La Russie, puissance crépusculaire mais résiliente

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La Russie, puissance crépusculaire mais résiliente

L’ancien diplomate Michel Duclos a rédigé pour l’Institut Montaigne, avec Camille Le Mitouard, une longue note (La Russie, une puissance crépusculaire ?) qui décrit la situation de la Russie après deux ans de guerre et qui s’interroge sur l’avenir. Ce n’est pas si facile que d’essayer d’objectiver les points forts et les points faibles d’un pays en guerre soumis à des sanctions internationales et de définir l’avenir le plus probable. L’Institut Montaigne le tente, à l’aide d’échanges avec des experts et des acteurs économiques. Il produit une note qui, de fait des nuances et des précautions prises, est complexe mais pas obscure.

 La note reconnaît les faiblesses de l’appareil militaire russe, citant le commandement, les systèmes de communication, l’équipement des soldats, les carences sur les drones « armés », le net recul de la flotte en mer noire, le déficit de main d’œuvre pour produire les armes et équipements nécessaires et l’impact des sanctions sur la fourniture de certains composants. Pour autant, le constat est fortement nuancé : l’industrie militaire est devenue très productive et tourne à plein régime, ce qui contraste avec le faible rythme des usines d’armement européennes. Des sources d’approvisionnement en armes (Iran, Corée) ont au demeurant été trouvées. La Chine pallie certains manques technologiques liés aux sanctions. Les Russes ont appris à défendre les positions prises et les Ukrainiens ne parviennent pas à « reprendre » les zones cédées. L’armée russe a suffisamment d’hommes pour compenser ses pertes sur le front.  La stratégie russe est devenue simple : une armée de masse, une guerre d’attrition pour l’essentiel (les attaques à Kharkiv sont récentes) qui mise sur l’artillerie et sur les destructions systématiques « en profondeur » pour désorganiser le pays attaqué. Compte tenu des difficultés en hommes et en munitions des Ukrainiens, la stratégie russe marche plutôt bien.

Sur le plan militaire, le jeu reste très ouvert : une défaite ukrainienne ou un recul est possible, surtout en cas de victoire de Trump, avec pour la Russie des gains territoriaux et la possibilité d’exprimer des exigences sur l’avenir de l’Ukraine. Mais un rapport de forces inverse peut s’établir, ou bien la guerre peut être gelée ou devenir intermittente : la note prédit alors que la Russie reviendra à l’assaut quelques années plus tard. Une confrontation de longue durée est le scénario le plus probable : le refus de l’émancipation des Ukrainiens est une question existentielle pour la Russie.

Sur le plan économique, ce qui frappe, c’est la résilience du pays. La croissance (3 % en 2023) est certes due à l’effort de guerre, ce qui n’a pas du tout les mêmes effets d’entrainement sur l’économie que des investissements productifs. Toutefois, la Russie a su réorienter ses exportations d’énergies fossiles, de céréales, d’engrais et de métaux vers d’autres pays, notamment l’Inde et la Chine. Elle a profité des cours élevés de 2022. Les échanges avec la Chine et l’Inde se sont considérablement développés, y compris par l’importation de produits chinois et indiens, et les entreprises se sont débrouillées pour contourner l’impossibilité de certaines importations de biens occidentaux.

Pour autant les vulnérabilités sont nettes : épuisement des réserves de l’État, chute du rouble, grande dépendance au prix des hydrocarbures, effondrement de pans entiers de l’industrie russe (automobile, information, industries électriques…) faute d’avoir accès à des produits technologiques indispensables, crainte même pour les technologies d’extractions pétrolières,  effondrement du PIB dans certaines régions, nécessité aujourd’hui de réduire les dépenses sociales alors qu’elles avaient augmenté pour soutenir les familles de soldats, effondrement démographique, conséquences de la fuite des cerveaux, capacité d’innovation amoindrie par le manque de contact avec l’Occident, voire par le verrouillage politique qui empêche les échanges.

Le plus probable, sauf accident de parcours, est que la Russie ne s’effondrera pas mais le risque existe qu’elle s’appauvrisse continûment et que le régime, définitivement aux mains des hommes de la sécurité intérieure, les siloviki, ne cesse de se durcir. Un changement de régime est, selon les auteurs de la note, très peu probable. La capacité de la Russie à adapter son économie aux besoins des pays du sud qui échangent avec elle sera déterminante pour son avenir. La Russie, même en déclin et appauvrie, devrait toutefois représenter pour l’Occident un risque durable.