Laisser les enfants français de djihadistes souffrir et mourir dans les camps.

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Laisser les enfants français de djihadistes souffrir et mourir dans les camps.

La France vient d’être condamnée par le Comité des droits de l’enfants de l’ONU pour violation des obligations résultant de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le Comité a été saisi sur le cas de 49 enfants dont les familles en France demandent le rapatriement. Contrairement à la pratique d’autres pays, la France maintient son refus de principe, tout en rapatriant au cas par cas quelques enfants. Le Comité a jugé que le refus de la France portait atteinte au droit à la vie et au droit de ne pas subir de traitement indigne et dégradant. Cette décision n’a toutefois pas de force contraignante pour la France.

Il en ira différemment de la décision de la CEDH saisie en 2021 de deux requêtes de parents de femmes françaises détenues dans des camps en Syrie avec leurs enfants. La CEDH a tenu audience en septembre dernier et n’a toujours pas rendu son jugement.

Rappelons que les tribunaux français se sont déclarés incompétents au motif que l’intervention de la France impliquerait des négociations avec une puissance étrangère ou une intervention sur un territoire étranger et n’était pas détachable de la politique diplomatique du pays, qui ne relèverait pas du contrôle du juge. Les juridictions administratives sont sur ce point fidèles à leur jurisprudence qui excluent de tout droit au recours les « actes de gouvernement », c’est-à-dire des décisions le plus souvent politiques, en tout cas celles qui relèvent des relations avec des Etats étrangers. La jurisprudence est éminemment discutable (elle revient à fermer les yeux sur les atteintes aux droits de l’Etat à l’extérieur du territoire) mais la voie est fermée.

Lors de l’audience tenue devant la CEDH en septembre 2021, le ministère français des Affaires étrangères a affirmé ne pas exercer de contrôle sur les ressortissants français en Syrie ni dans les camps de détention et n’être pas responsables des violations du droit qui y sont commises. Il assure par ailleurs n’avoir aucune obligation légale de rapatriement. Il insiste pour que les parents djihadistes soient jugés sur place alors qu’il n’y a pas d’Etat présent sur la zone ou, quand il en existe un, qu’il ne garantit pas un procès équitable.

La question posée à la CEDH concerne donc en premier lieu la recevabilité de la requête : elle doit décider si les personnes concernées sont ou non sous la juridiction de l’Etat français, puisque l’article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ne garantit les droits et libertés qu’elle énumère qu’aux personnes placées sous la juridiction des États signataires. Ce lien juridictionnel est traditionnellement territorial mais des exceptions sont possibles. L’on peut ainsi plaider que la France exerce un contrôle effectif sur la situation de ces personnes puisqu’elle a déjà rapatrié certains enfants (donc elle peut intervenir et elle est reconnue compétente pour le faire par les autorités du camp), que les liens des personnes détenues avec la France sont évidents et que les mères des enfants font, au demeurant, l’objet de procédures pénales en France.  La France a capacité à agir envers des personnes qui font partie de ses nationaux et les enfants comme leurs mères peuvent donc être considérées comme placées sous sa juridiction, même si le camp est régi par d’autres autorités.

En second lieu, la question posée porte sur une obligation de rapatriement en cas de risque de traitements indignes et inhumains.  La France est-elle libre d’apprécier la possibilité d’une protection consulaire et des contours qu’elle veut lui donner, comme elle en a le droit traditionnellement ou a-t-elle obligation de rapatrier les personnes courant un risque de mauvais traitements ? Autrement dit, les obligations prévues par la Convention s’imposent-t-elle au droit traditionnel qui laisse les États libres de leur protection consulaire ? Le gouvernement plaide le libre choix…

Enfin, le droit (reconnu aux ressortissants d’un pays) d’entrer sur le territoire national implique-t-il le droit à rapatriement ? Le gouvernement français considère que ce droit ne s’exerce que si une personne se présente à la frontière. Il refuse l’obligation de rapatrier quand la personne, éloignée du territoire national, ne peut par ses propres moyens revenir sur le territoire.

Dans cette affaire, l’échange d’arguments juridiques est sans doute nécessaire ou inévitable. Mais l’on voit bien où se situe l’argumentaire du gouvernement français. Sa position est qu’il peut faire (il l’a d’ailleurs déjà fait) mais qu’il n’a aucune obligation. Peu importe les souffrances et la mort des enfants, il fera quand il le voudra. Il pourrait agir pour mettre fin à la souffrance des enfants mais, voilà, s’il ne veut pas, il plaide qu’on ne peut pas le forcer. On perd du temps à écouter ces arguties et les subtils distinguos sur la juridiction des États. La position de la France (« je peux agir mais je n’ai pas d’obligation juridique, alors je ne fais rien ») est moralement insupportable. Espérons que la Cour européenne fera preuve de bon sens.