Révision constitutionnelle: une audace bien limitée

L’Union européenne, à l’avant-garde de l’écologie?
2 juin 2019
Avenir des retraites et âge d’équilibre : attention, décision risquée
16 juin 2019

Révision constitutionnelle: une audace bien limitée

Conformément au programme présidentiel de 2017 du candidat Emmanuel Macron, un projet de réforme des institutions a été adopté en Conseil des ministres en mai 2018, dont la discussion a commencé au Parlement à l’été 2018. L’affaire Benalla puis la crise des gilets jaunes ont conduit à en reporter l’examen, d’autant que les questions institutionnelles ont figuré au questionnaire du Grand débat. La réforme réapparaît donc aujourd’hui, sous nouveau nom : « Pour un renouveau de la vie démocratique ». Son contenu a un peu évolué, tout comme, entretemps, le paysage politique. Même si rien n’est certain, la réforme a sans doute bien davantage de chances d’être adoptée aujourd’hui qu’hier : le Sénat est tenté de monnayer son adhésion sur les points qui lui déplaisent (réduction du nombre des sénateurs et définition d’un nombre maximum de mandats publics). Reste à savoir si une telle révision, la première qui pourrait réussir depuis 2008, après les multiples tentatives avortées de F. Hollande, en vaut vraiment la peine.

Le projet est composé d’un projet de loi constitutionnelle, d’une loi organique et d’une loi ordinaire. Le Sénat a la main sur les deux premiers : le texte de révision constitutionnelle doit d’abord être voté dans les mêmes termes par les deux chambres avant d’être, soit soumis à référendum, soit adopté par le Congrès, qui réunit tous les parlementaires, à la majorité des 3/5e. Le projet de loi organique (qui diminue le nombre des parlementaires et impose des contraintes sur le nombre des mandats) concerne le Sénat et ne peut donc être adopté sans son aval. Seule la loi ordinaire (qui modifie le mode de scrutin aux élections législatives) pourrait être adoptée sans son approbation.

 Que contient le projet ?

 Le texte actuellement soumis à concertation avec les parlementaires n’est pas définitif : la liste des mesures ne devrait cependant guère évoluer.

Les mesures qui figuraient déjà dans le texte de 2018

Dans la ligne du projet de 2018, la République « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques », mission inscrite à l’article 1 de la Constitution ;

La Cour de justice de la République, composée de 12 parlementaires et de 3 magistrats en charge de juger les membres du gouvernement qui ont commis des crimes ou délits dans l’exercice de leurs fonctions est supprimée ;

Comme pour les magistrats du siège, le Conseil supérieur de la magistrature donne un avis conforme sur les nominations des membres du parquet dont il constitue également l’instance disciplinaire ;

Le Conseil constitutionnel ne comporte plus de membres de droit (les anciens Présidents de la République)

La Corse fait partie des collectivités à statut particulier pour lesquelles la loi peut prévoir des adaptations (comme c’est déjà le cas pour les DOM-TOM). Les collectivités peuvent bénéficier d’un « droit à différenciation » si la loi le prévoit, soit pour exercer d’autres compétences que celles relevant de leur nature (les métropoles vont pouvoir demander à exercer les compétences des départements), soit pour déroger à certaines règles régissant leurs compétences ;

Enfin la loi organique réduit le nombre de parlementaires, députés comme sénateurs (non pas de 30 %, comme en 2018, mais de 25 %) et limite toujours à trois les mandats des parlementaires et des exécutifs locaux, sauf les maires de « petites communes » (moins de 9000 habitants) ou les Présidents de « petits » EPCI (moins de 25 000). La loi ordinaire introduit quant à elle une dose de proportionnelle dans les élections législatives. En 2018, le choix était de réserver 15 % des sièges de députés à ce mode d’élection.

Les mesures nouvelles : la participation citoyenne aux décisions publiques

L’article 11 de la Constitution ajoute les « Questions de société » aux domaines qui peuvent être soumis à référendum par décision du Président de la République, jusqu’alors réservé à l’organisation des pouvoirs publics ou aux questions de politique économique, sociale et environnementale.

Un titre XI de la Constitution est créé pour traiter de « la participation citoyenne ». Y figurent de nouvelles dispositions relatives au « Référendum d’initiative partagée » (RIP) et au CESE (Conseil économique, social et environnemental). Le RIP est réformé : désormais, les parlementaires comme les électeurs pourront en prendre l’initiative (les textes actuels prévoient que ce sont les parlementaires qui engagent le jeu et que les signatures des électeurs viennent en « soutien ») ; pour qu’il puisse intervenir, il suffira de la signature d’I/10e (et non plus de 1/5e) des parlementaires et d’1 million d’électeurs (au lieu de 1/10e du corps électoral). Le RIP ne pourra pas porter sur une disposition promulguée depuis moins de 3 ans (un an aujourd’hui) ni sur une disposition en cours de discussion au Parlement (c’est nouveau). Quant au CESE, il change de nom : il devient « Conseil de la participation citoyenne » : son rôle est d’organiser la consultation du public, soit de sa propre initiative soit à la demande du gouvernement, en réunissant des conventions de citoyens. Il reprend par ailleurs les attributions de la Commission nationale du débat public sur l’organisation des consultations publiques sur les projets d’aménagement d’intérêt national.

Les mesures qui ont disparu

 Les mesures du projet 2018 sur le fonctionnement du Parlement (« une démocratie plus efficace ») qui visaient à limiter le nombre de discussions sur un texte, à réduire les délais de vote ou le nombre des amendements et à rendre possible la ratification en séance du vote d’un texte en Commission, ne sont pas reprises. La « rationalisation » des débats parlementaires  a été « déportée » vers la réforme du règlement de l’Assemblée nationale, modifié en juin 2019 : nouvelle organisation de la discussion générale (avant examen des articles), avec un seul orateur par groupe au temps de parole limité, une seule séance hebdomadaire de questions au gouvernement, plus longue, avec moins de questions, autant de mesures de bon sens, moins perturbantes pour la « démocratie parlementaire » que celles proposées en 2018 et pourtant difficilement acceptées par des députés qui confondent trop la forme et le fond. Retirer de la réforme constitutionnelle le détail des navettes parlementaires et des règles d’expression des parlementaires est en tout cas une bonne décision : la préoccupation d’efficacité n’est pas illégitime mais elle ne doit pas prendre tout l’espace.

 Une réforme institutionnelle de faible intérêt

 Que change l’inscription dans la Constitution d’une mission de préservation de l’environnement et du climat ? A vrai dire, pas grand-chose…

Nicolas Hulot s’est battu en 2018 pour cette inscription et avait même insisté pour qu’y soit mentionnée la « finitude des ressources » du monde, comme si proclamer et convaincre, c’était pareil. Il ne voulait pas par ailleurs l’introduire dans la Charte de l’environnement, intégrée au préambule[1] par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, Charte toute entière consacrée au thème environnemental, ce qui aurait fait du climat une pièce rapportée. Il craignait en outre que ce ne soit l’occasion de revenir sur le principe de précaution, honni des économistes libéraux. Confier à la République la responsabilité d’agir en faveur de l’environnement et du climat a toute sa place dans l’article premier de la Constitution.

Pour autant, il ne faut pas se faire d’illusions : cette déclaration aura peu ou pas de force juridique. La lecture que fait le Conseil constitutionnel des déclarations de principe en réduit fortement la portée : ainsi, le Conseil, qui reconnaît pleine valeur constitutionnelle à la Charte de l’environnement, a-t-il édicté (décision 2014-394 du 7 mai 2014) que son article 6 (« Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ») n’instituait pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit, sans doute parce qu’il le juge trop général et que, comme l’indique d’ailleurs le texte, les pouvoirs publics ne peuvent gouverner sans garder une capacité d’arbitrage. Il n’est donc pas possible de fonder une QPC sur la méconnaissance de cette disposition, qui n’est désormais qu’une recommandation puisque sa violation ne peut être invoquée devant la justice. Il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel considérera également la nouvelle rédaction de l’article premier comme du « droit mou ».

Quand le Conseil reconnaît une valeur normative aux dispositions d’un texte (il l’a fait, pour la Charte, en ce qui concerne le principe de réparation, dit pollueur payeur), il ne s’interroge pas pour savoir si cette règle doit être, par nature, supérieure aux autres. Même sur en qui concerne des droits fondamentaux comme les libertés publiques, le Conseil refuse d’instituer une hiérarchie entre les droits et les devoirs. Il regarde si les textes existants assurent un équilibre jugé satisfaisant entre le respect de ces droits et devoirs et les autres impératifs à prendre en compte, parmi lesquelles le principe d’égalité, le droit de propriété ou le droit d’entreprendre. Penser que l’on peut inscrire dans la Constitution un absolu (respect de la nature ou prise en compte de la finitude des ressources) n’a pas de sens dans ce conteste de relativisme et de prise en compte de l’ordre des choses. Ce n’est donc pas la peine de s’ébaudir trop longtemps sur la modification de l’article 1 de la Constitution. Au demeurant, l’obligation n’est même prise au sérieux politiquement : la Charte de l’environnement, en vigueur depuis 2005, n’a jamais rien empêché, comme le montrent tous les bilans dressés aujourd’hui en ce domaine.

(Voir l’article « Le Conseil constitutionnel, gardien incertain des libertés publiques », avril 2019 http://www.pergama.fr/2019/04/07/conseil-constitutionnel-garant-incertain-libertes-publiques/ )

Peu d’enthousiasme pour les autres mesures…

Sur la participation citoyenne, c’est une fausse bonne idée que d’étendre le référendum aux questions de société. Il est vrai que le public s’appropriera de ce fait des questions importantes, qui sont tranchées aujourd’hui par un exécutif qui a peur de l’opinion publique et, surtout, de ses franges extrémistes. Pour autant, un référendum sur ces sujets court le risque du simplisme et de l’affrontement entre familles de pensée militantes. L’enjeu en ce domaine est inverse : il est de mesurer la complexité et d’éviter les oppositions abruptes.  Quant au RIP, peut-il porter une vraie régulation du débat public ? Il naîtra et se développera lui aussi dans un cadre conflictuel, avec campagne partisane à la clef. Enfin, pour une meilleure association des citoyens à la préparation des décisions publiques, le gouvernement avait le choix : il pouvait étendre les compétences de l’AAI qui est déjà en charge d’organiser certains débats sensibles (la Commission nationale du débat public, qui a piloté les débats sur la programmation pluriannuelle de l’énergie ou sur les déchets nucléaires) ou alors confier cette mission au CESE, une Assemblée vieillotte et consensuelle, qui n’en a ni la technicité ni l’expérience et qui va prendre en charge, en plus, des questions d’aménagement nationales qui ont peu à voir avec ses compétences. Que le gouvernement ait choisi la seconde solution est préoccupant.

Pour ce qui est de l’institution de sièges de députés soumis à scrutin proportionnel ou de la limitation du nombre des mandats, les mesures ont du sens : la première fera évoluer une France où, en 2017, avec 28 % des voix au premier tour, LREM a obtenu 53 % des sièges aux élections législatives, ce qui l’a amenée à devenir un parti hégémonique qui n’a plus besoin de débattre et n’est qu’un outil aux mains de l’exécutif, tandis que les partis d’opposition, sans espoir d’influer sur les décisions, se réfugient dans l’outrance  ; la deuxième mesure veut empêcher, à juste titre, la « professionnalisation » des élus, condition d’une rénovation de la fonction : nombre de parlementaires, voire de Présidents de la République, ont labouré les allées des partis ou du pouvoir mais n’ont, stricto sensu, jamais travaillé. Pour autant, les mesures prises sont trop timorées. A 15 % de proportionnelle, les simulations montrent que les équilibres actuels ne sont guère modifiés, LREM devenant simplement plus dépendante du MODEM pour obtenir la majorité qu’ils garderaient à eux deux. Quant à la limitation des mandats, elle ne s’appliquerait qu’à des mandats identiques et consécutifs ne commençant à courir qu’après l’adoption de la mesure : l’on pourra jouer avec la règle et elle ne s’appliquera qu’au début des années 2030 …

Enfin, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel met fin à un archaïsme choquant qui voudrait que les anciens présidents de la République, dont on n’exige même pas qu’ils se retirent des affaires, se transforment en « sages », sans vindicte, rancune ni coloration politicienne, alors que le Conseil peut être amené à se prononcer, lors de QPC, sur des textes qu’ils ont soutenus. De même, la suppression de la Cour de justice de la République met fin au traitement hors normes des ministres, jugés par leurs amis ou leurs anciens collègues avec une indulgence incompatible avec la morale publique comme avec l’égalité des justiciables, puisque leurs complices sont, quant à eux, plus lourdement condamnés.

Reste la réforme du Conseil supérieur de la magistrature prévue depuis 2013, qui lui donne le pouvoir d’émettre un avis conforme aux nominations des membres du parquet et d’en être l’instance disciplinaire, réforme censée conforter leur indépendance. La mesure n’est sans doute pas un gage suffisant pour garantir celle-ci : les magistrats du parquet restent soumis, de par l’article 5 de leur statut, à l’autorité du ministre, ce qui conduit la Cour Européenne des droits de l’homme à leur refuser le titre de magistrat et à considérer qu’ils n’ont pas compétence pour ordonner des mesures privatives de liberté. De plus, le pouvoir exécutif reste maitre des propositions de nominations et de la saisine de l’instance disciplinaire. Surtout, le soupçon ne porte pas seulement sur les pressions que ferait subir l’exécutif à des magistrats honnêtes mais contraints d’obéir : depuis l’affaire Courroye, l’opinion publique craint plutôt la connivence des élites, voire, compte tenu de leur proximité statutaire, la connivence entre procureurs et juges. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature ne garantira nullement l’impartialité…

Au final, le projet de réforme institutionnelle, sans être dérisoire, manque de force et de souffle. Il ne dessine pas en tout cas, contrairement à son titre, un renouveau démocratique et, sur ce point, c’est vraiment une occasion manquée.

 Pergama, le 9 juin 2019

 

[1] Le premier alinéa du préambule est depuis lors rédigé ainsi : Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004.