La politique de l’apprentissage menée par les pouvoirs publics depuis la réforme de 2018 et, surtout, depuis le plan de relance 2020, est vivement critiquée dans deux notes parues ces dernières semaines. Il s’agit d’une note de l’OFCE (Bruno Coquet, Apprentissage, un bilan des années folles, Policy brief, juin 2023) et d’une note thématique de la Cour des comptes rédigée dans le cadre de sa contribution à la « Revue des dépenses publiques » programmée par le gouvernement, Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l’apprentissage, juillet 2023.
La première note souligne que la réforme de l’apprentissage de 2008 était nécessaire et a été efficace : extension de l’âge limite d’entrée à 29 ans, amélioration du salaire des apprentis, fin des mesures tendant à limiter le nombre des CFA, financés désormais au contrat (l’organisme France compétences fixant le niveau de prise en charge) et, surtout, simplification du contrat avec l’employeur et mise en place d’une « aide unique ». L’aide était alors ciblée sur les entreprises de moins de 250 salariés et sur l’accueil d’apprentis préparant un diplôme de niveau bac ou inférieur. Ces mesures ont permis un développement de l’apprentissage (chiffré à 80 000 contrats supplémentaires en 2022 sur les 540 000 contrats supplémentaires constatés cette année-là), même si elles ont en partie raté leur cible : dès 2018, ce sont les contrats d’apprentissage de l’enseignement supérieur qui se développent le plus. Quant aux entreprises de plus de 250 salariés, qui devraient se détourner de l’apprentissage, elles signent autant de nouveaux contrats que les autres : jouent sans doute dans leur choix l’éligibilité nouvelle aux allègements bas salaires et la simplification des procédures.
Les mesures inscrites dans le plan de relance de 2020 (et poursuivies sans vraie raison jusqu’en fin 2022) vont chambouler le dispositif : l’aide unique est remplacée, la première année du contrat, par une aide exceptionnelle de 5000 à 8000 euros selon l’âge de l’apprenti, sans condition de taille de l’entreprise ni de niveau de diplômes préparé. Les contrats ont connu une augmentation fulgurante (ils sont passés de 300 000 en 2018 à 837 000 en 2022) et une grande part de cette augmentation (523 000 contrats, soit plus de 60 %) concernent des apprentis non éligibles à l’aide unique de départ (étudiants ou apprentis d’entreprises de plus de 250 salariés). L’aide exceptionnelle couvre 100 % du salaire d’un apprenti mineur et de 80 à 45 % du salaire des majeurs en fonction de leur âge. Jamais un tel niveau de subventionnement n’avait été atteint auparavant.
En 2023, un nouveau dispositif fusionne aide exceptionnelle et aide unique. Cette fusion revient sur les objectifs de 2018 puisqu’elle cesse de favoriser l’insertion des apprentis les plus modestes : l’aide ne concerne désormais que la première année, elle est ouverte à la préparation des diplômes jusqu’au master et, jusqu’en fin 2023, aux entreprises de plus de 250 salariés.
Conclusion : pour un coût très élevé (la note de l’OFCE estime que, tous financeurs confondus, le coût de l’apprentissage est passé de 5,9 Mds en 2018 à 19,9 Mds en 2022, les aides aux entreprises ayant été multipliés par 4,5), le dispositif d’apprentissage profite moins qu’auparavant aux publics faiblement diplômés qui en auraient le plus besoin.
La note de la Cour des comptes de juillet 2023 ne dit pas autre chose, soulignant le dévoiement du dispositif au profit des formations universitaires et aux détriments des publics infra-bac. Elle ajoute un constat complémentaire : les formations qui concernent l’artisanat et l’industrie et qui nécessitent un plateau technique coûteux peinent à être financés alors que les formations tertiaires du supérieur le sont plus aisément. La Cour recommande de « prioriser » l’apprentissage des bas niveaux de qualification et, si l’objectif d’un million de nouveaux apprentis par an est poursuivi, d’ajuster en conséquence les moyens financiers de France compétences. Quant un gouvernement fait le contraire de ce à quoi il s’était engagé….