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L’éducation, domaine réservé du Président?

Le Président de la République, E. Macron, s’occupe de l’école : depuis sa réélection de 2022, c’est lui, et non le ministre, qui annonce les réformes en ce domaine ou qui, à l’inverse, leur coupe les jarrets, comme il l’a fait avec les projets de Pap Ndiaye tendant à améliorer la mixité sociale.  Dans une interview au Point du 23 août dernier, il théorise son intrusion en indiquant que l’éducation « fait partie du domaine réservé » du Président, comme si c’était une évidence.

Naturellement, une telle déclaration n’a aucun sens. Naturellement, elle n’apporte rien (si le Président veut infléchir la politique éducative, il a déjà tout pouvoir pour le faire) et naturellement, elle est stupéfiante tant elle témoigne d’une volonté naïve de s’affirmer, en contradiction avec le jeu normal des institutions.

La Constitution, qui ne prévoit aucun « domaine réservé », donne cependant des prérogatives particulières au Président de la République dans les domaines militaire et diplomatique. : selon l’article 15, le Président est le chef des armées et préside le Conseil de défense et de sécurité nationale, sachant toutefois que le gouvernement « dispose de la force armée » (article 20). Le Président « négocie et ratifie les traités » (article 52), sachant également que les traités importants relèvent de la loi. Ces dispositions, tout comme la prééminence du Président dans les politiques publiques (c’est lui qui préside le Conseil des ministres, c’est lui qui décide du référendum) ont conduit à des pratiques qui pourraient (ou devraient ?) être discutées : ainsi, c’est le Président, pas le premier ministre, qui représente la France au Conseil européen alors qu’il n’est pas responsable devant le Parlement des prises de position qu’il y prend. Il est vrai que c’est une administration placée sous le contrôle du Premier ministre, le Secrétariat général des Affaires européennes, qui prépare les positions alors défendues par la France.

La Constitution est donc ambiguë : contrairement à ce qu’elle affirme, ce n’est pas le gouvernement, ou en tout cas pas lui seul, qui « détermine la politique de la nation » (article 20). Selon la Constitution elle-même, deux autorités dirigent le pays, dont l’une est sous l’autorité de l’autre mais doit, ou devrait, disposer d’une autonomie plus ou moins large sur les politiques à mener.

Dans ce contexte, on a appelé « domaine réservé » non pas cette dualité mais les pratiques qui en découlent et qui ne sont pas du tout prévues par la Constitution, voire qui sont contraires à son esprit : il en est ainsi lorsque c’est une cellule de l’Élysée qui définit et impose au ministre l’essentiel de la politique étrangère qu’il mène, court-circuitant ainsi le Premier ministre, voire, comme on l’a vu pour le Rwanda quand F. Mitterrand était Président, quand certains responsables de l’Élysée prennent directement les décisions malgré les alertes des professionnels.

Aujourd’hui la situation a évolué : le « domaine réservé » qui court-circuite le Premier ministre existe toujours (pendant le premier quinquennat Macron, le ministre de la Défense avait directement accès au Président) mais, surtout, le dualisme à la tête de l’État n’existe plus ; depuis la présidence Sarkozy, le Premier ministre est un « collaborateur » qui n’a pas de poids politique propre et qui exécute sans trop les discuter les mesures que lui dicte, dans tous les domaines, le Président.  C’est ce dernier qui définit et conduit la politique du pays, et pas seulement dans le domaine de la Défense et des Affaires étrangères : il fabrique la loi, détient le pouvoir réglementaire, fixe l’organisation judiciaire, nomme les plus hauts magistrats,  détermine la politique pénale, agricole, scolaire et universitaire, arbitre les choix budgétaires, décide même de l’utilisation du 49-3 au Parlement, comme on l’a vu pour la réforme des retraites, qui aurait pu être soumise au vote et qui finalement, sur l’ordre exprès du Président et malgré l’avis contraire de la Première ministre, ne l’a pas été.  En outre, Emmanuel Macron, pour réagir contre un prédécesseur jugé mou, sans projet ni autorité, a théorisé la verticalité du pouvoir, jugeant que les Français souhaitaient d’abord avoir un chef, et dénié aux corps intermédiaires (ceux que Durkheim appelait des « institutions intégratives ») tout droit d’incarner l’intérêt général.

Dans ce contexte, revendiquer l’intégration de l’éducation dans le domaine réservé est une provocation : elle y est déjà et depuis belle lurette, et cela n’est pas sans poser la question de la démocratie. Lors de la réforme des retraites, imposée d’en haut par un Président de la République qui considérait que sa réélection lui donnait toute légitimité pour décider d’une réforme dont le pays ne voulait pas, les responsables au pouvoir se sont offusqués de ce que  Pierre Rosanvallon ait qualifié la période de « crise démocratique la plus grave que la France ait connu depuis la guerre d’Algérie », jugeant que, si la lettre des institutions avait été respectée, l’esprit de la Constitution  et de la démocratie ne l’avaient pas été. Manifestement, le Président, en insistant sur le fait qu’il est responsable de tout et capte les compétences des ministres quand cela lui plaît, n’a pas compris le message. Il n’est pas certain que le pays ait envie d’un Président qui décide de tout. En revanche, sans doute aurait-il besoin d’un Président qui veille à ce que le pays avance, suive les bonnes orientations et garde sa cohésion.