Politique de la ville: renvoyer les mâles blancs dos à dos

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Politique de la ville: renvoyer les mâles blancs dos à dos

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La présentation du « non plan des banlieues » le 22 mai dernier a montré ce dont sont capables des mâles blancs dominants : par souci d’avoir la paix sur un problème qui ne l’intéresse pas parce qu’il est convaincu qu’il n’a pas de solution spécifique, le Président de la République a mandaté, pour lui faire des propositions, un ancien ministre connu pour son emphase et son clinquant. Celui-ci, qui ne réfléchit pas que les temps ont changé et que la politique de la ville ne soulève plus guère que des doutes, a rédigé un rapport enflammé et ampoulé, « Vivre ensemble, vivre en grand, pour une réconciliation nationale », qui fait des propositions tape-à-l’œil. Par incapacité à contenir son agacement devant la médiocre qualité du document, le Président s’est montré, lors de la remise du rapport, condescendant et arrogant, expliquant qu’au fond il ne veut pas de plan alors qu’il en a commandé un, ce qui blesse les élus de base qui ont corédigé ce rapport et, malheureusement, y ont mis toute leur âme. Pire, sur un sujet qu’il ne connaît pas, le Président prononce un discours zigzagant, largement hors sujet, dont les seuls passages clairs (hormis la reconnaissance de quelques besoins, comme les crèches) disent que les habitants des quartiers sont les acteurs de leur destin, que la réussite économique est la seule solution et que ce n’est pas en déversant des milliards qu’on aidera ces quartiers. Le sujet mérite, malgré tout, mieux qu’un tel échange.

Un rapport de faible qualité, décalé, déclamatoire

Le rapport Borloo comporte 19 programmes :

1° Certains sont inutiles, fleurant la démagogie et la facilité. Il en est ainsi du chapitre sur la lutte contre les discriminations, qui multiplie les mesures d’affichage : réalisation de nouveaux testings (les résultats seront très probablement identiques à ceux réalisés précédemment), financement de campagnes de sensibilisation, création d’un observatoire, nouveaux postes de Procureurs spécialisés, formation des recruteurs dans les entreprises…Les propositions ne sont ni étayées ni réfléchies, elles sont déversées au poids. Il en est de même du programme « A la rencontre de l’autre » (notamment prévoyant notamment des vacances communes d’enfants très favorisés et très défavorisés, qui font irrésistiblement penser à la rencontre Groseille – Le Quesnoy) ou de « l’Académie des leaders », qui entend recruter sur divers tests des jeunes même sans diplômes dans la haute fonction publique (500 par an quand même) : s’il existe du leadership dans les quartiers, il s’exerce sans doute dans des secteurs plus motivants que la fonction publique ! Même la proposition de créer 200 campus numériques est irritante, s’ouvrant sur l’affirmation d’une jeunesse « ultra-motivée », agile, adaptée à des formations à distance (les étudiants ordinaires ont pourtant déjà bien du mal). Le café du commerce n’est jamais loin, y compris dans les actions sur la promotion des femmes et le « combat culturel pour l’égalité » ;

2° D’autres  programmes enfoncent des portes ouvertes, après tout peut-être à juste titre : il faut relancer la rénovation urbaine et améliorer les dessertes de transport en commun, notamment en région parisienne ;

3° D’autres encore soulignent les manques en tout : santé, équipements sportifs et petite enfance, moyens des communes qu’il faudrait renforcer puisqu’elles n’ont pas les moyens d’assumer ces charges : ils posent de vraies questions, celle de l’ampleur et des limites d’une solidarité nationale qui n’a pas vraiment trouvé à s’exercer ;

4° Enfin, on ne sait que penser de certains programmes : le rapport propose ainsi des « Cités éducatives » réunissant écoles et collèges dont il est simplement dit qu’elles disposeraient « d’une autonomie éducative et de moyens renforcés » ; il voudrait que les associations soient financées non par appel à projets mais « pour ce qu’elles sont » (même si elles ne font pas grand-chose ?) ; on doit mobiliser les entreprises, Pôle emploi, réactiver les zones franches…oui, oui, bien sûr mais comment ? Et enfin, le rapport propose la création d’une Cour d’équité territoriale pour condamner tout gestionnaire public ayant failli à l’obligation de moyens pour contribuer à une équité véritable. Reste à établir les critères de l’équité véritable : le rapport donne quelques pistes imprécises mais touche alors une vraie problématique. On frôle ici les questions cruciales mais sans les étudier. De plus, si tant est que l’on parvienne à établir des critères d’équité, on a vu, avec la loi DALO (Droit au logement), ce que donnent dans la pratique des mécanismes censés faire avancer l’Etat sous la contrainte, en le condamnant s’il n’agit pas : l’Etat est condamné et ensuite il ne se passe rien.

Le rapport propose au final de consacrer 10 Mds par an à ses propositions, dont plus de 4 pour le renouvellement urbain.

Voilà donc un rapport foutraque, inégal, imprécis, démagogue, faussement chaleureux, rédigé sur un coin de table et qui a appliqué la recette du gloubi-boulga de Casimir : « beaucoup de tout ». Un tel rapport dessert la cause qu’il prétend épouser et c’est une faute que de l’avoir commandé.

Politique de la ville : un bilan difficile, voire impossible à tirer

Rappelons que la politique de la ville est une politique de l’Etat, même si elle est fondée sur des contrats passés entre l’Etat et les communes ou EPCI qui ont sur leurs territoires un quartier classé « prioritaire » (il en existe 1500 en tout) et même si l’objectif de cette politique est, aux termes de la loi, de réduite les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines, c’est-à-dire la collectivité dont ils font partie. De toujours, il s’agit d’une politique de discrimination positive, fondée sur l’analyse que les quartiers prioritaires, choisis sur des critères de pauvreté, sont en manque de ressources, d’emplois, de sécurité, de services publics, et qu’ils ont besoin de moyens spécifiques pour compenser ces carences. Dès lors que la question est posée ainsi, la question essentielle devient celle des moyens utilisés pour rattraper le décalage avec l’environnement. Le budget propre de cette politique est en effet plutôt modeste (390 millions en 2017[1]). L’effort repose en théorie sur tous les ministères qui seraient, selon un document annexé à la loi de finances qui additionne les efforts particuliers des crédits par ministère, d’environ 4 MDS. L’idée est donc de combiner quelques dispositifs propres (par exemple les programmes de réussite éducative, qui sont des actions spécifiques pour les élèves en grande difficulté scolaire, activités sportives ou ateliers divers) et le renforcement des politiques de droit commun.

Objectivement, si on en juge d’après les résultats, cette politique a échoué : elle n’a pas réussi à combler l’écart entre les quartiers « pris en charge » et les autres, au contraire. La crise a même amplifié leurs difficultés. 42 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, une personne sur 5 en emploi est en emploi précaire, 22 % des élèves de 6e sont en retard scolaire (12 % au niveau national), tous les indicateurs sont au rouge…Quant à la politique de rénovation urbaine mis en place par la loi Borloo du 1er août 2003 pour pallier ce qui, déjà à l’époque, apparaissait comme un échec, elle a coûté cher (47 Mds financés par l’Etat, les entreprises, avec le  1% Construction, les bailleurs et les collectivités) mais sans atteindre ses objectifs : de nombreux quartiers ont été rénovés, ce qui après tout n’est pas si mal, mais l’objectif n’était pas celui-là : il était d’attirer des catégories sociales moins défavorisées et de restaurer la mixité sociale. Cet objectif n’a pas été atteint (« l’effet quartier » joue et le marché du logement a de la mémoire), même si la concentration des logements sociaux a été réduite. La logique de ghetto a perduré en grande partie et les indicateurs socio-économiques n’ont pas évolué.

Cependant, l’Etat a-t-il pleinement joué le jeu ? Il est bien probable que non. Déjà dans un rapport de 2012, la Cour des comptes critiquait la faible mobilisation des crédits de droit commun affectés aux autres politiques publiques dans les quartiers concernés. Elle y revient dans son rapport annuel 2016. Le diable étant, comme toujours, dans les détails, la Cour note que les conventions passées entre les divers ministères et le ministère en charge de son pilotage ne quantifient pas les résultats attendus et que les contrats de ville passés entre l’Etat et les communes concernées ne sont pas chiffrés non plus. Elle considère que la somme de 4 Mds avancée comme l’effort de l’Etat est une estimation grossière, entachée de diverses erreurs. Des efforts sont faits, dit-elle mais pas vraiment dans la clarté, ce qui fragilise toute évaluation. D’une certaine manière, ce constat donne partiellement raison à J-L Borloo, qui soutient que son plan n’est pas le Xe plan pour les banlieues, pour la bonne et simple raison, dit-il, qu’il n’y en a jamais eu. C’est sans doute un peu excessif mais il y a là une part de vérité. En tout cas, la stratégie est bien confuse et les moyens mal connus.

N’y a-t-il rien à faire ? Regardons la Seine saint Denis

 Le rapport de la mission parlementaire d’évaluation sur l’action de l’Etat dans l’exercice de ses mission régaliennes en Seine-Saint-Denis paraîtra à la fin du moins de mai. De ce qui en a fuité dans la presse, l’on mesure que les moyens accordés à un territoire très en difficulté ne sont même pas l’équivalent de ceux dont disposent des zones moins touchées par la pauvreté, les difficultés scolaires, la délinquance. Bondy et Stains, avec 100 faits de délinquance pour mille habitants, ont moins de policiers qu’Etampes, en Essonne, ou Genevilliers, dans les Hauts de Seine, où la délinquance est 30 % moins forte. Le tribunal d’instance d’Aubervilliers compte en effectif théorique 2 magistrats et 11 agents de greffe. Avec 13 % d’habitants de moins, celui du 18e arrondissement de Paris a 4 magistrats et un greffier de plus. En Seine-Saint-Denis, les officiers de police judiciaire (OPJ) représentent 9,4 % des effectifs, contre 16,9 % à Paris, 12,4 % dans les Hauts-de-Seine et 15,2 % dans le Val-de-Marne. Enfin, « le moins bien doté des établissements scolaires parisiens reste mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis ». La Seine-Saint-Denis est en outre une école de formation pour les fonctionnaires stagiaires ou débutants, ce qui fait que le turn-over y est plus élevé tout comme l’absentéisme.

Il est loisible d’avoir des doutes sur la capacité d’une politique « transversale » et mal définie, comme la Politique de la ville, à améliorer les taux de pauvreté constatés dans les quartiers, surtout lorsque l’on mesure que les causes en sont structurelles, liée à une formation faible et à une difficulté d’accès à l’emploi durable. Il n’en reste pas moins que le constat de telles sous-dotation est inadmissible. Par ailleurs, J-L Borloo a raison sur un point : il faut redéfinir les solidarités nationales et intercommunales à l’égard des communes pauvres, qui doivent bénéficier de ressources accrues, quitte à les laisser ensuite mener leur politique en responsabilité.  Par ailleurs, plutôt que de bricoler des actions spectaculaires mais à l’efficacité douteuse, sans doute faudrait-il hiérarchiser les priorités : qu’est-ce qui aidera le plus les habitants ? La rénovation urbaine ou une politique non pas seulement renforcée mais modifiée, différente, de formation et d’Education ? avec des agents formés, équipés, accompagnés ? L’Etat a quelque chose à faire, il doit y réfléchir, abandonner la poudre aux yeux : le débat Macron-Borloo a peu de sens face à cet impératif.

Pergama

 

[1] Crédits hors ANRU (agence nationale de rénovation urbaine) et hors exonérations fiscales destinées aux zones franches urbaines. Ces crédits vont essentiellement à des associations agissant dans les quartiers ou à des programmes de réussite éducative destinés à des jeunes en échec.