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Pesticides : prise de conscience accélérée

Le 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Nice a annulé l’autorisation de mise sur le marché décidée en septembre 2017 par l’ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de deux insecticides à base de sulfoxaflor.  Le tribunal, s’appuyant notamment sur plusieurs études européennes, a estimé que le sulfoxaflor, utilisé contre les pucerons, agit sur le système nerveux central des insectes et est donc susceptible d’affecter les insectes pollinisateurs. De ce fait, en vertu du principe de précaution consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement, leur commercialisation aurait dû être interdite. Il ne mentionne pas (mais on le sait) que la molécule est apparentée aux néonicotinoïdes, interdits depuis 2018 : les industriels, comme souvent, jouent sur la présentation des compositions chimiques pour soutenir qu’il s’agit là d’un nouveau produit qui n’entre pas dans la catégorie des néonicotinoïdes interdits. Le jugement est surtout un camouflet pour l’ANSES qui a refusé de voir l’évidence.

La période est propice aux prises de conscience même si celles-ci sont parfois bien tardives. Ainsi le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone aux Antilles, sur les responsabilités dans la prolongation de son autorisation et sur l’indemnisation des victimes a été publié le 26 novembre dernier. Il souligne la responsabilité de l’Etat : alors que la toxicité du produit était connue, de même que le caractère « persistant » de la molécule dans l’environnement, l’Etat en a autorisé la commercialisation de 1972 à 1993, trois ans après la date de décision de retrait, pour écouler les stocks puis par dérogation. Tous les signaux signalant des risques ont alors été méconnus. De plus, aucune destruction des stocks n’a eu lieu et l’Etat est fortement soupçonné d’avoir fermé les yeux sur leur utilisation au-delà de la date d’interdiction. Aux Etats-Unis, le Chlordécone a été interdit dès 1976 et en Suède en 1978.

Aux Antilles, les conséquences sur l’augmentation des cancers de la prostate sont aujourd’hui considérées comme prouvées ou au contraire, très incertaines, les études n’étant pas totalement cohérentes : d’autres sont en cours. Ces incertitudes pèsent sur l’éventuelle réparation d’un préjudice par l’Etat, qui suppose un lien entre une exposition et une affection. Mesurant les limites des indemnisations professionnelles actuelles à la charge de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles, l’Etat a demandé à l’INSERM et à l’ANSES d’étudier de nouveaux tableaux de maladies professionnelles liées aux pesticides et a créé pour 2020 un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires destiné à des publics spécifiques : salariés ou non-salariés agricoles en activité ou ayant pris leur retraite, conjoints d’exploitants et enfants contaminés pendant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle des parents. Le fonds, qui ne bénéficiera qu’aux personnes répondant aux conditions posées par les nouveaux tableaux, s’en tient à des critères professionnels et ne couvrira donc pas la population générale ni les travailleurs non déclarés des bananeraies, deux limites à une éventuelle indemnisation de la population antillaise. : le rapport sur le chlordécone demande donc un fonds d’indemnisation spécifique ainsi qu’une indemnisation du préjudice économique sur la pollution des terres ou sur la contamination des produits de l’élevage ou de la pêche.

A ce jour, le gouvernement, tout en reconnaissant la responsabilité de l’Etat, ne prévoit rien en ce sens : il prépare un plan Chlordécone IV, avec le suivi sanitaire des personnes exposées, la recherche de solutions de dépollution du sol et la volonté d’éradiquer le chlordécone de l’alimentation. C’est un début…