Complicité de crime de guerre : les entreprises doivent faire attention

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Complicité de crime de guerre : les entreprises doivent faire attention

Il a beaucoup été question en France, récemment, de la compétence universelle, c’est-à-dire de la capacité des tribunaux français de juger des infractions commises à l’étranger sans que ni l’auteur ni la victime ne soit de nationalité française.  Les conventions internationales signées par la France lui donnent ainsi compétence universelle pour juger, même quand ils sont étrangers et même quand leurs victimes le sont, les auteurs d’actes de torture et de disparitions forcées ou les auteurs de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide, à certaines conditions toutefois qui sont parfois très restrictives.

L’on oublie souvent que, dès lors que l’auteur ou la victime de tels crimes commis à l’étranger sont de nationalité française, la justice française est pleinement compétente, sans application de conditions restrictives et que cela peut concerner des entreprises, qu’elles vendent des armes ou contribuent, d’une manière ou d’une autre, à un crime de guerre.

En septembre dernier, une juge d’instruction a reçu la famille d’enfants tués à Gaza en 2014 par un missile israélien, dans le cadre de l’instruction d’une plainte pour complicité de crime de guerre déposée à l’encontre d’une entreprise française, Exxelia Technologies : la société a vendu à Israël un capteur de position qui a permis au missile israélien de tuer des enfants jouant sur un toit, à Gaza, en 2014, un jour sans menace où l’enquête a montré qu’aucun combattant armé n’était présent sur le site.

Établir la complicité de l’entreprise est difficile : le commerce des armes est autorisé. Il faudrait donc pouvoir démontrer que l’entreprise avait conscience de l’utilisation qui pouvait être faite, contre des civils, des armes qu’elle équipait : sur ce point, les avocats de la famille décimée plaident la révélation par la presse des nombreux crimes de guerre commis par l’État d’Israël en 2008 et 2009 à Gaza, qui aurait dû conduire l’entreprise à refuser de lui vendre des armes. L’entreprise plaide quant à elle l’incapacité où elle était de prévoir une utilisation contraire au droit international.

Pour autant, personne ne peut ignorer que les ventes d’arme à certains pays conduisent à la violation des règles de droit international. En Juin 2022, les entreprises Thalès, Dassault et MBDA ont fait l’objet d’une plainte pour avoir vendu à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis des armes utilisées au Yémen contre des civils, sachant que de telles utilisations étaient alors de notoriété publique.

Le parquet national antiterroriste (en charge de telles poursuites) a ouvert, en mai 2023, une enquête pour crime de guerre après  la mort d’un journaliste français en Ukraine. De même, une plainte a été déposée contre Total énergies, en octobre 2022, pour avoir exploité un gisement qui a fourni du carburant aux avions russes qui ont bombardé l’Ukraine et, le plus souvent, des cibles civiles. Personne ne s’en étonne ni n’en est choqué :  or il ne peut y avoir de différences entre les guerres. Un civil yéménite tué par une arme française a droit lui aussi à la justice au même titre qu’un journaliste français ou qu’un civil ukrainien victime de l’alliance entre une entreprise française et une entreprise russe. Si l’on admet ce droit à justice, la guerre sera peut-être, à l’avenir, une entreprise un peu moins tranquille qu’auparavant.