Assécher la fraude

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Assécher la fraude

La Cour des comptes a été chargée par la Commission des affaires sociales du Sénat de mener une enquête sur la fraude aux prestations sociales et sur les résultats obtenus dans la lutte menée par les organismes de sécurité sociale. La Cour a remis le travail demandé en septembre 2020. Il s’agit d’un travail très technique, notamment dans les préconisations faites pour améliorer des résultats jugés décevants. Pour autant, le travail révèle la difficulté d’organismes débiteurs de prestations à accéder aux informations qui leur seraient nécessaires pour prévenir ou détecter la fraude : la Cour insiste alors sur la mutualisation des fichiers et le partage d’informations entre diverses institutions, dont le développement a marqué les 20 ou 30 dernières années mais qui restent à parfaire.

Seule la branche famille procède à une estimation de la fraude, en partant de l’étude approfondie d’un échantillon d’allocataires (l’estimation porte sur 2,3 Mds, soit 3,2 % des prestations). Les autres branches du Régime général ne le font pas, ni non plus Pôle emploi, et la Cour voudrait que tous les organismes le fassent. Quant à la fraude détectée aux prestations sociales, elle atteint au total 1 Mds en 2018 et elle présente de fortes différences selon les organismes : si la branche familles détecte surtout des fraudes au RSA, à la prime d’activité et aux aides au logement, la branche vieillesse surtout des fraudes au minimum vieillesse (conditions de résidence en France et de ressources) et Pôle emploi des reprises d’activité non déclarées, dans la branche maladie, ce sont les professionnels de santé (médecins libéraux ou établissements) qui sont à l’origine de 80 % de la fraude détectée (actes non effectués ou surfacturés). Dans la plupart des branches (hors vieillesse), de 70 à 80 % des contrôles  débouchent sur un « indu ».

La Cour estime que la fraude réelle est bien supérieure à la fraude constatée et que de ce fait les contrôles, trop limités ne font sans doute pas diminuer les fraudes. De fait, la CNAF estime ne détecter qu’une part très minoritaire des fraudes mais les autres branches, qui n’estiment pas l’ampleur de la fraude, seraient dans le même cas : 4 % des infirmiers sont contrôlés chaque année tandis que 8 % perçoivent des revenus très élevés (au moins 150 000 € d’honoraires) et 0,7 % des séjours hospitaliers sont contrôlés.

La Cour propose « d’industrialiser » et d’automatiser les échanges de données entre administrations qui sont aujourd’hui ponctuels, voire de multiplier les recours à un tiers de confiance certifiant l’exactitude des déclarations. Elle veut intégrer dans les échanges les fichiers des comptes bancaires et ceux de l’ensemble des administrations d’Etat. Elle préconise l’attribution d’une e-carte à tous les assurés sociaux quel que soit leur âge, l’accélération de la construction du référentiel national commun de la protection sociale et du « dispositif de ressources mutualisé » qui regroupe pour chaque allocataire de la branche famille l’ensemble de ses ressources. Les dispositifs de vérification automatisée devraient également être mis en œuvre pour vérifier la présence sur le territoire des assurés qui demandent la prise en charge de frais de santé ou l’exactitude des facturations des établissements.

Les préconisations suivent donc une pente claire : agir en amont (« assécher » la fraude) dématérialiser au maximum les prescriptions, la facturations, les documents individuels, automatiser les contrôles, mutualiser les données individuelles (résidence, ressources…) entre administrations et même avec le secteur privé (banques).

Deux remarques : à lire les rapports de la Cour, les solutions sont évidentes. Elles le sont sans doute intellectuellement. Techniquement, ce n’est sans doute pas si facile, c’est probablement coûteux et les effets pervers méritent d’être pesés. Par ailleurs, les prestataires de soins ont mille lignes de défense qui rendent les dossiers de fraude qui les concernent difficiles à instruire et à sanctionner. Les propositions de la Cour ont toutefois au moins un avantage : une part des indus tenant à des erreurs des demandeurs de prestations sociales, la vérification en amont permettra de les détecter plus vite.

Deuxième remarque : certes, personne ne peut s’opposer à la lutte contre la fraude, mais la mutualisation des fichiers ou le recours à des tiers de confiance illustrent la force de la société face aux individus. Tout de nous ou presque peut désormais être connu en un seul lieu…