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Santé : à la recherche d’une stratégie perdue

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Après le plan « Renforcer l’accès territorial aux soins » pour lutter contre les déserts médicaux (octobre 2017), après la publication d’une « Stratégie nationale de santé » en décembre 2017 couvrant la période 2018-2022, le Premier ministre et la ministre de la santé, sans doute poussés par l’exaspération grandissante des établissements de santé, lancent une « Stratégie de transformation du système de santé » : ils insistent alors sur la nécessité d’une transformation d’ensemble, ville comme hôpital, en travaillant à la fois sur la qualité et la pertinence des soins, sur la tarification, sur l’organisation territoriale des soins et sur l’utilisation du numérique.

Un tel projet suscite une appréciation ambivalente.

Le gouvernement annonce ne pas vouloir « rafistoler » le système de soins mais le réformer globalement et en profondeur. Qui ne serait d’accord ? La méthode des petits pas était sans doute adaptée à un système en construction qu’il fallait corriger sans l’empêcher de se développer. Elle ne l’est plus avec un système arrivé à maturité voire vieillissant, trop coûteux pour la qualité fournie et dont l’organisation duale, entre soins de ville et établissements, ne répond plus aux besoins. Cela posé, il serait temps de découvrir, 8 mois après l’élection présidentielle de 2017, 2 mois après la publication d’une « stratégie de santé » pluriannuelle (malheureusement remplie de généralités et dépourvue de tout plan d’action), qu’une réforme globale s’impose. Les ministres doivent arriver aux responsabilités en sachant ce qu’ils ont à faire, sinon le moment vient vite où il n’est plus temps de lancer des projets, surtout flous.

De plus, dans le domaine de la santé, les « réformes globales » sont légion depuis les années 2000, sans apporter autre chose que de modestes améliorations. Ne remontons qu’aux deux dernières : la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » du 21 juillet 2009, faisant suite au remarquable rapport Larcher de 2008, se présentait comme « une modernisation globale du système de santé », apportant « des réponses aux grands enjeux : lutte contre les déserts médicaux, décloisonnement entre les soins ambulatoires, les soins hospitaliers et médico-sociaux » et « accès de tous à des soins de qualité »[1]. La loi n’a pas atteint ses objectifs, parce qu’elle a mis en place une réforme largement incantatoire, qui confie à de nouvelles instances, les Agences régionales de santé, une responsabilité formelle sur l’ensemble de la santé sans leur donner les outils de pilotage nécessaire.  Quant à la première « Stratégie nationale de santé » (déjà !) de 2014, elle contenait exactement les mêmes analyses qu’aujourd’hui sur la nécessité de « réformer en profondeur notre système de santé » et presque les mêmes orientations (améliorer les parcours des malades, réformer les tarifications, revoir la formation des soignants) : elle s’est terminée par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé dont on peine à se souvenir du contenu. Aucune réforme nouvelle n’en est en tout cas sortie ni sur l’organisation des soins, ni sur leur pertinence, ni sur leur tarification.

L’annonce d’une nouvelle « réforme globale » et concertée (la précédente stratégie de santé de 2014-2015 avait déjà donné lieu à des forums régionaux…) peut donc apparaître comme une manière d’occuper le terrain : le reste du quinquennat risque d’être occupé à préparer puis à mettre en œuvre des expérimentations diverses dont héritera le quinquennat suivant.

Les tentatives précédentes ont eu cependant un mérite : depuis 10 ans que sont menés les mêmes débats, l’on y voit plus clair sur ce qu’il conviendrait de faire. C’est plutôt aujourd’hui sur le comment faire qu’il faudrait s’interroger, compte tenu de l’absence de consensus politique sur les orientations à prendre. Commençons cependant à rappeler les objectifs partagés par la grande majorité.

 La transformation du système de soins : points essentiels

Une telle rénovation doit s’appuyer sur trois axes :

  • Améliorer la qualité et la pertinence des soins en rénovant la tarification et en mettant en place des outils d’évaluation ;
  • Modifier le pilotage de la politique de santé pour que les divers dispositifs de délivrance de soins coopèrent au lieu de s’ignorer ;
  • Offrir aux médecins un cadre où le travail soit collectif et partagé, notamment en exploitant les atouts du numérique.

La qualité et la pertinence des soins tout d’abord. Il ne suffit pas de répéter de manière quelque peu naïve qu’il y a 18 ans, en 2000, l’OMS a classé premier le système de santé français, dans une étude si décriée pour sa méthodologie qu’elle n’a jamais été reconduite à l’identique. La vérité est que notre système, comme tous les autres, a ses points forts et ses points faibles : parmi ceux-ci, figurent en bonne place l’absence de toute évaluation de la qualité des soins et la multiplication des actes ou prescriptions inutiles ou peu pertinents, estimés à 30 % des actes par une enquête de 2013 auprès des médecins. Ne prenons qu’un exemple dans l’actualité : la malheureuse affaire du Levothyrox a révélé que près de 3 millions de personnes prennent ce médicament destiné à soigner les troubles de la thyroïde, dont un tiers sans avoir fait de bilan thyroïdien, donc, possiblement, sans en avoir aucun besoin. A défaut d’être évalués, les médecins disposent pourtant, en théorie, de guides : les références médicales et protocoles établis par la Haute autorité de santé sont censés les aider dans leurs choix médicaux. Cependant, ils ont du mal à les utiliser. Le délégué général de la Fédération hospitalière de France expliquait récemment pourquoi : la HAS, à la recherche d’un consensus parfait, travaille trop lentement et produit des documents complexes, que peu de praticiens s’approprient.

Promouvoir la qualité des soins, c’est nécessairement toucher à leur tarification. L’augmentation vertigineuse des actes techniques ne tient pas seulement aux progrès qu’ils permettent : elle tient à leur extrême rentabilité, notamment pour les médecins spécialistes. Le reproche fait en milieu hospitalier à la T2A (tarification à l’activité) est fondé : ce mode de prise en charge des soins par l’assurance maladie présente un risque avéré de multiplication des actes et pousse à la non qualité pour certaines malades chroniques dont le traitement demande du temps (il est difficile d’en dire plus en l’absence de toute mesure de la qualité des soins hospitaliers). Il en est exactement de même en ville, où la tarification à l’acte (actes cliniques mais surtout actes techniques) conduit à une inflation des dépenses et à des prises en charge qualitativement déficientes.

La seconde priorité touche au pilotage de la politique de santé. Depuis 10 ans, on tourne autour du pot : l’on veut unifier un système de soins éclaté sans mettre fin à la dyarchie entre l’Etat (qui définit les moyens dont bénéficient les établissements et contrôle leur fonctionnement, voire leurs activités et leur devenir) et la sécurité sociale, qui maîtrise les conventions passées avec les médecins libéraux. De ce fait, chaque secteur garde sa logique propre : la Cour des comptes peut bien reprocher aux conventions médicales de n’avoir aucune vision d’ensemble du système de soins et elle peut bien critiquer l’Etat pour ne pas imposer des collaborations effectives entre prestataires de ville et établissements[2] : rien ne change et rien ne changera sans unicité de pilotage, au niveau national et régional.

La troisième priorité est d’encourager des pratiques de soins collectives et pluriprofessionnelles : même si elles ont depuis 2009 un statut juridique et désormais un statut financier conventionnel, les maisons de santé, qui fonctionnent selon ces règles, représentent encore un modèle expérimental. Il faudrait les développer et décliner ce type d’associations de praticiens en formules plus souples pour tendre à une généralisation. Enfin, le partage d’actes entre médecins et auxiliaires médicaux, jamais vraiment mis en œuvre alors même que la loi le prévoit, dégagerait du temps médical en améliorant le suivi des malades et la prévention.

Les orientations présentées ci-dessus sont cohérentes avec celles de la stratégie de transformation du système de santé de février 2018 même si celle-ci est muette sur l’unicité de pilotage. Cependant, dans ce document, la manière dont est abordé le « comment faire » est inquiétante, alors même que ce devrait être le cœur d’un projet crédible.

Comment mettre en œuvre ?

La stratégie de transformation du système de santé feint de croire que les réformes annoncées sont consensuelles, voire techniques. L’Etat se contente donc d’afficher des orientations : il confie à d’autres organismes le soin d’en proposer la mise en œuvre. Si une telle méthode avait été utilisée pour réformer le droit du travail, le chantier se serait à coup sûr enlisé. C’est ce qui va se produire dans le domaine de la santé.

Ainsi, pour améliorer la pertinence et la qualité des soins, le Premier ministre prévoit de saisir à la fois la Haute autorité de santé, l’assurance maladie et les conseils nationaux professionnels des différentes spécialités ainsi que le collège de médecine générale pour qu’ils proposent à l’été 2018 des actions permettant de l’améliorer. L’Etat va alors disposer d’un inventaire à la Prévert et on peut compter sur les médecins pour édulcorer toute mesure un peu contraignante. Or, le projet nécessiterait d’inventer un système d’évaluation des actes médicaux, en prenant garde à sa souplesse, à son acceptabilité mais aussi à son efficacité : si l’on veut éviter les travers bureaucratiques d’un contrôle médical bis, il faut travailler, pas réclamer leurs idées à des institutions qui défendent des intérêts contradictoires. De plus, coupler ce projet avec la réforme de la tarification est indispensable : c’est elle qui biaise les choix.

S’agissant de la tarification, c’est à un groupe de travail, présidé par un responsable technique de haut niveau (le directeur de la DREES, service d’études du ministère de la santé), qu’est confié le soin de faire des propositions, pour l’hôpital comme les médecins de ville. L’adaptation de la tarification hospitalière nécessite sans nul doute de la technicité, surtout si elle doit être plurielle, comme le propose le rapport Véran de 2017, qui envisage, pour certaines pathologies, le maintien de la T2A, pour d’autres, une tarification à « l’épisode de soins » et, pour les malades chroniques, une tarification au parcours. Pour adapter la tarification du secteur libéral (qui modifie les revenus des médecins), la technicité ne suffira pas. Apparemment, le document ne veut pas prendre en compte cet aspect, qui envisage, de manière surprenante, que la convention médicale adopte les réformes prévues. Or, la convention ne les acceptera que si elles sont anodines. Ce qui transparaît ici, c’est que le gouvernement n’affrontera pas les médecins libéraux sur ce thème.

Quant à l’organisation territoriale des soins, le document ne propose rien s’autre que de « continuer » à structurer les soins de ville pour que l’exercice isolé devienne l’exception, de « continuer » à tisser des liens entre hôpital et soins de ville, de « continuer » à travailler sur la gradation des soins tout en prévoyant de lancer des expérimentations. C’est difficile de faire plus flou, alors que le chantier serait immense pour généraliser l’exercice collectif et intégrer établissements de santé et services de soins ambulatoires : les relations se bornent aujourd’hui, au mieux, à la lettre d’information du médecin hospitalier au médecin traitant à la fin d’un séjour hospitalier. Indiquer qu’il suffit d’améliorer une situation immobile n’est pas sérieux.

Le diagnostic final peut paraître sévère : la publication de la Stratégie de transformation du système de santé est sans doute l’acte de décès des réformes « fondamentales » ou « globales ». Le gouvernement agit ainsi, sans doute, par réalisme : le chantier est titanesque, les principaux protagonistes n’en veulent pas, et la population, sensible essentiellement aux déserts médicaux et au coût de la santé, n’appréhende pas les défauts constitutifs du système.

 Y aura-t-il, dans les années qui viennent, des réformes ? Sans aucun doute : la tarification hospitalière sera, tôt ou tard, modifiée. Des mesures seront prises sur le numérus clausus, des indicateurs de qualité des soins seront peut-être mis en place, très probablement il y aura des progrès sur le numérique et sur le partage, entre médecins, des informations médicales, ainsi, vraisemblablement, qu’ un développement de la télémédecine. A lire la présentation actuelle des intentions du gouvernement, les réformes n’iront pas au-delà.

Pergama   

[1] Conseil des ministres, « Présentation du projet de loi HPST, un projet de santé durable pour nos concitoyens », 22 octobre 2008.

[2] L’avenir de l’assurance maladie, Rapport public thématique, Cour des comptes, 2017