Prolongation de détention: l’intervention du juge est obligatoire

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Prolongation de détention: l’intervention du juge est obligatoire

Dans le domaine du droit pénal, l’article 16 de l’ordonnance 2020-303 prise en application de la loi instituant l’état d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 prolonge, de plein droit, les délais plafond de détention provisoire (ainsi de 6 mois pour les affaires criminelles) et d’assignation à résidence. La circulaire d’application précise clairement que la décision d’un juge n’est pas nécessaire ni même aucune décision de quelque ordre que ce soit, la prolongation étant automatique. Le but est que la mise à l’arrêt de la justice n’ait pas pour conséquence la remise en liberté immédiate et sans formalités de toutes les personnes arrivées au terme du délai maximum de détention provisoire.

Cette disposition a soulevé de nombreuses et vives protestations, y compris au sein de la majorité, de la part de magistrats et des députés qui réclamaient, dans ce cas, l’intervention d’un juge, au point que le gouvernement, après l’avoir fermement soutenue,  y a renoncé : la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire y met fin. Les détentions dont l’échéance intervient depuis cette date ne peuvent être prolongées que par une décision de la juridiction compétente prise après un débat contradictoire et, pour celles dont l’échéance est intervenue avant, la loi prévoit que la juridiction compétente dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer.

Dans une décision du 26 mai 2020, la Cour de cassation se prononce sur plusieurs cas de prolongation : elle considère que la disposition est contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel, lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu’elle détermine, la prolongation d’une mesure de détention provisoire, « l’intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l’arbitraire ». Elle ne serait conforme au texte de la CDEH qui si la décision de prolonger la détention était suivie par l’intervention d’un juge « dans un délai rapproché » et avec un débat contradictoire.

Par ailleurs, la Cour renvoie au Conseil constitutionnel deux QPC qui porte sur la conformité à la DDHC et à l’article 66 de la Constitution de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020  qui permet une prolongation automatique de la détention mais aussi l’allongement des délais d’instruction et d’audiencement des cas.

Malgré l’intervention, entretemps, de la loi du 11 mai qui abroge la disposition controversée, la décision de la Cour de cassation est un rude camouflet pour la ministre de  la Justice. L’épisode en dit long sur la légèreté avec laquelle le gouvernement et le législateur envisage l’atteinte aux libertés et la détention. Mais la ministre n’est pas la seule à subir un tel désaveu :  saisi d’un référé liberté sur la prolongation automatique de la détention sans décision d’un juge, le Conseil d’État ne l’a pas examinée sur le fond, déclarant qu’eu égard au contexte, elle ne pouvait pas être considérée comme « portant une atteinte manifestement illégale » aux libertés fondamentales et ne remplissait donc pas les conditions qui permettent à un tel référé d’être examiné. La disposition concernaient pourtant des détenus présumés innocents et  a eu des conséquences très rigoureuses pour des personnes arrivant en limite de détention provisoire. Le Conseil, accusé alors par les ONG défenseurs des droits de suivre aveuglement les décisions gouvernementales et d’oublier sa mission de défense des libertés fondamentales, s’en était vivement défendu. Le voici mis en face de ses choix.