mars 2019, la justice a, de même, rejeté les plaintes des malades et considéré que le laboratoire n’avait commis aucune faute. Or, des chercheurs des Universités de Toulouse et de Londres ont, avec l’aide de l’Inserm, repris le dossier de « bioéquivalence » entre l’ancienne et la nouvelle formule déposé par le laboratoire pour obtenir les autorisations de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). La bioéquivalence représente l’assurance que l’organisme absorbe le produit de la même manière. Les résultats de cette nouvelle étude ont été publiés par la revue Clinical Pharmacokinetics. Il en ressort que l’étude que Merck avait réalisée (la seule au demeurant exigible d’après la réglementation) était une étude de « bioéquivalence moyenne », réalisée à partir de la moyenne des résultats obtenus sur 200 volontaires sains. C’est ce type d’étude qui permet d’accepter la mise sur le marché des génériques. La nouvelle étude réalisée par Toulouse et Londres porte sur une bioéquivalence individuelle, avec des résultats mesurés au cas par cas : il en résulte que 60 % des personnes examinées se situaient hors plage d’équivalence. Pour ce médicament spécifiquement, les paramètres individuels sont forts et l’équivalence est à mesurer de manière plus individualisée. Mais il semble que ce soit le cas aussi pour d’autres.

L’incident est porteur de mille leçons : l’Etat (la ministre mais aussi les responsables techniques de l’ANSM) est porté à croire que, dès lors qu’un produit entre dans les clous de la réglementation, il ne peut être nocif. Ceux qui s’en plaignent sont alors des affabulateurs, des personnes un peu dérangées ou qui « s’écoutent ». Par principe, l’usager n’est pas fiable et sa plainte est examinée avec méfiance. Surtout, alors que l’expertise existe (des docteurs en pharmacologie expliquent maintenant que bien évidemment, il fallait, devant les plaintes, réaliser une bioéquivalence individuelle), personne n’a recherché la cause des plaintes, posé des hypothèses et recherché si une nouvelle étude ne s’imposait pas. On a expliqué à la presse que les produits avaient exactement les mêmes effets. L’Etat (et l’ANSM), indifférent ou méfiant par principe, certain que le droit l’emporte sur le constat d’un dysfonctionnement, manque en outre de curiosité et de la volonté de comprendre. L’hypothèse de l’incompétence peut aussi être envisagée, voire le refus de consacrer de l’argent à une vérification qui pourtant s’imposait. Et Merck ? L’idée de rechercher une bioéquivalence individuelle lui a-t-elle traversé l’esprit ? Si c’est le cas, pourquoi ne pas l’avoir fait ?  Merck explique maintenant que l’étude qu’il devait réaliser n’était pas conçue pour mesurer la variabilité individuelle. Certes. Mais quand il a vu que certains patients supportaient le nouveau produit et d’autres pas, l’hypothèse d’une variabilité individuelle trop forte aurait dû être étudiée…Certains experts soulignent désormais l’importance d’étudier individuellement les effets de certains produits, au moins quand 10 % des personnes qui le testent sont loin de la moyenne.  L’ANSM ne sait pas tout cela ? Ou ne veut pas le savoir ? Les ministres se plaignent parfois que la parole publique ait perdu de sa crédibilité. Ce cas devrait les inciter à se remettre en cause.