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La fin des pesticides, quelles conséquences?

L’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) a fait paraître, le 21 mars 2023, une étude prospective à horizon 2050 qui étudie les conditions et les conséquences d’une agriculture européenne sans pesticides.  Réalisée par une centaine d’experts, elle repose sur l’élaboration de trois scénarios (tous trois avec non-recours aux pesticides chimiques, l’hypothèse de départ étant que les normes internationales l’imposent).

Les trois scénarios présentent des ressemblances : diversification des cultures, développement des biocontrôles (recours à des substances, insectes ou microorganismes nocifs pour les indésirables) et variétés adaptées. Les différences entre les scénarios reposent sur le type d’agriculture mis en œuvre et le régime alimentaire de la population.

L’étude mesure ensuite les conséquences de chaque scénario sur les émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité, le solde commercial de l’Europe et la composition de l’assiette moyenne des européens en calories.

Le premier scénario (« technologique ») repose sur le recours à des variétés de plantes plus résistantes, au renforcement de leur immunité par des « intrants » exogènes (biostimulants) et à l’utilisation de systèmes de surveillance de la production agricole (par drones) et de traitement individualisé des plantes (par robot).  Le scénario, qui suppose des investissements importants pour répondre à l’absence d’intrants chimiques, favorise les grandes exploitations spécialisées : les exploitations familiales deviennent résiduelles. Sinon, rien ne change : le type d’alimentation est le même que celui d’aujourd’hui.

Le second scénario protège les plantes différemment, en s’aidant pour l’essentiel des microorganismes qui vivent sur les plantes et du microbiome des sols (soit l’ensemble des microorganismes du sol).  Il repose en outre sur un changement de l’alimentation : moins de produits animaux, moins de sucre, moins d’huile, davantage de produits secs et de fruits et légumes. Le scénario implique des compétences élevées et davantage de travail du sol pour y incorporer les microorganismes nécessaires. Il implique aussi une réduction des productions animales.

Le troisième scénario repose sur des caractéristiques proches du deuxième scénario mais y ajoute une recomposition des paysages, qui doivent intégrer au moins 20 % de haies, de zones humides et de bosquets. Il s’accompagne de circuits commerciaux courts et d’une alimentation un peu plus frugale, avec une réduction supplémentaire des produits animaux.

Les résultats sont différenciés : les émissions de GES baissent de 8 %, de 20 % de 37 % dans chacun des trois scénarios. Dans les trois scénarios, la production agricole se réduit mais, dans le scénario 1, l’Europe reste, en 2050, importatrice de produits agricoles, tandis qu’elle devient exportatrice dans les deux autres (les usages domestiques diminuent davantage que la production). Les trois scénarios sont favorables à la biodiversité, le 3e davantage que le premier. La santé humaine est mieux protégée qu’aujourd’hui dans les 3 scénarios mais elle l’est davantage encore dans les scénarios 2 et 3.

L’étude, compliquée à lire, souvent très technique, ne deviendra pas le best-seller de l’année.

Néanmoins, elle porte un message fort : le renoncement aux pesticides nécessite, dans tous les cas, de lourdes modifications. Il est possible d’agir par la technologie mais l’agriculture, moins polluante, deviendra alors une activité plus capitalistique qu’aujourd’hui. Ce n’est que si les modifications touchent également les méthodes de culture, l’alimentation et les paysages que l’on tirera le maximum de bienfaits de l’abandon des pesticides.

L’étude, par là-même, apporte une réponse à ceux (la FNSEA, le Président Macron) qui soutiennent que le recours aux pesticides signifie baisse de production et abandon de la souveraineté alimentaire, avec un renforcement des importations. Au niveau européen, le scénario 1 valide ce risque. Si, parallèlement, l’alimentation et les modes de culture se modifient, ce risque peut être évité.

Cependant, ce que l’étude signifie implicitement, c’est que, pour réussir les transitions, des aides sont nécessaires : la PAC doit fondamentalement se transformer pour les accompagner. Les agriculteurs doivent aussi moderniser leurs techniques et acquérir de nouvelles compétences. Des accords commerciaux doivent également être signés pour imposer aux pays tiers la garantie d’une production agricole réalisée dans des conditions identiques.

Au final, les chantiers sont multiples et complexes. L’agriculture doit abandonner les pesticides mais ce sera au prix d’un effort d’adaptation fondamental et, sans nul doute, difficile.