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Rentrée scolaire, questions en souffrance

L’année 2018-2019 ne s’est pas très bien passée pour le ministre de l’Education nationale. La réforme des lycées professionnels définie en 2018 a soulevé l’inquiétude des enseignants. Le vote de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, qui à l’origine était présentée comme anodine, a été l’occasion de vives protestations sur le nouveau dispositif d’évaluation de l’école et sur une disposition (introduite, avec l’approbation du ministre, par amendement parlementaire puis retirée du projet) permettant de créer des « établissements publics des savoirs fondamentaux », regroupant les écoles primaires et leur collège de référence. Le baccalauréat 2019 a connu ensuite des grèves de la surveillance et des rétentions de copies générées par la mise en place de la réforme du lycée (qui s’applique en première dès cette année) puis du baccalauréat en 2021.

La période a été marquée par une dégradation de la relation entre le ministre et les représentants des enseignants, passés de la méfiance au rejet. En cette rentrée, malgré une conférence de presse ministérielle apaisante qui a ouvert la porte à des améliorations salariales, on en trouve des échos. S’appuyant sur un « baromètre UNSA des métiers » qui montre, en mars 2019, une nette dégradation de l’approbation des choix politiques par les personnels de l’Education nationale (le pourcentage d’approbation est passé de 20,8 % en 2018 à 10,4 % en 2019[1]), le site « Le café pédagogique, qui relaie mes préoccupations des enseignants, évoque une crise de confiance et note, de manière assez surprenante : « Le problème des enseignants, ce n’est pas Macron, c’est Blanquer ».  Réformes contestables ou blocages corporatistes, comment s’explique ce rejet ? La crispation des enseignants mérite, en tout cas, attention : l’Education nationale paraît toujours, comme avant, incapable de traiter ses difficultés et son mal-être.

Les réformes : des critiques parfois très excessives

 Nul n’a mis en cause certains éléments des réformes récentes, telle la plus grande professionnalisation de la formation initiale des enseignants ou l’obligation de formation continue des professeurs du secondaires. L’hostilité des syndicats enseignants à la plupart des mesures de 2018-2019 n’en a pas moins été vive, voire disproportionnée.

 Il en est ainsi de la réforme du lycée professionnel : partant du constat du taux d’insertion très insuffisant des lycéens professionnels, notamment par rapport aux apprentis, et d’une offre de formation mal adaptée aux besoins des entreprises, la réforme regroupe les filières existantes pour rendre l’offre plus lisible, diminue les heures de disciplines générales en prévoyant des « co-interventions » des enseignants et en dédoublant certains cours, favorise le développement de l’apprentissage dans les lycées (il y occupe aujourd’hui une place très limitée) et annonce vouloir modifier le contenu des formations, notamment tertiaires, où le taux d’insertion est particulièrement faible. Elle envisage des « campus d’excellence » regroupant des établissements dans des secteurs innovants.

Les syndicats pointent le risque, en diminuant les heures de formation générale, de creuser davantage l’écart avec les lycéens de la filière générale. Ils craignent surtout la complexification des emplois du temps avec l’accueil de lycéens en alternance. Pour autant, le bilan de 2016 du CNESCO sur la voie professionnelle n’a pas été contesté[2] : la voie professionnelle est en France une voie majeure (1 bachelier sur 3 en est issue) mais c’est une voie de relégation et de ségrégation sociale, où l’orientation est rarement choisie, avec des spécialités trop nombreuses, confuses, pas toujours modernisées, une pénurie d’enseignants formés et, au final, des difficultés d’insertion. Les apprentis s’en sortent mieux, dans tous les cas, que les élèves de la voie scolaire. Sans recouper parfaitement la réforme, les propositions du CNESCO, qui préconisent le renforcement de l’apprentissage, n’en sont pas si éloignées. Quant à la baisse des heures de formation générale, même si l’on en mesure le poids symbolique, les débats sur les rythmes scolaires nous ont appris que la France assimile trop souvent nombre d’heures de formation et réussite scolaire. Préférons la réussite.

Dans le même esprit, dans le projet de loi pour une école de la confiance, la création des établissements des savoirs fondamentaux regroupant collèges et écoles a été assimilée à la volonté de faire des économies. Surtout, de noirs desseins ont été soupçonnés : celui de soumettre les enseignants du premier degré (qui considèrent le directeur d’école comme un collègue et non comme un responsable hiérarchique) à l’autorité du principal de collège. Ouf ! la loi ne dit plus rien là-dessus. Le débat laisse pantois : l’enseignant du premier degré ne veut pas de supérieur hiérarchique de proximité…tout en se plaignant de son isolement. Surtout, nulle trace dans les débats des réflexions du rapport déjà ancien de la Cour des comptes (« L’Education nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves », 2010) ou de celui d’une instance disparue, le HCE (Haut conseil de l’Education) sur le collège (en 2010 également) : considérant que le collège occupe une place mal définie, souffre des déficiences de l’école primaire et que ses performances sont médiocres, y compris en termes de lutte contre les inégalités sociales, les deux institutions proposaient, dans la logique de l’objectif d’acquisition par tous d’un socle commun de connaissances et de compétences allant de la maternelle à la fin de l’enseignement obligatoire, d’atténuer la césure avec les écoles et de faire travailler les enseignants du primaire et du collège de manière harmonisée. Rétablir une continuité pédagogique entre collège et écoles, comme cela se pratique dans d’autres pays (dont la Finlande, longtemps la référence des réformateurs) n’est pas si ridicule…

Enfin, s’agissant de la réforme du lycée et du baccalauréat, Pergama a souligné récemment (cf. blog du 23 juin 2019 http://www.pergama.fr/2019/06/23/reforme-bac-salutaire-ameliorable/ ) qu’une réforme qui accroît l’autonomie des individus, améliore leur orientation et sans doute renforce leur motivation est une bonne réforme. Pour autant, elle est, c’est vrai, perfectible : risques d’inégalités accrues entre établissements en fonction de leur offre de formation, lourdeur d’un examen aux épreuves trop nombreuses et où le contrôle continu, pour désarmer les objections, n’en est pas vraiment un. L’on peut donc comprendre les critiques, pas les accusations inconsidérées qui tendraient à faire prévaloir le statu quo.

Des réformes plus contestables qui soulèvent une opposition justifiée

D’autres réformes soulèvent des critiques plus légitimes. C’est le cas de celle de l’évaluation. Le nouveau Conseil d’évaluation de l’école qui remplace le CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire) ne s’occupe plus que de l’évaluation des acquis des élèves : l’objectif affiché est de « responsabiliser les professeurs » qui ont une tâche assignée, faire progresser les élèves. Cela n’est nullement choquant en soi et il n’est pas illégitime que les acquis des élèves soient mesurés : ce qui l’est, c’est de nier implicitement que l’échec de l’Education nationale puisse être dû, pour une part au moins, au système éducatif lui-même, aux moyens accordés, à une organisation qui, pour reprendre les termes du CNESCO dans son étude de l’Education prioritaire, « accorde moins à ceux qui ont moins ». Surtout, les enseignants reprochent au ministre d’avoir mis en place, en 2018-2019, l’évaluation des élèves en CP et CE1 sans en expliquer clairement les règles : le dispositif est la transposition d’une méthode d’origine américaine où les élèves « à risques » sont identifiés au départ et font ensuite l’objet d’une « remédiation » individualisée. La méthode n’est cependant efficace que si les enseignants sont étroitement associés à la démarche, volontaires, en capacité aussi d’engager une démarche d’appui qu’ils approuvent.  Or, en France, les enseignants se sont vu imposer des tests dont l’utilité leur échappait. Au-delà, certains spécialistes[3] jugent ces tests inappropriés, estiment que leur évaluation (favorable aux CP dédoublés) n’est pas scientifiquement fondée…et que les outils pédagogiques imposés pour la « remédiation » sont des « bobards ». Un tel degré de suspicion à l’égard d’un ministre qui s’affirme pédagogue est inquiétant.

La politique du ministère laisse en outre l’Education prioritaire en déshérence. Le ministre, se déclarant favorable à une approche plus graduelle des difficultés des établissements et à une allocation progressive des moyens, qui permettrait de traiter le cas des établissements situés hors Education prioritaire qui accueille des enfants défavorisés, a gelé en 2018 la carte de l’Education prioritaire et demandé un rapport sur une nouvelle organisation. Les syndicats craignent une dilution de la notion si le label disparaît et le grignotage des avantages des enseignants, d’autant qu’il est question d’attribuer « au mérite » les primes REP +, jusqu’ici considérées comme une simple compensation de la pénibilité. En attendant, il ne se passe rien et le diagnostic 2016 du CNESCO[4] reste dans les mémoires (l’école amplifie les inégalités, essentiellement au niveau du collège) tout comme les résultats des études PISA : en France la réussite des élèves est très corrélée à l’origine sociale des parents et le système éducatif français réussit moins que les autres à réduire les inégalités de départ. La Cour des comptes a publié en octobre 2018 un rapport sur l’éducation prioritaire où elle constate que l’objectif de réduction des écarts de niveaux (limiter à 10 % l’écart de niveau entre les élèves hors Education prioritaire et ceux de l’Education prioritaire) n’est pas atteint : l’écart atteint 20 points en français et 35 en mathématiques. La seule réponse aux difficultés sociales ne réside pas dans le dédoublement des CP ou le repérage précoce des enfants en difficulté : il faut s’intéresser à la réponse territoriale. Si l’on ajoute les provocations inutiles du ministre lors de la préparation du plan sur la sécurité scolaire (il a été un temps question de policiers dans les établissements ou de sanctions financières à l’égard des parents d’enfants violents, vieilles solutions droitières dont on connaît l’inefficacité), la fracture se creuse.

En fait, au-delà de la contestation des réformes, c’est une sorte de lassitude qui s’installe. Le baromètre « Flash actu » de décembre 2018 réalisé par l’UNSA, qui interroge le personnel éducatif sur l’adhésion aux réformes, montre que les enseignants sont las de l’accumulation des réformes, dont ils jugent, à 73 %, le rythme trop soutenu. Ils réclament du temps et de l’accompagnement. Les réformes ne se heurtent pas à un rejet massif mais ne suscitent pas non plus l’adhésion. Un tiers des personnes interrogées ne se prononcent pas, ce qui témoigne d’un manque d’information ou d’un désintérêt. Ainsi sur la réforme du lycée et du baccalauréat, 34 % d’opinions sont favorables et 37 % opposées, un tiers environ des personnes interrogées ne se prononçant pas. Une récente note de la Fédération des parents d’élèves sur le malaise enseignant[5] incrimine, dès 2017, la multiplication des réformes et, surtout, le sentiment des enseignants qu’elles ne se préoccupent pas des difficultés réelles de leur métier. Les solutions institutionnelles proposées par les dirigeants et le quotidien des professeurs ne s’articulent pas. Comment espérer dans ces conditions, au-delà du « sentiment d’impuissance pédagogique », des changements bénéfiques ?

Au final, un constat grave

La lassitude des enseignants et les maladresses d’un ministre qui applique, au nom de la science, des recettes que les enseignants ne comprennent pas s’inscrivent dans un contexte particulier. Dans les crispations actuelles, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a joué son rôle :   elle modifie la composition et les compétences des CAP, commissions administratives paritaires composées pour moitié de représentants élus par les membres du corps et pour moitié par des représentants de l’administration, qui émettent un avis sur les décisions de mutation et avancement). La loi modifie la composition et surtout les compétences de ces commissions qui ne se prononceront plus sur les décisions de carrière. La réforme est courageuse : elle met fin à un mélange des genres contestable entre syndicats et employeur, qui comportait un risque de dérive corporatiste du dialogue social, centré sur des décisions individuelles et non pas collectives. Dans l’Education nationale, où la notion de cogestion avait du poids, elle est toutefois vécue comme l’irruption de l’arbitraire.

La perte d’autonomie est désormais tout autant redoutée sur le plan pédagogique : les enseignants avaient le sentiment d’apporter dans leur métier une expertise personnelle et de ne pas être des exécutants. C’est cette fierté que le ministre, qui les inonde de recommandations et de guides pédagogiques, met à mal. Ils ne sont pas loin d’y voir une atteinte à leurs libertés fondamentales : ainsi, le site « Le Café pédagogique » présente-t-il comme « important » un ouvrage récent, « Vers une nouvelle guerre scolaire »[6], qui accuse le pouvoir actuel de vouloir mettre l’Education nationale sous contrôle grâce au numérique et aux neurosciences. Le responsable du site insiste : pour la première fois, dit-il, une action cohérente idéologique, technocratique et technologique s’en prend aux corps enseignants et à leurs libertés.

Au-delà, les diverses enquêtes de l’OCDE enfoncent leur clou : la dernière, Talis[7], qui traite des pratiques professionnelles et des conditions de travail des enseignants, montre qu’aucun des problèmes récurrents de l’Education nationale n’est traité : le collège reste perturbé par une indiscipline endémique lié à l’absence de mixité sociale et à l’affectation d’enseignants inexpérimentés dans les établissements difficiles ; les enseignants sont mal préparés à répondre à des besoins particuliers (par exemple avec une classe d’élèves d’origine différente) et à gérer leur classe et leur formation est à revoir : moins de 25 % d’entre eux ont, au demeurant, suivi une formation sur ces thèmes, pourcentage particulièrement faible dans les comparaisons internationales De plus, les méthodes des enseignants français restent très classiques : même si, depuis 2013, ils ont progressé sur le travail en groupe, ils cherchent plus à transmettre qu’à développer les compétences des élèves et les encouragent moins.

L’attractivité du métier est aujourd’hui en question. Comme le montrent les résultats de l’enquête européenne Eurydice repris par une note de la DEPP[8], la difficulté est partagée par tous les autres pays européens : du moins certains d’entre eux définissent-ils des stratégies pour lutter, accroissement de l’autonomie des établissements ou politique salariale, deux axes où la France est en net retard. Partout, le métier apparaît déprécié, la réalité difficile des classes s’imposant au-delà des grands discours. La France, au lieu de se battre, reste empêtrée dans des combats idéologiques et engluée dans la méfiance : il est vrai qu’il faudrait savoir à la fois combattre le corporatisme bien enkysté des enseignants, valoriser leurs compétences et leur faire confiance. Le ministre a choisi une voie hypocrite, proclamant la valeur des professeurs, affirmant qu’il est l’un des leurs et reconstruisant en catimini le métier sur le fondement de convictions personnelles qui mériteraient débat. Rien n’avance : l’avenir va être difficile.

Pergama, le 1er septembre 2019 

 

Pergama publie une nouvelle fiche de lecture sur l’ouvrage de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, Travailler au XXIe siècle, l’ubérisation de l’économie? Odile Jacob, 2017

 

 

[1] La mesure de l’approbation des réformes est cependant compliquée : comme mentionné infra, le « Flash actu » de décembre 2018 réalisé également par l’UNSA donne, dans une période moins conflictuelle et avec un questionnaire portant sur des réformes précises, des résultats différents, bien plus nuancés.

[2] De vraies solutions pour l’enseignement professionnel, Conseil national d’évaluation du système scolaire, juin 2016

[3] « Evaluations : faire mentir les chiffres, en pédagogie aussi », Roland Goigoux, Le Café pédagogique, mai 2019

[4] La fabrique des inégalités, Conseil national d’évaluation du système scolaire, septembre 2016

[5] Comment comprendre les malaises des enseignants, note du Conseil scientifique de la Fédération des conseils de parents d’élèves, décembre 2017

[6] Vers une nouvelle guerre scolaire, Quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l’Education nationale, P. Champy, La découverte, 2019

[7] Résultats de Talis 2018, OCDE, juin 2019

[8] La carrière des enseignants en Europe, Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance, Ministère de l’Education nationale et de la jeunesse, juin 2019