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Fonction publique : la recherche tâtonnante d’un nouveau modèle

Actualité chargée pour la Fonction publique en cette année 2021 : parution de plusieurs ordonnances, dont celle du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la Fonction publique de l’Etat ; commande du rapport Bassères, remis en novembre 2021, qui doit préciser les conditions de mise en œuvre des missions confiées au nouvel Institut national du service public qui remplace l’ENA dès 2022 et à la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’Etat, qui doit être créée parallèlement ; conférence salariale enfin, ouverte en juillet pour 6 mois, avec quatre thèmes de réflexion, égalité entre hommes et femme, équité de rémunération entre les métiers, attractivité et carrières de la fonction publique, contractuels.

Au-delà de l’année 2021, quel bilan tirer du quinquennat ?

Au départ, la crainte du pire

Inspecteur des finances n’ayant quasiment jamais travaillé dans le secteur public, le candidat Macron alliait une vision dépréciative des fonctionnaires et une incompétence certaine dans le domaine des ressources humaines. Son programme prévoyait de privilégier le recrutement des contractuels sur celui des fonctionnaires : le renouveau du service public impliquait, selon lui, le recours aux méthodes du privé que seuls des acteurs qui en sont issus seraient capables de mettre en œuvre. Aucune réflexion, ni sur le devenir d’un statut qui réserve aux fonctionnaires, en principe, les emplois publics, ni sur les risques de la cohabitation, voire de la concurrence, entre contractuels et fonctionnaires n’a perturbé cette intention. Il aurait été sans doute plus cohérent de renoncer au statut et d’opter pour la banalisation des emplois publics, ce qui aurait permis au moins d’ouvrir un débat sur leur éventuelle spécificité.

De même, sa priorité étant à l’époque de baisser de 3 points les dépenses publiques, les coupes dans l’emploi public étaient, pour le candidat Macron, une solution toute trouvée. Là non plus, la proposition de diminuer massivement les emplois publics (-120 000) n’était étayée d’aucune réflexion sur les missions du service public. Les comparaisons établies par l’OCDE montrent que, si « le taux d’administration » (rapport nombre d’agents publics/population) est plutôt élevé en France, c’est sans excès[1]. De plus, Emmanuel Macron n’a jamais évoqué la nécessité de négocier un tel projet avec les intéressés, comme si les fonctionnaires n’étaient qu’une masse malléable soumise aux caprices du politique.

Enfin, le programme prédéfinissait la politique de rémunération des fonctionnaires, là aussi unilatéralement. Il n’y aurait plus de revalorisation générale de la valeur du point mais aucune politique de rémunération n’était pour autant définie : seul était prévu un développement de la rémunération au mérite, qui reste une antienne de la modernisation, malgré toutes les études qui en prouvent le faible impact sur la motivation, ainsi que des revalorisations ciblées sur les métiers qui comptent (lesquels ?).

Ce programme n’a été que partiellement appliqué : la loi du 6 août 2019 assouplit les conditions du recrutement des contractuels dans toutes les catégories d’emploi, y compris pour les emplois de direction.  Cependant, dès 2019, le réalisme a conduit à renoncer à la baisse des effectifs publics, d’autant que les collectivités territoriales, concernées au premier chef, n’avaient jamais adhéré à cette intention. Aucune revalorisation générale du point d’indice n’a été décidée en 5 ans mais l’application échelonnée du PPCR (« Parcours professionnels, carrières et rémunérations », réforme des carrières décidée en 2016) a permis d’atténuer cet impact : le pouvoir d’achat des fonctionnaires a été sauvegardé grâce aux améliorations de carrière prévues par ce dispositif. Ainsi, selon l’Insee, depuis 10 ans, le salaire net moyen en équivalent temps plein et euros constants des agents publics évolue entre + 0,7 et + 1,25 % par an et, en 2019, la rémunération nette moyenne du personnel en place (présent l’année précédente) a évolué de 1,5 % en euros constants.  Le dispositif va toutefois s’essouffler… même si des mesures catégorielles ont été décidées en 2021, en particulier pour les enseignants et pour les catégories C. Quant aux primes, le système n’a pas été modifié lors du quinquennat Macron, contrairement aux annonces.

S’est ajoutée aux propositions initiales la suppression de l’ENA, annoncée à l’issue du Grand débat national mené à la suite de la crise des Gilets jaunes. Ce débat a vu émerger une demande de plus grande proximité de l’administration et a exprimé une défiance certaine envers la haute fonction publique, comme, d’ailleurs, envers les élus nationaux. Répondre à cette demande par la suppression de l’ENA, surtout pour la remplacer par une autre école de formation de la haute fonction publique, est en soi une solution ridicule, d’autant qu’il s’agit là d’une des très rares mesures (avec la Conférence citoyenne pour le climat, dont on sait ce qu’il est advenu) censées répondre à l’exigence de « changement de notre démocratie, de notre organisation, de notre administration », selon les termes alors utilisés par le Président.

…et pourtant des réformes pertinentes et utiles

 Au-delà des dispositions sur les contractuels, la loi du 6 août 2019 a réformé les instances de dialogue social de la fonction publique.  Sur le modèle de la réforme inscrite dans les ordonnances travail de 2017 applicables au secteur privé, elle crée un « comité social d’administration » fusionnant les instances existantes.

Surtout, elle modifie la composition et les compétences des CAP (Commissions administratives paritaires), constituées jusqu’alors par corps et chargées d’émettre un avis sur les procédures de gestion individuelle des agents (mobilité, promotions et avancements). Les CAP désormais représentent des catégories (A, B ou C) et leur rôle est drastiquement réduit. En contrepartie, l’administration s’engage à être plus transparente et à se doter de « lignes directrices de gestion », principes, objectifs et règles de GRH sur lesquels elle va s’appuyer pour prendre des décisions individuelles[2].

Enfin, l’ordonnance du 17 février 2021 réforme la négociation collective : elle en élargit le champ, donne aux organisations syndicales un droit d’initiative (mais l’administration peut ne pas donner suite), permet aux accords, à certaines conditions, de modifier la réglementation et leur donne une valeur juridique dont ils étaient, jusqu’alors dépourvus.

Ces réformes sont importantes et justifiées : la négociation collective doit se traduire par de véritables accords collectifs, comme dans le secteur privé, ce qui n’était pas jusqu’alors le cas. Quant aux CAP,  héritières d’une vision de la fonction publique datant de l’après-guerre où la gestion individuelle se décidait par consensus entre l’administration et les représentants du personnel, elles ont encouragé le clientélisme des agents à l’égard des organisations syndicales ; elles ont décentré le dialogue social sur les questions individuelles qui devraient, sauf défense des personnes dont les droits ne seraient pas reconnus, leur rester étrangères ; elles ont imposé parfois des barèmes de mutations ou d’avancements sur critères d’ancienneté, en contradiction avec les principes fondamentaux de toute GRH, et entretenu le corporatisme : le fonctionnement « par catégorie hiérarchique » et non « par corps » va limiter celui-ci. Enfin, les CAP ont conforté la centralisation des décisions de GRH dans les services centraux des ministères puisque, selon un avis du Conseil d’État du 7 juin 1990, il n’est pas possible de comparer les mérites (et donc de déconcentrer les décisions d’avancement) dès lors que les effectifs locaux d’un corps sont trop peu nombreux. En contrepartie de l’effacement des CAP, l’administration doit désormais, outre une amélioration de la transparence des décisions, intensifier la déconcentration des décisions individuelles encore beaucoup trop timide[3].  La direction prise est la bonne, reste à juger de l’application.

Quant à la réforme de la haute fonction publique engagée à la suite de la suppression de l’ENA, sa portée est essentielle. Elle s’inscrit dans une évolution lente, qui a commencé à la suite du rapport du Conseil d’Etat de 2003, qui soulignait que le nombre et parfois l’étroitesse des corps de la fonction publique était un obstacle à la mobilité. Le Conseil proposait d’organiser la fonction publique en cadres d’emploi plus larges, ouvrant la voie à une fonction publique de métiers, où les agents pourraient postuler à un emploi correspondant à leurs compétences quel que soit le ministère. La haute fonction publique d’Etat, où dominait jusqu’alors le corps interministériel des administrateurs civils formés à l’ENA, s’est engagée de longue date dans cette voie, même si l’interministérialité effective restait rare. De plus, certains corps spécifiques perduraient (en particulier ceux des Inspections générales ou le corps des préfets), souvent considérés comme plus prestigieux, avec des métiers et des carrières très spécifiques.

La réforme de l’encadrement supérieur initiée par l’ordonnance du 2 juin 2021 poursuit plusieurs objectifs : regrouper les hauts fonctionnaires dans le corps interministériel des administrateurs de l’Etat, à la seule exception de ceux qui relèvent de juridictions, Conseil d’Etat, Cour des comptes, Tribunaux administratifs, Chambres régionales des comptes, dont les missions sont spécifiques et exigent une garantie d’indépendance ; privilégier l’affectation « de terrain » en début de carrière, sur des emplois opérationnels d’administration centrale mais aussi déconcentrée ; les emplois relevant de la justice administrative et financière de proximité (Tribunaux administratifs, Cours administratives d’appel et Chambres régionales des comptes) pourront être choisis dès la sortie de l’école (sous réserve toutefois d’effectuer au préalable 2 ans « sur le terrain ») ; les autres, ceux des inspections générales, du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes ou de préfets ne seront accessibles qu’en cours de carrière, sur présentation et sélection de candidature. L’objectif est d’affaiblir le déterminisme du classement de sortie, d’ouvrir davantage de perspectives professionnelles en cours de carrière et de favoriser la mobilité et le brassage des expériences.

Pour ce qui est des questions  sur l’indépendance des membres des Inspections générales (s’agit-il d’un principe constitutionnellement garanti ?) et sur les modalités de recrutement des postulants au Conseil d’Etat et à la Cour des comptes (qui doit assurer la présidence de la commission d’admission et comment trancher une égalité des voix en son sein ?), sujets qui ont fait l’objet de QPC transmises au Conseil constitutionnel, elles sont légitimes : la mise en place de la réforme nécessitera sans doute des ajustements. Elle ouvre en tout cas la voie à suivre et devrait être étendue aux autres corps.

Inquiétudes et chantiers à ouvrir

 Reste que les réformes entreprises dans le présent quinquennat ne dessinent pas une vision d’ensemble de l’avenir de la fonction publique.

Or, l’attractivité de celle-ci diminue, comme le montre une étude du rapport 2020 sur « L’Etat de la fonction publique » : l’intérêt des jeunes diplômés pour la fonction publique (un diplômé sur 10) n’est pas à la hauteur des postes à pourvoir. Depuis 20 ans, le nombre des candidats aux concours externes est en baisse tendancielle, avec une forte diminution depuis 2014. Il est difficile d’identifier les facteurs qui jouent dans cette désaffection : si l’étude montre que les fonctionnaires ont, plus souvent que les salariés du secteur privé, le sentiment d’être mal payés, elle souligne aussi qu’ils éprouvent une satisfaction professionnelle plus forte due au sentiment d’être utiles. D’autres facteurs jouent : les différentes fonctions publiques sont inégalement touchées (la fonction publique hospitalière souffre tout particulièrement et la chute des candidats à la fonction publique territoriale est préoccupante), de même que les différents métiers. L’attractivité peut être affectée par un marché du travail dynamique, la dégradation de l’image des services publics, la crainte d’être affecté dans un territoire en difficulté ou de ne pas avoir une autonomie suffisante dans le travail.

Le premier moyen de lutter est de définir une politique de rémunération sur le long terme.

A l’égard des fonctionnaires, qui bénéficient d’une rémunération indiciaire en fonction de leur corps et de leur grade ainsi que de diverses primes, la politique de rémunération a varié. L’indice de rémunération a longtemps été revalorisé de manière irrégulière mais fréquente. Depuis 15 ans, il n’en est plus de même et, pour des raisons d’équilibre des finances publiques, l’indice a été gelé de 2010 à 2016, puis à nouveau depuis 2018, laissant aux avancements et à la GIPA (garantie individuelle du pouvoir d’achat) le soin de maintenir le revenu des fonctionnaires. Au-delà, l’Etat a fréquemment restructuré les corps et amélioré les carrières, comme il l’a fait récemment avec le PPCR, ou bien accordé des avantages en nature, comme il vient de le faire en participant au financement d’une protection complémentaire en maladie.  Au final, les choix faits n’ont pas été si défavorables aux fonctionnaires. Mais ils sont unilatéraux, incertains, parfois contestables et n’offrent aucune visibilité pour l’avenir.

Le traitement de cette question a aujourd’hui atteint ses limites. La revalorisation générale de la valeur du point est trop coûteuse et faussement égalitaire :  peut-être faut-il accepter une valeur du point différente selon les secteurs ; il faudrait favoriser les professions dont le recrutement risque à l’avenir d’être difficile (les enseignants, plus généralement les cadres) parce qu’ils sont insuffisamment rémunérés en comparaison, soit de pays comparables, soit du secteur privé. Sur ce sujet capital, les responsables actuels semblent ne rien avoir à proposer qu’un rattrapage limité (pour les enseignants), une amélioration salariale des catégories C (pour ceux qui frôlent le SMIC) et une harmonisation des primes (cent fois promise dans le passé) pour les cadres de la haute fonction publique. Resterait à définir une vraie politique de rémunération, assise sur des principes équitables et négociée avec les organisations syndicales. Il est inquiétant qu’une « conférence salariale » soit réunie 6 mois avant les présidentielles pour réfléchir sur l’attractivité et les carrières, sans que l’Etat paraisse avoir des idées sur ces sujets essentiels.

Le second point d’alerte porte sur la conception très gestionnaire de la réforme de l’Etat qui prévaut depuis le début du quinquennat. Les thèmes promus sont légitimes : qualité du service rendu ; renforcement de l’accessibilité ; simplification des démarches ; transformation numérique enfin. L’action publique toutefois ne s’épuise pas dans de tels sujets : son efficacité est en cause dans l’Education, la justice, la sécurité, l’accompagnement des demandeurs d’emploi ou l’action économique. Les grands-messes qui ont eu lieu, Grenelle de l’Education ou Beauvau de la sécurité, n’ont été réunies que pour mettre en valeur quelques avantages catégoriels et faire de la calinothérapie. L’on verra si les États généraux de la justice réussissent à mieux traiter des missions, des attentes de la population, des métiers et de l’amélioration des résultats, qui sont inquiétants.

Depuis 20 ans, l’Etat promet sans cesse de mettre en place, pour les fonctionnaires, une GRH « digne de ce nom », qui ne s’occupe pas seulement d’établir des tableaux de mutation et d’avancement et s’intéresse enfin aux métiers exercés et aux carrières. La récente réforme de la haute fonction publique a été l’occasion de réitérer cette promesse. Mais c’est l’ensemble des fonctionnaires qui attend un tel soutien, une formation adaptée, une évaluation constructive, une description complète des postes à pourvoir, une orientation…La GRH devrait également organiser une participation à la conduite du service et à la réflexion commune sur les missions.

Enfin, la question de la place des contractuels devrait être traitée : l’Insee note qu’en 2019, le nombre de fonctionnaires diminue (- 9800) tandis que le nombre de contractuels hors emplois aidés augmente (+ 56 000).  La Cour des comptes (Les agents contractuels dans la fonction publique, rapport thématique, septembre 2020) rappelle que cette évolution date de 2010. Son étude, réalisée avant que la loi de 2019 ne soit appliquée, note que l’importance des contractuels s’explique largement par une offre de postes spécifiques (postes temporaires en enseignement et recherche dans la fonction publique d’Etat, postes techniques ou de soignants dans la fonction publique territoriale) ou par des rigidités propres au secteur public. Pour mieux gérer les évolutions à venir, la Cour propose de développer les concours sur titres pour intégrer dans la fonction publique les contractuels qui le souhaiteraient et de négocier des conventions collectives pour les autres. Pour l’avenir, Il faudra mesurer l’impact des dispositions de la loi du 2019 sur l’occupation des postes de direction, afin de savoir si un équilibre a pu être trouvé qui ne soit pas au détriment de la carrière des cadres fonctionnaires, ce qui pourrait constituer une cause de désaffection supplémentaire pour la fonction publique.

 

Au final, sur la fonction publique, le quinquennat a été ambivalent. L’héritage sarkozyste du candidat Macron le portait à des ambitions simplistes.  Le paradoxe est que, partant d’une vision dépréciative des fonctionnaires, le quinquennat a contribué à des avancées, au moins quant aux textes. Il faudrait pourtant aller beaucoup plus loin et s’efforcer d’améliorer les services publics. Mais un Président qui a peu de considération pour les fonctionnaires peut-il y parvenir ?

Pergama, 20 octobre 2021

 

[1] Cf. sur ce point Comment la France se compare-t-elle en matière d’emplois publics ? France-Stratégie, Dec. 2017

[2] Cf. décret 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l’évolution des attributions des Commissions administratives paritaires

[3] Voir notamment la « circulaire du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail », qui mentionne des travaux en cours pour déconcentrer les décisions de gestion des ressources humaines.