Transition écologique : quelle feuille de route pour Barbara Pompili?

Après la COVID, rien ne change à l’Education nationale
23 août 2020
Délinquance, insécurité : éviter les approches trop simples
13 septembre 2020

Transition écologique : quelle feuille de route pour Barbara Pompili?

La nouvelle ministre de la transition écologique et solidaire, Barbara Pompili, hérite de nombreux dossiers qui ont une caractéristique commune : des objectifs ont été définis et des engagements pris, mais les réalisations restent timides. Le contexte de l’été 2020 est particulier : en premier lieu, dans le plan de relance, les investissements favorables à l’écologie ont une large place ; au-delà, un projet de loi présenté à l’automne doit mettre en œuvre, pour celles qui relèvent de la loi, les propositions de la Convention citoyenne sur le climat qui ont été retenues.

Il est utile, pour mesurer l’ambition, voire la crédibilité, des mesures qui vont être prises dans ce cadre, de dresser un bilan de la politique menée jusqu’ici au regard des objectifs attendus. Or, ce bilan n’est pas bon. Certes, alors qu’elle ne figurait pas en 2017 dans les toutes premières priorités du mandat, la transition écologique est de plus en plus présente dans le paysage politique : plusieurs lois ont été votées, la loi du 8 novembre 2019 dite loi climat énergie, la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui définit notamment une politique à l’égard des plastiques. La loi climat énergie a pris un engagement sur la neutralité carbone à horizon 2050, cohérent avec un accord européen de 2019, et les décrets  du 21 avril 2020 relatifs  à la stratégie nationale bas carbone et à la programmation pluriannuelle de l’énergie ont fixé la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES), prévu la réduction de la consommation d’énergies fossiles et de la consommation finale d’énergie et programmé le développement des énergies renouvelables. Des instances ont été créées, permanentes (ainsi le Haut conseil pour le climat en 2019, en charge de rédiger un rapport annuel sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de GES, la mise en œuvre et l’efficacité des mesures décidées par l’Etat et les collectivités pour réduire ces émissions et l’impact de ces différentes politiques publiques) ou temporaires (la Convention citoyenne, en charge de définir en 2020 des mesures conciliant objectifs de réduction des émissions et justice sociale).

Les choix français et européens : d’abord définir des objectifs

La France a adopté depuis des années, dans le domaine de la lutte contre le changement climatique et de la protection de l’environnement,  une approche par objectifs quantifiés qu’elle a empruntée au mouvement de « modernisation » de la gestion publique engagé dans les années 80 dans les pays anglo-saxons et dont témoignent, dans d’autres domaines, l’adoption de la LOLF ou de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. La volonté est d’abord de mettre sous tension les décideurs publics : ils s’engagent à une amélioration de l’action publique dont ils devront rendre compte. Elle est aussi de faciliter l’appropriation de politiques publiques parfois complexes. L’Union européenne quant à elle utilise systématiquement cette approche, qui correspond à sa conception de l’action publique mais lui permet surtout de plier les Etats à un objectif commun, sachant que, si elle encadre certaines politiques par des objectifs et par des normes, elle n’a la main sur les politiques nationales de protection de l’environnement ni sur les choix énergétiques.

En France, les objectifs portent d’abord sur la réduction des GES. La loi énergie climat a redéfini les objectifs en ce domaine. Elle prévoit de diminuer les émissions de GES de 40 % entre 1990 et 2030 et d’atteindre en 1950 la neutralité carbone, entendue comme un équilibre entre les émissions dues à l’homme et les absorptions par les puits de carbone (les forêts notamment). La trajectoire de baisse est précisée dans la nouvelle stratégie bas carbone (décret du 21 avril 2020), qui définit, par période de 5 ans, de 2019 à 2033, des plafonds d’émission à ne pas dépasser. Cet objectif s’accompagne de plusieurs autres : diminution de la consommation finale d’énergie (par rapport à 2012, -20 % en 2030 et – 50 % en 2050) ; baisse en 2030 de 40 % de la part des énergies fossiles dans la consommation finale d’énergie par rapport à 2012 ; développement des énergies renouvelables (23 % de la consommation finale en 2020, 33 % en 2030).  Ces objectifs, qui s’inscrivent dans le cadre de règles européennes, sont déclinés dans  la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Par ailleurs, la France a défini quelques objectifs dans le domaine environnemental : les plans Ecophyto ambitionnent la réduction de moitié de la consommation des pesticides en 2025 et l’objectif « Zéro artificialisation nette » est inscrit dans le plan biodiversité du 4 juillet 2018. Le pays doit enfin respecter les normes européennes de qualité de l’air et de l’eau ainsi que les règles concernant la protection des espèces et la création d’aires protégées pour l’environnement.

Les objectifs de la France ont évolué, la plupart du temps à la hausse, parce que l’urgence climatique se fait plus pressante. Ainsi, l’objectif de neutralité carbone a récemment remplacé l’objectif précédent de division par quatre des émissions de GES de 1990 à 2050. L’objectif de 33 % de la part des énergies renouvelables en 2030 remplace désormais un objectif de 23 % fixé en 2020 qui ne sera probablement pas atteint. Surtout, dans le cadre du Green deal, européen, une « grande loi climatique » est annoncée en 2021 qui, pour atteindre  la neutralité carbone en 2050, devrait augmenter les objectifs visés, ce qui peut impacter les objectifs français.

Des objectifs qui tiennent lieu de politique

En théorie, les objectifs sont accompagnés d’une panoplie d’actions censées permettre de les atteindre. Dans la réalité, ils sont parfois déconnectés de toute politique concrète et correctement évaluée et restent « en l’air ».

Il en est ainsi de la disposition de la loi LOM (loi d’orientation des mobilités) qui fixe un objectif de décarbonation complète du secteur des transports terrestres en 2050 et la fin de la vente des voitures particulières utilisant des énergies fossiles en 2040, ce qui repose sur le pari tacite (qui reste discuté) d’une baisse importante du prix des voitures électriques. Il est vrai qu’un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques estime, en 2019, que l’objectif est réalisable, même si la part des véhicules particuliers électrifiés dans le parc de véhicules particuliers dépasse à peine 2 % en 2018, à condition toutefois d’accepter un coût d’investissement et d’accompagnement du projet extrêmement élevé (plusieurs centaines de milliards en 20 ans, voire, le chiffre est mentionné, 500 Mds). Même si, après la crise de la COVID, le plan de 2020 en faveur de l’automobile augmente les bonus versés pour l’achat de véhicules électriques et encourage la recherche, l’effort n’est pas à la hauteur et l’objectif de 2040 n’est pas aujourd’hui étayé.

Il en est de même du gel de l’artificialisation des sols pour lequel aucun levier opérationnel n’a encore été défini (deux rapports en proposent, l’un de France stratégie de juillet 2019 et l’autre du Commissariat général au développement durable de décembre 2019, sans suite à ce jour).

D’autres objectifs s’accompagnent de politiques sectorielles plus précises. La baisse des émissions GES repose ainsi pour une bonne part sur la rénovation des bâtiments : 19 % des émissions (chiffres 2018 du CITEPA, centre technique de référence en matière de pollution atmosphérique et de changement climatique, opérateur de l’Etat en charge de mesurer les émissions et de produire des indicateurs d’efficacité des mesures) sont dus au secteur résidentiel-tertiaire. Or, les actions programmées sont insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés : il faut certes rénover, comme l’envisage le gouvernement,  500 000 logements par an mais il faudrait le faire de manière globale, pour que les bâtiments concernés deviennent « à basse consommation », alors que les aides accordées aujourd’hui ne sont pas soumises à cette exigence[1]. Pour autant que l’on puisse le mesurer (les données fiables manquent sur le nombre et la qualité des rénovations effectuées[2]), les réalisations sont d’ailleurs très éloignées de l’objectif. Quant au plan de relance de septembre 2020, il ne modifiera pas cette situation de manière déterminante : il prévoit certes 2 Mds, pour 2021-2022, pour améliorer le rythme de la rénovation mais, selon une étude d’Actu-environnement de mai 2020, il faudrait consacrer plus de 3 Mds par an jusqu’en 2040 pour traiter le seul problème des « passoires » énergétiques.

Il en est de même dans le secteur des transports évoqué ci-dessus, qui représente en 2018 31 % des émissions de GES, dont 23,5 % dus aux seuls véhicules diesel : ces dernières années, la mobilité a augmenté, le report modal a été inexistant et l’énergie consommée dans ce secteur est restée à 91 % d’origine fossile. Le développement du parc de voitures électriques ne suffira pas à inverser les résultats, ce que reconnaît d’ailleurs la PPE en programmant également un report modal important (comment faire ?) et une baisse durable de la mobilité (qui la garantit ?) : la lecture de ce document donne constamment le sentiment que l’affichage des objectifs remplace les politiques opérationnelles. Il est vrai toutefois que le plan de relance de septembre 2020 prévoit un premier geste (4,7 Mds) en faveur du fret ferroviaire et des petites lignes mais la garantie d’un report modal important reste lointaine.

Quant à l’agriculture, les actions prévues (la PAC pour une part) sont clairement impuissantes à renverser des tendances de fond. Le deuxième rapport du Haut conseil pour le climat de 2020 considère que l’agriculture n’est même pas encore engagée dans une trajectoire qui aboutirait à l’atteinte des objectifs fixés.

Enfin, parfois, les outils prévus pour atteindre les objectifs disparaissent sans être remplacés (ainsi de l’augmentation progressive de la taxe carbone en France), ou sont évoqués sans être créés (la taxe carbone aux frontières, qui figure cependant, il est vrai, dans le programme de l’actuelle commission), alors même qu’une récente analyse de l’OCDE (Long term low emissions development strategies, Working paper, avril 2020) souligne qu’il s’agit là d’un outil décisif.

Pas de résultats sans changement de politique, d’autant plus difficile à définir qu’il tardera   

 Compte tenu de la discordance entre les objectifs et les politiques mises en œuvre, les résultats obtenus sont soit incertains, soit mauvais.

Passons sur les résultats obtenus pour ce qui est des GES, qui ont connu des baisses puis des hausses et baissent à nouveau un peu depuis 2018. Comme ceux de l’Europe dans son ensemble, ils sont très insuffisants pour atteindre la neutralité carbone, comme le démontrent en mars 2020 le CESE, l’Agence européenne de l’environnement (qui évoque la nécessité de quasiment doubler le taux de réduction en partant de 2018) et, en juillet 2020, le rapport du Haut conseil pour le climat.

De manière plus pratique, cet échec se traduit, dans certaines zones à forte circulation routière, par une forte concentration de polluants, qui, faute que le gouvernement ait pu présenter des plans d’action crédibles, a donné lieu à une condamnation de la France par la Cour de justice européenne en octobre 2019 et, plus récemment, le 10 juillet 2020, à une injonction du Conseil d’Etat au gouvernement de prendre des mesures efficaces dans 8 zones très polluées sous peine d’une astreinte de 10 millions par semestre.

 Quant à l’état de l’environnement de manière plus globale, malgré quelques améliorations (amélioration de l’état des rivières), le rapport d’octobre 2019 du Ministère en charge de la transition écologique en dresse un bilan sombre:  le littoral reste confronté à des marées vertes ; la qualité des eaux souterraines ne s’améliore pas ; la situation des écosystèmes est préoccupante : 20 % seulement des habitats d’intérêt communautaire (zones naturelles remarquables) sont en bon état, avec une chute des populations d’oiseaux et d’insectes, l’augmentation de l’artificialisation des sols, le maintien d’une pollution chimique et lumineuse. L’empreinte matières de la France (la quantité de matières premières utilisées) reste élevée (12,7 tonnes/habitant), même si elle est au-dessous de la moyenne européenne.  Les données sont inquiétantes pour les sols et la France dépasse les limites planétaires pour l’érosion de la biodiversité.

Jusqu’ici, pour s’en sortir, les pouvoirs publics ont d’abord fait le dos rond : sur la qualité de l’air, ils ont élaboré de très nombreux plans, dans l’ensemble creux, pour retarder les sanctions ;  ils ont ensuite desserré les contraintes intermédiaires : le premier « budget carbone » 2015-2018 ayant été dépassé, la nouvelle stratégie bas carbone de 2020 a augmenté les objectifs des périodes suivantes, 2019-2023 et 2024-2028, ce qui reporte les efforts, avec le risque de ne jamais atteindre l’objectif final.  S’agissant des pesticides, le raisonnement a été identique : le premier plan Ecophyto de 2008 visait, avec une politique incitative, la réduction de moitié de la consommation en 2015. L’échec de cette ambition a conduit à la reculer en 2025, avec un engagement intermédiaire de – 25 % en 2020 dont on peut douter qu’il sera atteint. Cette politique ne tient pas sur le moyen et long terme.

Ces données expliquent l’insistance en 2020 de la Convention citoyenne et du Haut conseil pour le climat pour passer aux actes: la Convention réclame une réforme de la PAC, l’interdiction de certains pesticides, la fin de certaines dessertes aériennes, l’obligation faite aux propriétaires de rénover leur bien, la limitation de la vitesse maximale sur route et un impôt de financement de la transition écologique : si cet ensemble paraît disparate,  il se veut concret et ferme là où le gouvernement utilise beaucoup la sensibilisation, le conseil flou et quelques aides fiscales. Le Haut Conseil quant à lui réclame un évaluation des lois et politiques sur le climat. Il insiste sur l’absence de cohérence de la politique suivie : la Stratégie nationale bas carbone est isolée et peu opérationnelle alors qu’elle devrait être au centre de toutes les décisions de l’Etat.

Aucune solution simple…

Il est certain que le gouvernement se fourvoie, peu importe qu’il s’illusionne ou mente ou les deux.

Quand il évoque une transition écologique non punitive, il se comporte en démagogue : toute politique publique comporte à la fois des aides, des incitations, un effort de conviction mais aussi des règles, des interdictions, des pénalités. Une société fondée sur le droit encadre les activités collectives et les relations sociales, le droit fiscal encourage ou décourage. Quand il s’agit, comme pour la transition écologique, de réformer l’urbanisme, les transports, l’agriculture, l’industrie, dire que le processus peut se dérouler sans difficultés voire sans douleur, c’est être aveugle ou malhonnête : l’évolution aura un coût, pour les finances publiques (les investissements sont une clef) comme pour nos modes de vie.

Plus fondamentalement, le gouvernement français veut être et rester schizophrène (lui parle d’équilibre) : il affirme vouloir avancer vers un monde décarboné, respectueux de la biodiversité et des espaces naturels, sans déstabiliser pour autant les secteurs économiques créateurs d’emploi (automobile, aviation) ou politiquement sensibles (agriculture) ni imposer trop de contraintes aux entreprises. C’est pourquoi, comme le montre une note de l’ONG environnementale I4CE (Une évaluation climat à 360 ° du budget de l’Etat, oct. 2019), il maintient, à côté de 20 Mds de dépenses en faveur du climat et de 10 Mds de fiscalité en sa faveur, 17 Mds de niches fiscales qui lui sont défavorables. C’est pourquoi aussi il accepte, au nom d’une vision « équilibrée »,  des « dérogations » incompréhensibles, comme celle d’aujourd’hui sur les néonicotinoïdes ou la chasse aux tourterelles des bois.

La population est dans le même état d’esprit : dans un récent article de Terra Nova (« Transition écologique, choisissons le réalisme », mars 2019), J. Pisani Ferry évoquait une opinion publique aspirant à un scénario au fil de l’eau où, au prix de quelques efforts sur les voitures et les pesticides, chacun pourra continuer à vivre comme avant.

Or, comme le note l’économiste P. Geoffron,  la transition écologique est une révolution qui touche tous les secteurs, bouleverse les règles économiques et met en cause la notion de progrès, sur laquelle nous avons pourtant construit notre vision du monde. J. Pisani-Ferry en souligne également les effets antiredistributifs, sauf à ce que les pouvoirs publics les corrigent. L’Etat doit donc se doter d’un dessein d’ensemble sur le long terme, y associer la population, avancer sur tous les fronts et cesser de traiter la transition écologique comme une politique sectorielle.

 

Une politique publique doit être caractérisée par son caractère global, sa cohérence, sa capacité à répondre aux problèmes de l’heure en préparant le lendemain. C’est encore plus nécessaire dans un domaine multiforme comme la transition écologique qui impacte transversalement l’action publique. Or, la politique menée aujourd’hui en ce domaine correspond à une addition de mesures qui ne font pas système : sur la qualité de l’air, les pesticides, l’encouragement aux déplacements propres, la protection de la biodiversité, il existe des avancées mais la question ne semble jamais prise à bras le corps ni de manière transversale. De ce fait, les objectifs ambitieux que nous affichons risquent de n’être jamais atteints. Plus nous agirons tard, plus les choix seront pénibles. La feuille de route de B. Pompili n’est donc pas seulement, contrairement à ce qu’annoncent les journaux, de mener à bien l’isolation des passoires thermiques, de faire produire aux entreprises des bilans carbone pour qu’elles réduisent leurs émissions, de surveiller le développement du fret ferroviaire, d’insérer dans le droit, de manière plus ou moins adoucie, les propositions de la Convention pour le climat qui concernent l’artificialisation des sols ou la mutation de l’agriculture. Il est  de préparer (et d’annoncer clairement) la ligne à suivre pour passer progressivement d’un modèle à un autre, de la manière la plus tolérable possible. Personne encore n’a su le faire : le saura-t-elle ? A vrai dire, on en doute.

Pergama, le 6 septembre 20

[1] Cf. sur ces points les notes de l’IDDRI, Institut du développement durable et des relations internationales, « Evaluation de l’état d’avancement de la stratégie bas carbone », octobre 2018 et « La rénovation énergétique dans le plan de relance français : une opportunité à saisir et des pièges à éviter », 21 juin 2020.

[2] Le rapport 2019 du Haut Conseil pour le climat indique qu’il n’existe « ni qualité de résultat, ni données fiables pour évaluer correctement les progrès réalisés par rapport aux objectifs fixés par la SNBC et l’efficacité des aides à la rénovation ».