EHPAD et prise en charge médicale : un constat triste mais peu surprenant

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EHPAD et prise en charge médicale : un constat triste mais peu surprenant

La Cour des comptes a contrôlé, en 2020 et 2021, 57 EHPAD répartis sur le territoire (23 publics, 19 privés à but lucratif et 15 gérés par des associations), sur la seule question de la prise en charge médicale des résidents. Pour autant, le rapport déborde assez souvent de son sujet, tant l’aspect médical est décisif pour la qualité de vie de personnes souvent lourdement dépendantes.

Premier constat statistique et financier : 600 000 personnes sont accueillies dans les EHPAD, soit 15 % de la population de plus de 80 ans et un tiers de celle de plus de 90 ans. Le « virage domiciliaire » annoncé depuis des années par les pouvoirs publics n’a jamais été pris mais la proportion de personnes âgées hébergées de plus de 80 ans est plutôt dans la moyenne basse des pays européens qui servent de comparaison.

La Cour mentionne, de 2011 à 2019, une forte augmentation (+ 30 %) des dépenses de soins et de prise en charge de la dépendance, qui sont les deux types de dépenses prises en charge par l’argent public. Rappelons que la tarification des EHPAD prévoit trois « forfaits », pour les soins, la dépendance et l’hébergement, les deux premiers étant à la charge de l’assurance maladie et des départements, le troisième étant à la charge des personnes, de leur famille ou, en cas d’insuffisance des ressources, de l’aide sociale départementale.

Cette augmentation des ressources des EHPAD est liée, pour le « forfait soins », à une convergence des établissements vers un tarif plafond prenant en compte un indicateur de besoins défini d’après l’état des personnes. Pour la dépendance, le forfait est également calculé grâce à une mesure de l’état des personnes, traduite ensuite en euros grâce à une valeur départementale du point, avec, là aussi, une convergence progressive pour que chaque établissement bénéficie à terme de la valeur moyenne du point départemental. Ces « convergences » ont pour objet de mettre fin à des situations historiques où certains établissements, à population accueillie identique, touchaient davantage et d’autres moins. Cependant, le mode de calcul du forfait dépendance n’est pas équitable, puisque la valeur du point diffère selon les départements, ce qui conduit à des disparités entre établissements accueillant une population de dépendance similaire mais situés dans deux départements différents.

Même après la hausse constatée dans les années récentes, les ressources des établissements restent insuffisantes compte tenu de l’état des patients : le pourcentage des plus de 90 ans est passé en quelques années de 29 à 35 % ; 57 % des personnes hébergées sont atteints d’une maladie neurodégénérative, dont 42 % de la maladie d’Alzheimer ; enfin, le niveau moyen de dépendance s’est nettement accru. Cette situation pèse sur la qualité de l’accueil (cf. ci-dessous) mais, de plus, les établissements ont trop peu de marges pour créer ou améliorer les unités d’accueil des personnes ayant des troubles cognitifs.

La Cour considère que la tarification est inutilement compliquée : la frontière entre soins et dépendance s’estompe (les dépenses financées dans l’un et l’autre cas sont proches) et a de moins en moins de sens. La Cour propose la fusion de ces deux forfaits (elle était envisagée dans la LFSS 2022 mais n’a pas été retenue au final), avec une prise en charge globale par l’assurance maladie des soins et de la dépendance, les ARS devenant les seuls interlocuteurs des établissements pour le financement. Cette unification mettrait fin aux iniquités liées à la variation de la valeur du point selon les départements.

Surtout, la Cour souhaite que la mesure des besoins des résidents (les « coupes » sur leur situation de santé et la dépendance) soit actualisée plus régulièrement : pour 27 % des EHPAD, les « coupes », qui déterminent mécaniquement le niveau de leurs ressources, datent de plus de 3 ans. Elle demande également l’évolution des grilles de mesure pour améliorer la prise en charge des malades ayant des troubles cognitifs. Le travail a été fait en 2015 pour faire évoluer la grille concernant les besoins de soins médico techniques : il n’a jamais été mis en œuvre, sans doute parce que la nouvelle grille serait plus coûteuse.

Deuxième constat : les EHPAD se caractérisent par un manque persistant de personnel qualifié.  

En 2015, le taux global d’encadrement des EHPAD est passé à 63 personnes pour 100 résidents, dont 39 pour le personnel soignant, en nette amélioration depuis quelques années. Cependant, des calculs effectués sur le fondement de la dépendance moyenne constatée dans les EHPAD conduisent à un ratio qui devrait atteindre 57 personnels soignants/100 résidents. La Cour propose la construction d’un ratio normatif, comme dans les crèches, indiquant le nombre maximum de personnes prises en charge par un soignant, en journée et la nuit.

Dans la moitié des EHPAD, il n’y a pas de médecin coordinateur ou les heures de présence de celui-ci sont insuffisantes. La fonction des infirmiers coordinateurs est mal définie et la présence d’autres intervenants (ergothérapeutes, psychomotriciens) trop rare. De même, la qualification et la formation du personnel devraient être améliorées : les aides-soignants ont rarement une qualification en gérontologie, les aides médico-psychologiques font souvent le même travail que les aides-soignants et les actions de formation peuvent être suspendues faute de personnel. Le manque d’attractivité des emplois conduit à engager des intérimaires et des CDD (30 % des aides-soignants parfois, plus parfois pour les infirmiers), mieux payés, ce qui altère la qualité et la continuité des soins, sachant que la moitié des aides-soignants intérimaires n’a aucune qualification. Certains établissements mettent en place des politiques pour améliorer l’attractivité, formation, passerelles pour obtenir une qualification, avantages salariaux, avec un succès inégal.

Troisième constat : une qualité souvent défaillante

Les carences de personnel en elles-mêmes altèrent la qualité parce qu’elles renforcent la pénibilité. L’absentéisme est élevé (10 à 20 %), de même que la rotation de personnel.

Les conséquences sont claires : le temps passé auprès des résidents est insuffisant. Ainsi, le temps nécessaire à une toilette est estimé à 30 minutes. Dans la réalité, il varie entre 15 et 23 minutes. Le coucher des personnes a lieu trop tôt. Les textes ne sont pas toujours respectés : les évaluations de la qualité prévues par la loi du 2 janvier 2002 ne sont pas toujours effectuées, les projets d’établissement sont anciens ou insatisfaisants, les projets d’accueil individualisé rares, les Conseils de vie sociale (lieu de dialogue avec les résidents et les familles) insuffisamment réunis. La prévention de la perte d’autonomie est insuffisante. Les animations sont peu variées et de faible qualité. Tous les EHPAD ne sont pas dans la même situation : des exceptions sont notées, avec un souci de mobilisation et une dynamique différente. Ce n’est pas la dominante.

Les autorités de tutelle sont en cause : peu de Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), pourtant obligatoires depuis la loi de 2015, ont été signés. Quand ils existent, leur rédaction est souvent standardisée, sans engagement financier ; peu de contrôles sont effectués (statistiquement, le nombre constaté montre qu’un EHPAD serait contrôlé tous les 20 à 30 ans). La Cour demande que le contrôle s’étende aux budgets hébergement (des écarts de prix considérables sont constatés) pour vérifier que certaines dépenses ne sont pas indûment reportées sur les sections budgétaires prises en charge par de l’argent public.  Elle demande aussi que des dotations spécifiques soient prévues pour améliorer la qualité et les actions de prévention.

Enfin, le rapport ouvre des pistes pour un nouveau modèle d’établissement : elles ne sont guère originales et figurent désormais dans tous les articles ou documents traitant de la politique de la vieillesse. L’accompagnement des personnes âgées doit en effet se diversifier, en estompant la dichotomie entre établissement et maintien à domicile. Les EHPAD pourraient alors être un centre de services aux personnes âgées du territoire, avec des services à domicile et l’ouverture de lieux intermédiaires entre domicile et établissement d’accueil  fournissant des services plus nombreux. Mais avant de pouvoir se redéployer de la sorte, les établissements devraient prendre en charge correctement leurs résidents.