Terra nova: changer le droit du travail

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Terra nova: changer le droit du travail

Le think-tank Terra nova a fait paraître, en juin dernier, une note intitulée « Adapter le droit du travail au XXIe siècle », signée de Gilbert Cette et de Jacques Barthélémy, les auteurs de plusieurs ouvrages sur le travail et, en particulier, d’un ouvrage qui a fait du bruit : « Réformer le droit du travail ». Selon les auteurs, les ordonnances travail de 2017, qui ont encouragé la négociation collective de branche et d’entreprise qui permet de concilier efficacité économique et protection des travailleurs, ne sont pas allées au bout de leur logique. Ils proposent donc de les compléter et, de plus, de faire évoluer le droit du travail en un « droit de l’activité professionnelle » pour davantage protéger les non-salariés.

Malgré un titre alléchant, la note apporte assez peu d’idées nouvelles. Elle suggère d’apporter des précisions aux ordonnances travail sur des points plutôt techniques : meilleure clarification des cas où les accords de performance peuvent permettre à l’employeur d’imposer une modification du contrat de travail et définition conventionnelle des frontières des branches, pour donner davantage de sens aux compétences réservées aux conventions de branche par rapport aux accords d’entreprise. La principale proposition consiste, s’agissant de l’instance désormais unique de représentation du personnel dans l’entreprise, à prôner la création de Conseils d’entreprise en lieu et place du comité social et économique. Rappelons que les ordonnances travail de 2017 ont modifié les instances existantes et créé, dans toutes les entreprises d’au moins onze salariés, un comité social et économique (CSE). Ce Comité, présidé par l’employeur, fusionne les instances existant précédemment et assure les missions qui leur étaient confiées : dans les entreprises d’au moins onze et de moins de cinquante salariés, le CSE exerce les missions précédemment dévolues aux délégués du personnel ; dans celles d’au moins cinquante salariés, il exerce les missions des délégués du personnel, du CE et du CHSCT. Les ordonnances de 2017 prévoient également que, par accord d’entreprise majoritaire (signé par des organisations syndicales représentant au moins 50 % des voix obtenues aux élections professionnelles) ou accord de branche étendu, un Conseil d’entreprise peut être créé à la place du CSE qui intègre, en plus des autres compétences, la capacité de négocier. La compétence de négociation reste, sinon, l’apanage des délégués syndicaux. L’objectif de la création du Conseil d’entreprise est de renforcer la place du personnel et de favoriser les co-décisions : l’accord doit préciser la liste des domaines dans lesquels les décisions de l’employeur ne peuvent être prises qu’avec l’avis conforme du Conseil d’entreprise. Pour inciter à créer des « Conseils d’entreprise », la note de Terra nova propose que l’employeur ne préside plus ni le CSE ni le Conseil d’entreprise et que les textes donnent systématiquement aux conseils d’entreprise un droit d’opposition à certaines décisions de l’employeur qui compromettraient l’intérêt général de la collectivité. Il s’agit de s’inspirer plus étroitement du modèle allemand, où la puissance des représentants du personnel tient à l’existence d’un Conseil unique qui est un interlocuteur incontournable de l’employeur puisque son avis conforme est parfois requis. Les propositions de Terra nova ont, sur ce plan, peu de chances d’être adoptées : la mise en place des CSE n’est pas encore achevée (elle doit l’être fin 2019) et les organisations syndicales s’inquiètent plutôt aujourd’hui des conditions de cette mise en place. Il existe pour l’instant peu d’appétence pour une transformation plus radicale. Le modèle « intégré » de représentation du personnel, inspiré du dispositif allemand, est encore très éloigné des habitudes françaises.

Enfin, la note de Terra nova revient sur la nécessité de mieux prendre en compte les droits des non-salariés dépendants, tels que les auto-entrepreneurs dépendant des plates-formes numériques, sans pour autant les contraindre, s’ils ne le souhaitent pas, à devenir salariés. Elle propose de construire un « droit de l’activité professionnelle », avec la création d’une catégorie intermédiaire entre salariat et travail indépendant, réunissant les salariés bénéficiant d’un haut degré d’autonomie et les non-salariés économiquement dépendants. Ces derniers bénéficieraient ainsi d’une meilleure protection et, en particulier, d’une rémunération minimale. Là encore, les évolutions vont plutôt, aujourd’hui dans un sens différent : extension du salariat plutôt qu’extension des droits des non-salariés. Mais il est vrai que la question reste encore largement ouverte.