Projet de loi logement : toucher au symbole SRU, limiter la mixité sociale, réduire la redistribution

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Projet de loi logement : toucher au symbole SRU, limiter la mixité sociale, réduire la redistribution

Le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables, qui modifie les dispositions de la loi Solidarité et renouvellement urbain (loi SRU du 13 décembre 2000) a été adopté le 3 mai en Conseil des ministres.

Le projet se situe dans le cadre d’un « choc d’offres » déjà annoncé, sans avoir eu lieu, en 2017 et 2018, lors du premier quinquennat Macron, dans le but de mettre fin à la crise du logement. Son objectif affiché est  de développer l’offre de logements dits intermédiaires : il s’agit de logements locatifs construits dans des zones tendues qui bénéficient d’une aide publique et dont les loyers, encadrés, sont inférieurs de 10 à 15 % au coût du marché, nettement moins toutefois que ceux des logements sociaux (- 40 %). Les présentations officielles réservent ce logement intermédiaire aux « classes moyennes ».

Le projet consiste à modifier les conditions dans lesquelles les communes doivent respecter les normes fixées par la loi SRU. Les communes soumises à cette loi SRU (communes d’une certaine taille et relevant d’un ensemble urbanisé) doivent en effet disposer de 20 à 25 % de logements sociaux. Le projet de loi permet à celles qui n’ont pas rempli les objectifs qui leur étaient fixés (soit, en 2023, 1161 communes sur les 2007 soumises à la loi) et qui sont donc soumises, pour certaines, à une pénalisation financière, de combler leur retard en construisant des logements intermédiaires, à certaines conditions toutefois : avoir déjà atteint 10 ou 15 % de logements sociaux selon le cas et signer avec l’État un contrat de mixité sociale qui définit les conditions dans lesquelles elles devront quand même rattraper leur retard.

Le projet donne en outre aux maires la compétence d’attribution des logements sociaux neufs sur leur commune.

Par ailleurs, le texte assouplit certaines procédures : il étend le droit de préemption pour lutter contre une spéculation foncière qui risquerait de nuire à des objectifs de construction de logement, à condition que le bien acquis dans ces conditions soit cédé dans les 5 ans pour être utilisé en ce sens. Il diminue les délais de recours contre les autorisations d’urbanisme pour accélérer les constructions ; il permet aux bailleurs sociaux d’augmenter les loyers dans les logements sociaux anciens, à la relocation ; il leur permet d’acquérir davantage de logements intermédiaires ; il déclenche plus rapidement le paiement des surloyers en cas de dépassement de ressources par les locataires et abaisse le niveau des revenus au-dessus desquels un locataire de logement social ne verra pas son bail renouvelé.

Il est loisible de considérer que les mesures les plus importantes sont les premières mentionnées ci-dessus, soit la possibilité donnée aux communes d’éviter la pénalisation SRU en construisant des logements intermédiaires ainsi que le droit donné aux maires d’attribuer les logements sociaux neufs. Les autres mesures soit appellent peu de remarques (l’extension du droit de préemption est une bonne mesure), soit laissent quelque peu partagé : les bailleurs sociaux sont vent debout contre l’abaissement du plafond de ressources permettant le non renouvellement du bail, dont le principe avait été inscrit dans la loi Molle du 25 mars 2009. Certes, on peut se demander si les ménages hébergés dans le secteur social et visés par une rupture du bail auront les moyens de se reloger dans un parc privé dont les loyers sont parfois hors de prix. Surtout, la mesure ne permettra pas de libérer des logements sociaux en nombre suffisant pour répondre à la demande. La seule mesure qui améliorerait la mobilité des bénéficiaires de logements sociaux serait la réduction de l’écart de prix avec les logements du parc privé. Or, en l’absence d’un encadrement des loyers pleinement efficace, ce n’est pas dans cette direction que l’on s’oriente.

En revanche, il est extrêmement choquant, sur le plan des principes, de « faire une fleur » aux maires qui se sont constamment opposés à l’application de la loi SRU sur leur territoire, pour ne pas accueillir des populations moins aisées ou pauvres dont ils ne voulaient pas. Nice sera dispensée de pénalisation dès lors qu’elle construira d’autres types de logements qui, en réalité, ne sont pas destinés aux classes moyennes inférieures (déjà accueillies dans le parc social) :   s’agissant des logements intermédiaires, le plafond de ressources en vigueur dans les zones A et A bis très tendues est pour un couple, en 2023, légèrement supérieur à 6000 euros mensuels. De tels logements accueillent des classes moyennes « supérieures ».

La mesure du projet de loi va à l’encontre de la volonté de mixité sociale portée par la loi SRU : certes, cette mixité n’est pas atteinte, mais ce n’est pas du fait de la loi. Avec 5 % de logements sociaux dans certaines communes et 70 ou 80 % dans une autre, il aurait fallu des mesures plus fortes que l’imposition d’un pourcentage minimum qui, au demeurant, n’est pas respecté dans la moitié des communes censées s’y plier.

La mesure est d’autant plus critiquable qu’elle dissuade, à court terme, de construire des logements sociaux et qu’aucune disposition du projet de loi ne tend à aider le secteur social à construire davantage : or, les bailleurs sociaux souffrent financièrement des mesures de réduction des loyers que leur a imposé l’État depuis quelques années, de l’augmentation de la TVA et du renchérissement des taux d’intérêt de leurs prêts indexés sur le livret A. Selon la Caisse des dépôts et consignations, ils n’auront plus les moyens, dans les années qui viennent, de mener concurremment une politique dynamique de construction de logements neufs et de rénovation des logements existants.  De fait, le nombre de logements agréés diminue, 83 000 en 2023 contre plus de 110 000 dans les années d’avant Macron, tandis que la file des demandeurs ne cesse d’augmenter, 1,8 millions de personnes.

Quant à la mesure donnant aux maires le droit de choisir les bénéficiaires de logement sociaux neufs, c’est la porte ouverte à toutes les discriminations et un recul par rapport aux efforts faits depuis des années pour objectiver les critères de sélection, favoriser les décisions collectives et mutualiser les offres.

Le projet rate donc sa cible : l’on ne peut être opposé au développement du logement intermédiaire. Mais il ne doit pas se faire aux dépens des besoins des populations très modestes, qui ont besoin d’un logement financièrement accessible. La crise du logement, qui est une crise des coûts, ne reçoit ici aucune réponse. Le maire de Nice sera content et les classes moyennes supérieures seront peut-être reconnaissantes. Mais ailleurs, cela ne changera rien et la crise du logement va continuer à s’intensifier.