Pourquoi la Seine-Saint-Denis reste pauvre

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Pourquoi la Seine-Saint-Denis reste pauvre

L’Institut Montaigne a publié en mai 2020 un rapport élaboré avec l’appui de la banque J-P Morgan : « Seine Saint Denis, les batailles de l’emploi et de l’insertion », qui tente d’expliquer pourquoi, avec des atouts considérés comme importants et des politiques  jugées actives, ce département reste le plus pauvre de France. La présentation de départ agace : l’on « découvre » que le dynamisme économique du territoire, qui est créateur d’emplois, ne bénéficie pas aux habitants faute d’un niveau de qualification suffisante, mais à des navetteurs venus de Paris. L’on souligne un « paradoxe », selon lequel le département bénéficierait massivement des outils de la politique de la ville ou de crédits supplémentaires de l’Education nationale accordés au titre de l’Education prioritaire, mais sans que la situation de la population en soit améliorée pour autant. Le rapport, de fait, commence par s’émerveiller devant « la mobilisation exceptionnelle des pouvoirs publics « . Jusqu’alors, les rapports d’évaluation soulignaient plutôt la discordance entre les besoins et les moyens accordés, tel le rapport parlementaire de mai 2018 sur l’action de la puissance publique en Seine- Saint-Denis, beaucoup plus percutant et étayé que le rapport de l’Institut Montaigne. Il vante aussi l’effort « croissant » des entreprises du privé, y compris celui de l’entreprise J P Morgan (parrainages, offres d’emplois d’insertion). Puis il avance une explication sur les faibles résultats obtenus : les   contrats de ville signés en application de la politique de la ville ne parviennent pas à définir des objectifs communs et chaque partenaire (Etat, collectivités) s’efforce de tirer la couverture à soi sans coopérer.  L’on regrette alors qu’aucun chiffre ne soit cité sur les crédits de la politique de la ville destinés réellement à soutenir le territoire (l’essentiel est mangé par des opérations de réhabilitation urbaine qui ne changent rien à la situation économique et sociale des habitants). L’on regrette aussi que le surcoût des élèves REP pour l’Education nationale (qui est réel) ne soit pas davantage commenté : une grande part est dépensé pour payer des primes aux enseignants qui ne pensent pourtant qu’à partir ou pour faire baisser (un peu) le nombre des élèves par classe, ce qui ne suffit pas pour les faire réussir, compte tenu de la jeunesse, de la faible expérience et du turn-over des enseignants, fréquemment absents de plus.  Le bilan établi sur la sécurité est, de même, pitoyable : le rapport fait état de politiques ciblées et dynamiques, avec l’affectation en nombre de nouveaux policiers, sans mentionner les sous-effectifs constatés en 2018 par le rapport parlementaire précité ni les chiffres de la délinquance, très élevés. Bref, même si probablement le constat d’une faible coopération des acteurs dans la cadre de la politique de la ville est exact, cette politique n’a, en réalité, qu’un impact marginal. Les 40 premières pages du rapport, inspirées d’une vision idéologique dépourvue d’esprit critique, sont sans grand intérêt pour expliquer la pauvreté du territoire. Ce n’est pas l’absence de coopération entre les divers services publics qui explique l’échec de politiques pourtant ambitieuses et bien dotées. Ce sont les politiques menées qui ne sont, tout simplement, pas les bonnes et ce sont les dotations qui sont insuffisantes :  les tensions constatées entre les acteurs tiennent sans doute aussi à ces manques.

 Et puis le rapport aborde malgré tout les questions qui fâchent, même s’ils les placent aussi, de manière peu compréhensible, sous l’étiquette  de la « non coopération » entre acteurs : il évoque de manière précise la gestion des ressources humaines de l’Etat pour ce qui est des enseignants, dont les effets sont dramatiques pour la qualité des formations dispensées à un public déjà défavorisé ; l’incapacité du département à accompagner les bénéficiaires du RSA vers l’emploi parce qu’il n’a pas d’argent pour financer ces actions et choisit prioritairement de payer la prestation, situation que tout le monde déplore, il est vrai,  sans apporter de solutions ; la faiblesse des moyens mises en œuvre pour lutter contre l’illettrisme et améliorer la maîtrise du français, en particulier l’absence de mixité sociale dans les établissements scolaires et la faiblesse de la scolarisation à 3 ans, toutes politiques qui relèvent de l’Etat ; les erreurs dans l’orientation des jeunes en fin de 3; l’absence d’accompagnement des entreprises qui recrutent. On a là, c’est vrai,  les facteurs explicatifs de la pauvreté persistante du territoire: or, il s’agit de choix politiques, pas “d’absence de coopération”, vision qui rabaisse le problème. Malgré tout, même marqué par l’idéologie, un rapport d’étude ne peut tout à fait occulter la réalité.