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Fret ferroviaire : sombres perspectives

La filiale Fret de la SA Rail logistics Europe, SA qui relève du groupe SNCF,  est en danger, pour des raisons juridiques : la Commission européenne a ouvert en janvier 2023 une procédure contre la France pour avoir versé à cette entité des aides d’Etat contraires aux conditions de concurrence : avances de trésorerie de 2007 à 2020 par la SNCF, reprise de  sa dette de 5,3 Mds par la même SNCF, au moment où les différentes entités de celles-ci sont devenues, par la loi du 27 juin 2018, des sociétés anonymes coiffées par une holding, enfin injection de capital de 170 millions.  Compte tenu des liens entre la SNCF et l’Etat, qui en est aujourd’hui l’actionnaire unique, la Commission considère que ces aides ont été financées par l’Etat. Elle pourrait mettre en demeure ce dernier de les récupérer auprès de la filiale fret-SNCF.

Il est loisible de se demander pourquoi la décision prise en 2018 qui a permis à l’Etat de reprendre parallèlement 35 Mds de dette de la SNCF proprement dite ne fait pas l’objet d’une procédure identique de la Commission européenne. L’explication paraît étrangement artificielle. La reprise n’a alors bénéficié qu’à SNCF-Réseau, qui portait l’essentiel de la dette de la SNCF, organisme qui n’intervient pas sur un marché concurrentiel.

La procédure actuelle intervient au moment où le gouvernement souhaite, pour des raisons de transition écologique, un développement de l’activité de fret ferroviaire (un doublement à 18 % de la part modale du fret à horizon 2030). Pour autant, le fret était, dès avant la procédure évoquée, en situation difficile ou, du moins, incertaine : certes l’activité s’est quelque peu redressée en 2021 et 2022 (l’entreprise a été à l’équilibre) mais la part modale reste très modeste (10,7 %), notamment en comparaison d’autres pays (Suisse : 33 %, Suède : 30 %, Allemagne : 18 %, Italie : 12 %, moyenne UE : 17 %) et en 2023 la première partie de l’année a été désastreuse compte tenu des grèves. L’on craignait déjà fin 2022, avant l’annonce de la procédure engagée, que le doublement de la part modale du fret en 2030 ne soit un objectif utopique, tant le réseau est mal adapté au transport de marchandises et tant la SNCF semble peiner à poursuivre les objectifs affichés.

Pour éviter la liquidation de la filiale fret-SNCF, l’Etat envisagerait de plaider auprès de la Commission une réduction de son activité: à fin décembre 2024, les activités proprement concurrentielles du fret (à savoir la location de trains entiers de marchandises) seraient exclusivement ouvertes aux opérateurs privés et la filiale de fret de la SNCF ne garderait que les réservations partielles de trains. Les cheminots en surnombre seraient répartis dans les autres entités SNCF.

La solution risque de compromettre les chances de redressement du fret ferroviaire, même si celles-ci dépendent, pour l’essentiel, de l’adaptation du réseau et des investissements consentis pour l’adapter au transport de marchandises (tunnels, rénovation de gares de triage, création de nouveaux terminaux de ferroutage) : le ministre a promis 4 Mds d’aides en ce sens d’ici 2032, sachant que les experts en réclament 3 à 4 fois plus. Reste de plus  à améliorer une qualité de service insuffisante, à donner une réelle priorité aux sillons dédiés et à aménager des combinaisons rail-route. Dans ce contexte, nul ne sait trop quelles conséquences aura, sur le développement du fret, une ouverture plus grande aux opérateurs privés. Il existe en tout cas un paradoxe à bouleverser les règles du jeu et le rôle des opérateurs au moment où l’on souhaite développer le fret.

La procédure engagée par la Commission paraît donc bien inopportune, même si les perspectives du développement du fret n’étaient, dès avant elle, nullement garanties.