Prendre au sérieux les engagements pris

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Prendre au sérieux les engagements pris

Plusieurs décisions récentes du Conseil constitutionnel et des tribunaux administratifs ou judiciaires ont rappelé que les engagements de l’Etat relatifs à la protection de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique ou ceux des entreprises  concernant le respect des droits humains et sociaux doivent être respectés.

Par décision 2021 -891 du 19 mars 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) posée par une association de défense de l’environnement, Générations futures : l’article du Code rural qui prévoit que les chartes d’utilisation des produits phytosanitaires à proximité des bâtiments « font l’objet d’une concertation » avec les personnes résidant à proximité ou avec leurs représentants ne serait pas conforme à l’article 7 de la Charte de l’environnement, selon lequel « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi (…) de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

Le Conseil constate que les chartes doivent être approuvées par l’administration qui peut, si elle les juge insuffisantes, interdire les épandages. Il s’agit donc de décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Or, le dispositif de concertation est trop imprécis (alors qu’il devrait fixer les « conditions et limites » de cette participation aux décisions) et la concertation ne peut se tenir avec les seuls représentants des habitants proches. Le texte incriminé n’est donc pas conforme à la Constitution.

 Le Conseil d’Etat s’est quant à lui prononcé à plusieurs reprises sur l’insuffisance des mesures de lutte contre la pollution de l’air et la réduction des gaz à effet de serre. Il l’a fait le 12 juillet 2017, lorsqu’il a enjoint au gouvernement d’élaborer et de transmettre à la Commission européenne, avant le 31 mars 2018, des plans permettant de faire baisser, dans certaines zones de pollution excessive,  la concentration en dioxyde d’azote et particules fines en dessous des valeurs limites fixées par une directive européenne de 2008 concernant la qualité de l’air. Constatant ensuite que le gouvernement n’avait pas pris les mesures nécessaires dans toutes les zones, le Conseil d’Etat a, le 20 juillet 2020, ordonné au gouvernement d’agir dans un délai de 6 mois, sous menace d’une astreinte de 10 millions par jour de retard. Le Conseil a reçu du gouvernement, le 25 janvier 2021, un mémoire relatif aux mesures prises. Il annonce que la procédure contentieuse sera rouverte pour juger de la portée de ce mémoire, avec jugement à l’été et possibilité, si le Conseil juge les mesures insuffisantes, de prononcer l’astreinte, en la modulant éventuellement, sur le 1er semestre 2021.

Le 19 décembre 2020, le Conseil s’est prononcé sur un recours formé en 2018 par la Commune de Grande-Synthe à la suite du refus que le gouvernement avait opposé à sa demande de prendre des mesures permettant de respecter les accords de Paris et de réduire effectivement de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, comme le gouvernement s’y est engagé.  Le Conseil d’Etat, qui note que le plafond d’émissions prévu a été dépassé pour la période 2015-2018 et que, par décret du  21 avril 2020, l’Etat a maintenu l’objectif de 2030 tout en réduisant les plafonds des périodes suivantes (notamment celui de  2019-2023), a demandé à l’Etat de lui fournir des justifications sur sa capacité à respecter l’objectif. Si celles-ci ne sont pas suffisantes, il annulera le refus de l’Etat de prendre des mesures supplémentaires, ce qui signifiera aux yeux de tous que l’Etat, s’il entend respecter ses engagements, doit intensifier son action. Le gouvernement ayant répondu à cette demande, le document fourni est en cours d’examen et le contentieux s’ouvre à nouveau, avec un jugement prévu à l’été. La décision est importante : elle reconnaît l’intérêt à agir d’une commune littorale exposée aux conséquences des évolutions climatiques ; elle donne pleine valeur au texte qui applique, en droit national, les principes définis par un accord international et qui s’engage sur un objectif et des paliers de baisse progressive.

Parallèlement, le Tribunal administratif de Paris s’est prononcé,  le 3 février 2021, sur la requête formée en 2019 par plusieurs associations de défense de l’environnement tendant à faire condamner l’Etat pour carence dans la lutte contre le changement climatique. Le Tribunal a considéré que l’Etat était partiellement responsable parce qu’il n’avait pas atteint les objectifs de réduction des gaz à effet de serre qu’il s’était lui-même fixés pour la période 2015-2018 : on le voit, la décision n’est pas pleinement cohérente avec la précédente qui portait, il est vrai, sur l’atteinte de l’objectif fixé pour 2030 et non sur les manquements récents aux objectifs de la période 2015-2018.

Enfin, c’est un tribunal judiciaire, celui de Nanterre, qui s’est prononcé dans l’affaire relative au plan de « vigilance » dont l’entreprise Total doit se doter en application de la loi du 27 mars 2017 : la loi, inspirée par l’affaire dite du Rana Plaza survenue en 2013 au Bangladesh (effondrement d’un immeuble où travaillaient les personnels des sous-traitants de grandes marques textiles) oblige en effet les sociétés françaises d’une certaine taille à publier un plan de vigilance destiné « à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, pouvant résulter de ses activités et de celles des sociétés qu’elle contrôle et de ses sous-traitants ou fournisseurs habituels ». Dans le cadre d’un recours de plusieurs communes jugeant insuffisant le plan de vigilance établi par la société Total, la question de la compétence du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce s’est posée. Après une première décision inverse, le tribunal judiciaire s’est, en février 2021, déclaré compétent, au motif qu’un tel plan touche à la responsabilité sociale de l’entreprise et dépasse les questions de gestion propre de l’entreprise. Le tribunal, pour justifier de sa compétence, combine la loi de 2017 avec la loi Pacte du 22 mai 2019 qui impose aux sociétés de « prendre en considération les enjeux et sociaux et environnementaux de (leur) activité». Une telle décision signifie que Total n’a pas seulement des comptes à rendre à ses actionnaires mais à la société. La décision n’est pas définitive…et aucun jugement n’est encore intervenu sur le fond et sur la qualité effective du plan de vigilance de Total. Pour autant, elle marque une étape dans la reconnaissance de l’étendue des obligations des sociétés.

 

Au final, des textes qui paraissent, lors de leur rédaction, soit très généraux, soit fixant des objectifs chiffrés plus indicatifs qu’impératifs, sont aujourd’hui considérés comme engageants. L’on a beaucoup contesté l’efficacité du recours en justice face à l’inaction de l’Etat ou des entreprises : quand bien même la justice donnerait raison aux plaignants, il s’agirait d’une victoire à la Pyrrhus, la vraie victoire étant que le pouvoir politique ou économique prenne de lui-même les bonnes décisions sans y être contraint. La vérité est plus complexe : le droit, sans être bien sûr l’unique moyen de redresser les politiques qui ne tirent pas loyalement les conséquences des engagements pris,  permet parfois de progresser.